Par Yvan Gastaut, historien de l’époque contemporaine (XIXe-XXIe siècles), maître de conférences à l’université de Nice Sophia Antipolis, UFR STAPS et chercheur en lien avec le Groupe de recherche Achac. Il est notamment l'auteur de Le métissage par le foot, l'intégration mais jusqu'où (Autrement, 2008) et le co-auteur de La France arabo-orientale (La Découverte, 2013), et Les années 30 sont de retour (Flammarion, 2015). Il revient dans cette tribune sur le succès de l’exposition Frontières, les limites et leurs limites au Musée national de l’Histoire de l’Immigration.
Inaugurée le 9 novembre 2015 au
Musée national d’Histoire de l’Immigration, l’exposition Frontières, les limites et leurs limites dont j’ai assuré le
commissariat avec Catherine Wihtol de Wenden, a été un succès malgré une
conjoncture difficile. Faisant la part belle à un récit original mêlant
analyses historiques, géopolitiques et œuvres d’art, elle a été prolongée
jusqu’au 5 juillet 2016. Il reste encore quelques semaines pour la visiter.
Si l’on excepte les frontières naturelles, qui ont constitué depuis les premières civilisations des barrières physiques à la mobilité humaine (océans, chaînes de montagne, fleuves), les frontières édifiées de main de l’Homme ont eu tout d’abord la vocation de marquer son territoire, de se protéger de l’autre, du « barbare ». Les vestiges du mur d’Hadrien en Grande-Bretagne ou la Grande muraille de Chine attestent, en des temps et des lieux distincts, de ces préoccupations. Les frontières y compris intérieures ont également eu pour objectif majeur de contrôler les échanges de marchandises et les recettes fiscales des pouvoirs en place. La structuration d’un monde en « blocs », empires coloniaux, bloc communiste, a connu son apogée puis son effondrement à la fin du XXe siècle. En ce début de XXIe siècle, marqué par la globalisation des économies, l’accélération des échanges entre les pays et des mouvements croissants de populations, pour des raisons économiques ou politiques, il convient de s’interroger sur la réalité à laquelle renvoie la notion de frontière. Tandis que la mobilité des personnes est synonyme de progrès et de modernité dans de vastes zones d’échanges supranationales, comme l’Union européenne, dont les frontières intérieures sont ouvertes, d’autres États renforcent leurs frontières afin de limiter voire d’empêcher leur traversée.
À l’utopie d’un monde sans frontières où chacun serait libre de circuler, de s’installer et de travailler s’oppose un contrôle renforcé voire une militarisation des frontières. L’ouverture s’efface devant la fermeture, la liberté devant le contrôle. La zone de passage, le lieu de contact et d’échange se transforme alors en un lieu d’exclusion et de conflit comme l’illustre la tragique actualité des migrants en Europe et en Méditerranée.
Le Musée national de l’Histoire de l’Immigration propose avec cette exposition d’explorer ces problématiques contemporaines dans le monde, et plus particulièrement en Europe et en France, pour montrer à quel point les frontières, loin de s’estomper au fil des siècles, se sont complexifiées et dans quelle mesure, en raison de l’évolution de leur nature et de leurs fonctions, elles influencent de fait les processus migratoires, mais aussi les sociétés qui décident de les édifier.
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