Les tribunes

Titre Les tribunes
La France libérée par son Empire Par Julien Fargettas

La France libérée par son Empire

Par Julien Fargettas

La France libérée par son Empire Par Julien Fargettas

Docteur en histoire de l’IEP d’Aix-en-Provence, ancien officier de l’armée de Terre, Julien Fargettas est directeur du service départemental de la Loire de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG). Auteur d'un premier ouvrage couvrant la période de la Seconde Guerre mondiale, Les Tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légende et réalité 1939-1945 (Taillandier, 2012), il a par la suite orienté ses recherches sur le temps de la décolonisation, ce qui a donné lieu à une nouvelle publication : La fin de la « Force Noire ». Les soldats africains et la décolonisation française (Les Indes Savantes, 2019). Il codirige avec Julie Le Gac et Nina Wardleworth, commissaires de l’exposition « La France libérée par son Empire ? Combattants coloniaux dans la Seconde Guerre mondiale », le catalogue éponyme (Éditions Ouest-France, 2023). L’exposition, qui se tiendra au mémorial du Mont-Valérien, à Suresnes, évoque ces soldats venus des territoires de l'Empire français qui ont combattu dans les unités militaires ou dans la résistance pour libérer la France. Nous présentons, ici, la préface qu’il a rédigée pour le catalogue.

Citoyens ou sujets, originaires des colonies et des outre-mer, ils ou elles ont combattu et ont contribué à la défense et à la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Autant d’origines, de statuts et de parcours différents, souvent noyés dans la grande histoire. Ils ont tous néanmoins un point commun, celui d’être venus d’ailleurs et d’avoir voulu servir une certaine idée de la France. Un point commun qui n’échappa pas au général de Gaulle qui, dès 1945, entendit célébrer la France combattante dans toutes ses composantes et sous toutes ses latitudes.

Pour bien comprendre cette histoire, il est nécessaire de revenir à l’origine de leur présence sous l’uniforme français. Pourquoi recruter des soldats coloniaux au XIXe siècle et comment ces derniers sont-ils passé d’un rôle colonial annexe à celui de défenseur du sol métropolitain durant les deux conflits mondiaux ? Quelle est leur place dans l’appareil militaire (et dans les consciences françaises) à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, puis durant la « drôle de guerre » et l’effondrement de 1940 ?

N'échappant pas à la débâcle, ces soldats « coloniaux » connaissent eux aussi l’expérience de la captivité, qui touche près de 1,8 million de soldats français. Mais une captivité distincte, maintenue et organisée sur le sol national par un occupant soucieux d’éviter toute confrontation raciale sur son sol. Combien sont-ils ainsi, captifs sur le sol français ? Comment Vichy entend-il ne pas les laisser à l’influence allemande ?

C’est oublier là que, lors de l’invasion, les troupes allemandes, Waffen-S.S. et Wehrmacht confondues, se sont livrées à des crimes de guerre contre les soldats originaires d’Afrique subsaharienne et d’Afrique du Nord. Tout juste faits prisonniers, combien sont tombés dans un fossé ou au détour d’un bosquet sous les balles de leurs gardiens ? 

Pourquoi, plus de quatre-vingts ans après les faits, cette histoire demeure-t-elle encore complexe à édifier ? 

La défaite de la France est d’abord celle de la France métropolitaine. Reste l’Empire – l’empire colonial –, si fréquemment encensé avant la guerre et dont le rôle sera salué après la guerre. Pourtant, les premiers ralliements à la France libre sont timides et concernent des territoires éloignés et peu peuplés. L’Empire, dans son ensemble, ne ralliera la France libre définitivement et complètement qu’en 1943. Pourquoi une telle diversité ? Comment les différents territoires se sont-ils ralliés au général de Gaulle ? Dans ce mouvement, l’Afrique équatoriale fut déterminante. Elle devient d’ailleurs l’Afrique française libre (AFL). Mais pourquoi cette appellation ? De plus, de quelle manière les « Free French » ont-ils utilisé ces territoires africains – encore peu développés – au service de leur effort de guerre, en tant qu’arme politique au service du rayonnement de la France libre ? 

Dans ce paysage impérial, les Antilles françaises constituent un élément historique particulier. Sous l’autorité de Vichy, on y a installé un régime très sévère. Les Antillais entrent alors en « dissidence ». Quelles formes prend celle-ci ? Combien sont-ils à fuir et à s’engager dans les rangs de la France libre ? Comment ce dernier territoire vichyssois finit-il par se rallier aux Français libres ? 

Moins connus sont ceux qui viennent des autres colonies et qui vont œuvrer au service de la Résistance sur le sol métropolitain. Si près de 1 800 sont officiellement reconnus, combien furent-ils réellement et qui furent-ils, de l’ouvrier des usines parisiennes au haut-fonctionnaire ? Plus visibles seront les soldats coloniaux faits prisonniers en 1940 et intégrés dans les rangs de la Résistance armée dans les Vosges, les Alpes ou le Sud-Ouest. Dans la lointaine Indochine, c’est une résistance aux Japonais qui se met en place. Comment agissent ces civils et ces militaires ? Quels sont leurs réseaux ? Comment coopèrent-ils avec les alliés chinois, britanniques ou américains ? Quelles sont pour eux les conséquences du coup de force japonais de mars 1945 qui abat l’autorité française sur le territoire ?

