Les tribunes

Titre Les tribunes
Interview de David Korn-Brzoza par le Groupe de recherche Achac

Interview de David Korn-Brzoza

par le Groupe de recherche Achac

Interview de David Korn-Brzoza par le Groupe de recherche Achac

David Korn-Brzoza est réalisateur de documentaires sur les grands enjeux historiques. Il a notamment travaillé sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale, et a par ailleurs reçu plusieurs prix français et étrangers comme celui du meilleur documentaire d'investigation au Chicago International Television Award en 2003 pour Echelon, le pouvoir secret (France 2). Avec Pascal Blanchard, il propose le documentaire en deux volets « Décolonisations. Du sang et des larmes » produit par Cinétévé et France TV pour France 2, à l’occasion du 60e anniversaire des indépendances en Afrique subsaharienne. Les deux volets du documentaire seront diffusés en prime time sur France 2, le 6 octobre 2020 à 21H05, et seront suivis d’un débat en présence des auteurs. Ce documentaire en deux volets sera ensuite disponible en replay sur le site de France TV pendant près d’un mois.

Vous avez réalisé de nombreux documentaires historiques autour de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. Comment a émergé cette idée de travailler sur les décolonisations françaises ?

C'est une période de notre histoire peu racontée, j'ai été immédiatement intéressé lorsque ma productrice de Cinétévé Lucie Pastor m'a proposé cet ambitieux projet. Et nous nous sommes bien sûr rapprochés de Pascal Blanchard, qui est un très grand spécialiste de la question.

Vous avez travaillé pendant 2 ans avec l’historien Pascal Blanchard sur ce récit, quelle a été la force de votre échange sur ce passé ?

Lorsque je travaille avec un historien comme Pascal, la force de nos échanges réside dans un ping-pong permanent entre lui le spécialiste et moi, le novice. La confrontation de nos échanges doit donner naissance à un récit clair, accessible, sans pour autant tomber dans une trop grande facilité. Nous partons d'un texte de plusieurs centaines de pages. Pour, au fur et à mesure, l'affiner, au fil d'un dialogue régulier. Les auteurs veulent tout dire ; le réalisateur, lui, veut tout faire ressentir.

Vous avez interrogé des « porteurs de mémoire » de la troisième génération. Qu’apportent-ils de plus au film (surtout qu’il n’y a pas d’historiens qui interviennent dans le film) ?

C'est un film d'archives, mais c'est aussi un film de paroles et de témoins. Nous avons interrogé des témoins de toutes générations. C'est à travers ce mélange des paroles de grands-parents et paroles de petits-enfants, paroles de témoins directs et paroles des héritiers de la mémoire que se raconte le film. C'est un documentaire transgénérationnel, car qu'on le veuille ou non cette histoire est un héritage. Il y a donc une transmission entre 3 générations : les derniers témoins directs, la génération « les fils de » et celle des plus jeunes, la troisième génération, celle des « petits-enfants ». Leur présence indique que la question coloniale est toujours présente.

Alors que les décolonisations renvoient a priori à un imaginaire positif (d’indépendance et de liberté), le titre du documentaire les décrit par « du sang et des larmes ». Pourquoi cette association ?

Malheureusement la décolonisation française est une histoire successive de conflits meurtriers. Les peuples n'ont pas reçu l'indépendance, ils l'ont arraché aux prix de longues guerres et de conflits sanglants. Indochine, Algérie bien sûr, mais également Cameroun, Madagascar, Maroc, etc... La France ne souhaitait pas que ses colonies gagnent leur indépendance. La marche de l'histoire en a décidé autrement. Les peuples ont compris qu'ils ne devaient plus avoir cette relation inégale avec la Métropole. Alors oui, Du sang et des larmes, mais si le sang est celui de la guerre, les larmes sont à la fois des larmes de tristesse – tristesse d'avoir perdu tant de camarades sur les champs de bataille - et des larmes de joie – joie de l'indépendance, joie de la fin des conflits.

Les décolonisations restent jusqu’à aujourd’hui un tabou dans l’histoire de France. Votre documentaire a-t-il l’ambition de combler un manque historiographique à leur sujet ?

Il est évident qu'il y a un manque que nous espérons combler : Cette histoire n'avait jamais été racontée dans cette vision globale. Ou chaque indépendance entraine la suivante comme un jeu de domino. Rappelons que la décolonisation française peut être qualifiée de plus longue guerre de la France au XXe siècle. Une guerre qui commence en 1945 et se termine vers le milieu des années 60.  

Ce film est proposé en prime time sur France 2, est-il pour vous un tournant dans la manière de penser le passé colonial en France ?

Exposer l'histoire coloniale de la France en prime time sur France télévisions honore le service public qui se lance dans des entreprises courageuses et audacieuses. C'est une première. Ce ne sera pas la dernière, car de plus en plus de Français désirent comprendre cette histoire, notre histoire commune. Est-ce un tournant ? Peut-être bien. Quand les derniers témoins disparaissent, une parole s'éteint, et une autre émerge.

Quel lien faites-vous entre les débats de cette année ; le démontage des statues ; la volonté d’une nouvelle écriture de l’histoire coloniale et la sortie de vos deux documentaires ?

Tout est lié. Nous avons hérité d'une mémoire. La mémoire peut-elle réconcilier les peuples ? Je le crois... On ne peut rien effacer, au risque de rendre le passé toxique. Nous ne devons pas non plus être esclave de la mémoire, ce qui pourrait empêcher la réconciliation et le vivre ensemble, deux choses capitales et souhaitables. La nouvelle écriture du passé coloniale ne doit pas être un prétexte à un divorce, mais plutôt à une ouverture, à un mariage, à une réconciliation. Nous avons juste besoin ensemble de regarder le passé en face. Comme le dit un de nos témoins « on n'écrit pas l'histoire avec une gomme ». Notre documentaire est fait pour ça.