Grégory Quin est maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des Sciences du Sport de l’université de Lausanne. Il a notamment publié Building Europe with a Ball. Turning Points in the Europeanization of Football, 1905-1995 (avec Philippe Vonnard et Nicolas Bancel, 2016, Peter Lang). Dans cette tribune, il revient sur le moment de paradoxe généré par l'Euro 2016 de football dans lequel les nations et les peuples seront unis dans une « apparente » harmonie. Une tribune au cœur de l'actualité football pour une lettre du Groupe de recherche Achac dédié à 100 % au sport.
Entre les menaces d’attentats, les polémiques stériles sur l’origine de certains joueurs de l’équipe de France et les souvenirs de 1998, le championnat d’Europe des nations 2016 s’annonce comme un nouveau moment de célébration d’un nationalisme footballistique si singulier. Un moment paradoxal où continent et nation seront célébrés dans une « apparente » harmonie.
Parfois pour y voir plus clair, il est important de faire un pas de côté… et simplement d'adopter un autre point de vue sur soi-même pour appréhender ses réactions dans une situation donnée. C’est ainsi que j’aimerai souligner, depuis les États-Unis, au moment où s’ouvre la Copa America (équivalent de l’Euro pour le continent américain) célébrant le centenaire de la Confédération américaine de football, combien ici la nation ne se construit pas sur les mêmes logiques. Le football (entendez le « soccer ») ne possède pas les mêmes caractéristiques, il n’est pas cette pratique sociale fédératrice que l’on connaît en Europe. Outre Atlantique, d’autres pratiques sont reines, et celles-ci construisent un sentiment national en dehors de l’existence d’une « équipe » nationale, simplement dans cette idée que les règles du jeu et les compétitions s’étendent d’un océan à un autre. Les rivalités sont entre les différents clubs, aucunement avec le reste du monde.
Mais revenons de ce côté-ci de l’Atlantique. En effet, face au modèle américain, il faut encore distinguer les choses parmi les pays européens, alors que le vieux continent est loin d’être une entité homogène. En Angleterre, les clubs de football continuent d’être largement plus suivis que l’équipe nationale, y compris dans un contexte où celle-ci donne à nouveau quelques espoirs pour la quête du titre de champion d’Europe. Pourtant, paradoxalement, les supporters britanniques continuent chaque fin de semaine à se réjouir de la présence des meilleurs joueurs européens dans leurs équipes tout en débattant sur l’opportunité de voter oui pour une sortie de l’Union Européenne. L’harmonie n’est ici qu’apparente.
Alors que les stades de l’Euro 2016 sont tous désormais prêts à accueillir les supporters de tous les pays qualifiés, l’Europe s’apprête donc à célébrer ses nationalismes, mais elle va aussi célébrer l’un de ses rares succès… en tout cas ce qui demeure un succès malgré les difficultés économiques, sociales et politiques que le continent traverse depuis plus d’une décennie. Paradoxalement, le football permet à la fois – et dans le même mouvement – de célébrer la somme et les parties, le continent et les nations. Il y a fort à parier que les crises économiques, migratoires ou identitaires seront bien vite oubliées lorsque retentira le coup de sifflet de l’arbitre. L’envie de voir son pays l’emporter et l’envie de se réunir pour suivre les rencontres vont à nouveau venir dépasser nos angoisses et nos craintes. Transis d’émotion, nous oublierons nos difficultés… et nous verrons peut-être nos favoris l’emporter. Pour notre plus grand plaisir !
Pourtant au-delà des rêves que nous ferons pendant l’Euro, il faut prendre garde au réveil, car malgré le Tour de France en juillet et les Jeux olympiques en août, le sport ne donne jamais qu’une illusion temporaire d’unité et les fractures réapparaîtront après l’été avec d’autant plus de force… et pour faire d’autant plus de dégâts que les tensions sont exacerbées. Gageons qu’il en soit autrement et que la France remporte l’Euro !
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