La résistance des « coloniaux » opère également sur le sol métropolitain. Les grandes agglomérations, Paris notamment, accueillent d’importantes communautés issues de tous les territoires de l’Empire. Impliquées dans les luttes syndicales ou politiques, une partie d’entre elles s’engagent dans les mouvements de résistance. On retrouve ainsi onze colonisés parmi les fusillés du Mont-Valérien. D’où sont-ils originaires ? Quels sont leurs parcours ? Pourquoi leur reconnaissance fut-elle aussi tardive et aussi minime ? La reconnaissance de la Résistance a pourtant débuté sous la IVe République. Faut-il chercher les causes de ce désintérêt pour les « coloniaux » dans les tensions qui ont longtemps marqué ce processus ou simplement dans la non-affiliation aux réseaux de Résistance pour nombre d’entre eux ? Alors que ces résistants combattaient dans l’ombre, en Afrique du Nord se constitue une armée française hétéroclite conjuguant unités des Forces françaises libres (FFL) et unités servant précédemment sous l’autorité de Vichy. Dans ce nouvel ensemble destiné à partir à l’assaut de l’Europe occupée, l’appel aux colonisés est massif. Mais suivant quelles modalités ? Recrute-t-on de manière identique en Algérie ou au Maroc ? Quelles sont les campagnes dans lesquelles ces unités sont engagées ? 

Que se passe-t-il pour ces soldats à la fin du conflit ? Comment sont-ils rapatriés ? La question est d’importance pour une France profondément affaiblie par cinq années de guerre. Ainsi, les « incidents » se multiplient dans ce moment toujours sensible, en particulier à Thiaroye, au Sénégal, où une répression meurtrière s’abat sur des soldats africains récemment rapatriés.

À la sortie du conflit, pourtant, l’engagement colonial est magnifié. Les manifestations se multiplient, qui saluent à la fois l’engagement des populations d’outre-mer dans le conflit, mais aussi la communion de ces territoires avec la métropole. Quelle image des colonisés délivre-t-on alors ? Toutefois, la période est également propice au développement des nationalismes. Quelle est l’influence du conflit dans ce mouvement ? Quelles sont les réponses apportées par la France aux revendications ? 

Dans ce contexte, la création du mémorial de la France combattante au Mont-Valérien est aussi le reflet des enjeux du moment. Quelle est la genèse de ce monument aujourd’hui emblématique ? Comment sont choisis les représentants, civils et militaires, de cette France combattante ? 

Car, pour le général de Gaulle, dès 1944, le Mont-Valérien occupe une place particulière. Comment s’est-il approprié les lieux ? Comment l’a-t-il inscrit dans le paysage mémoriel français ? Comment l’a-t-il aussi utilisé à des fins de politique intérieure, mais aussi extérieure ? Comment le mémorial a-t-il été adopté par les anciens territoires colonisés devenus indépendants ? Pour ce dernier processus, il semble désormais nécessaire de distinguer plusieurs époques, la plus récente, notamment, préférant revenir sur les sacrifices des colonisés, mais aussi sur les violences coloniales. Des violences dont les colonisés eux-mêmes sont parfois les auteurs sur différents théâtres d’opérations européens et, par la suite, dans le cadre des conflits de décolonisation. 

Car l’engagement des colonisés ne s’arrête pas en 1945 ; et certains combattent dans les rangs de l’armée française jusqu’au début des années 1960. Une période cruciale qui voit la majorité des indépendances intervenir et qui voit aussi le traitement des anciens combattants originaires de ces territoires évoluer. Si leur situation est catastrophique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France prend des mesures importantes pour y remédier et atteindre enfin l’égalité de traitement entre les combattants qui sont citoyens français et ceux qui ne le sont pas encore. Un effort remarquable, mais rapidement abattu par la trop fameuse « cristallisation » des pensions de ces combattants, qui a ouvert un nouveau et long chemin vers l’égalité.

Sommaire :

Introduction. La France libérée par son Empire ? Parcours d’engagés coloniaux au Mont-Valérien – Julien Fargettas

Chronologie. L’engagement de l’Outre-mer aux côtés de la France libre

Combattants coloniaux et ultramarins au service de la France, XIXe siècle-1939 – Anthony Guyon

L’Empire colonial français en guerre. Les mobilisations de 1939-1940 – Vincent Joly

Une unité en 1940 : le 4e régiment de tirailleurs tunisiens – Julien Fargettas

Les prisonniers de guerre coloniaux – Sarah Frank

Le massacre des soldats noirs par l’armée allemande – Julien Fargettas

Les ralliements successifs de l’Empire colonial à la France libre – Arlette Capdepuy

L’Afrique française libre – ambitions politico-militaires et frustrations coloniales – Géraud Létang

Les Antilles et leur rôle dans la lutte contre l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale – Eric T. Jennings 

Les résistants issus de l’Empire – Nina Wardleworth

Guerre secrète en Indochine – Guillaume Polack

Répression au Mont-Valérien : les fusillés coloniaux – Nina Wardleworth

Reconnaissance de la Résistance – Daniel Arnaud

Les combats de la Libération. De la Tunisie à l’Allemagne (1943-1945) – Claire Miot

Fissures d’Empire. L’essor des nationalismes pendant la guerre – Julie Le Gac

Des démobilisations complexes – Martin Mourre

1945. L’apothéose de la plus grande France ? – Julie Le Gac

Le Mont-Valérien, lieu de mémoire coloniale – Julie Le Gac

Un lieu de mémoire gaullienne : la politique mémorielle de la France – Frédérique Neau-Dufour

Le Mont-Valérien et le livre d’or de la crypte : enjeux diplomatiques – Antoine Grande

Mémoires dissonantes – Julie Le Gac

Conclusion. Un long chemin vers l’égalité – Daniel Arnaud et Julien Fargettas

Lexique

Bibliographie