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Une formidable diversité Le thème colonial fut un étonnant générateur d’imaginaire. Des peintures officielles aux images d’Épinal, des représentations publicitaires à celles de la bande dessinée, des affiches de propagande aux livres scolaires, l’iconographie coloniale s’est présentée aux Français sur de multiples supports. Au premier abord, la force esthétique de ces images frappe. Sont ainsi exposés quelque-uns des grands artistes orientalistes, Fromentin, Guillaumet, Dinet. Par ailleurs, chacun peut voir grâce à des prêts exceptionnels comment les impressionnistes (Renoir) ou les nabis (Émile Bernard) sont influencés par les couleurs et les lumières de l’Afrique. Mais s’imposent également tous ces artistes de l’entre-deux-guerres aujourd’hui moins connus : Lacovleff suivant la Croisière Noire, Ackein, Dubois… sans compter l’incroyable production des arts décoratifs ou des arts industriels. Combien d’affiches (Hugo d’Alési, Dellepiane, Paul Coli…), de couvertures illustrées, de gravures, d’objets ? Un imaginaire qui s’organise L’Afrique, pour des raisons historiques, a joué un rôle particulièrement prégnant dans cette histoire coloniale, rôle qui laisse encore aujourd’hui des traces et des liens. Ces images nous racontent en effet comment se sont constitués, sur une longue période, la conscience coloniale des français et les stéréotypes qui l’accompagnent. Après le conflit de 1870, la France connaît une crise profonde. L’entreprise coloniale devient alors un exutoire à l’absence de politique continentale et un espoir pour la France de redevenir une grande puissance. Dès 1880, les premiers Européens entrent au cœur du continent africain. Ces « héros », explorateurs, militaires ou missionnaires, sont glorifiés par un jeu de faire-valoir avec des Africains présentés comme barbares et cruels (ou anthropophages dans le cas des Noirs), bien que l’entreprise coloniale soit contestée par une partie de la presse. Par ailleurs, l’image du Maghrébin est double, il est le rebelle sanguinaire, mais aussi le guerrier courageux, héritier de traditions séculaires. La première guerre mondiale va modifier ces représentations. Le contact avec les soldats ou les travailleurs « indigènes », leurs rôles dans le conflit, atténue l’image du Noir sauvage pour laisser place à celle du « bon enfant », jovial et courageux, comme le souligne l’attitude du tirailleur Banania et son célèbre « y’a bon ». L’image change aussi. Il devient le fidèle serviteur de la France et le soldat courageux de l’Empire. Ces images s’imposent dans l’imaginaire collectif alors qu’une volonté politique de propagande coloniale se dessine. En 1920, le ministre des Colonies, Albert Sarraut, affirme cette nouvelle attitude officielle : « Il est absolument indispensable qu’une propagande méthodique, sérieuse, constante par la parole et par l’image, le journal, la conférence, le film, l’exposition, puisse agir dans notre pays sur l’adulte et l’enfant. » et l’exposition coloniale internationale de Vincennnes (1931) reste l’apothéose de cet effort, véritable mise en scène du « colonialisme ». La propagande s’accentue ensuite durant la Seconde Guerre mondiale. La France de Vichy et la France libre, tout en utilisant des référents distincts, montrent alors l’Empire et ses richesses comme des atouts. Après 1945, l’iconographie officielle insiste davantage sur les réalisations économiques aux colonies. Mais les images de troubles et de guerre, inexistantes jusqu’alors, viennent brouiller, à l’aube des indépendances, les représentations officielles. Entre le discours et le réel Depuis 1880, des millions d’images ont été produites, plusieurs dizaines de milliards de francs ont été présentés. Il est sûr que l’iconographie et la propagande coloniale ont eu un impact non négligeable. Ainsi, dans les années 1950, les jeunes Français candidats au baccalauréat, sont près de 85% à se sentir fiers de l’œuvre entreprise par la France aux colonies. Qu’en est-il aujourd’hui ? A-t-on changé notre regard sur l’Afrique et les Africains ? Cette exposition souhaite ouvrir une page sensible de l’histoire commune entre la France et l’Afrique. Elle est construite chronologiquement. À l’appui de cartels rappelant des faits de la période coloniale, le visiteur peut, tout au long de la manifestation, saisir la distance qui s’opère entre discours et réel. Ainsi, au-delà du plaisir esthétique et de la découverte d’œuvres et de documents rares, l’iconographie coloniale nous interroge sur certains stéréotypes qui continuent à façonner notre perception. Dans le contexte actuel où montent racismes et nationalismes, souhaitons qu’un tel bilan permette, non seulement de comprendre le passé, mais d’amorcer une réflexion qui contribue à établir de nouveaux rapports.