Football de légendes. Une histoire européenne

Nicolas Bancel, historien, spécialiste de l'histoire coloniale et postcoloniale française, de l'histoire du sport et des mouvements de jeunesse et professeur à l'Université de Lausanne. Il a co-publié ou co-dirigé de nombreux ouvrages tels que Le Football en Suisse (Cies, 2009), L'invention de la race (La Découverte, 2014) et Vers la guerre des identités ? (La Découverte, 2016). Dans cette tribune, il revient sur l'exposition Football de légendes. Une histoire européenne inaugurée par le président François Hollande à l'hôtel de ville de Paris, le 9 mai 2016.


Cette exposition, qui associe football, culture et Europe, propose de découvrir les portraits de 30 footballeurs européens de légende à travers des photographies du journal L’Équipe et des textes rédigés par 30 écrivains européens. Les écrivains, et les intellectuels plus généralement, peinaient à reconnaître, lorsqu’elle existait, leur passion pour le sport, et plus encore pour le football. Certes, en 1928 est créée l’Association des écrivains sportifs, et il est vrai quelques grands noms de la littérature – Jean Giraudoux, Jean Cocteau, Henri de Montherland – ont écrit, au cours de l’entre-deux-guerres, des textes liés au sport. Mais le mépris pour le sport était chez les littéraires et les intellectuels bien plus partagé que ne l’étaient les rares passions sportives avouées.

Deux éléments peuvent expliquer cette situation qui a perduré jusqu’à très récemment. D’abord la traditionnelle séparation entre le corps et l’esprit – très vivace en France comme en témoigne le très long chemin que devront emprunter les sports pour s’imposer dans le domaine scolaire – et l’impensé du corps ont construit toute une archéologie mentale autorisant à mépriser l’activité physique. Ensuite, de nombreux sports – et particulièrement le football – sont devenus des pratiques populaires et des spectacles de masse, rebutant le goût d’élites, presque toujours sorties du moule de l’excellence scolaire, pour la « haute culture », la singularité et l’individualisme.

L’exposition présentée est le témoignage d’un retournement. Le sport est devenu, depuis une vingtaine d’années, un sujet « acceptable », légitime et intéressant. Les causes d’un tel retournement sont multiples. Dans les sciences sociales, d’une part, le sport est désormais accepté comme un véritable objet de connaissance, comme en témoigne le développement des filières STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) à l’Université, mais aussi l’intérêt de chercheurs d’autres disciplines qui se sont investis dans la thématique. Dans le champ de la littérature, de nombreux signes indiquent un essor de l’intérêt pour le sport. Récemment, Jean-Bernard Pouy, Mathieu Lindon, Denis Tillinac ou Tristan Garcia se sont saisi du sport, bien souvent par passion, mais aussi parce que le sport offre un univers romanesque aux multiples facettes, des trajectoires exceptionnelles de champions aux sombres arcanes de la corruption et du dopage. Des « romans vrais » sont ainsi à la disposition des écrivains. Peut-être l’un des moments-clés de ce retournement a été l’aveu assumé de Bernard Pivot de sa passion pour le football. Animateur de la plus célèbre émission littéraire du petit écran pendant plusieurs décennies, cet aveu a pu sonner comme un sacrement pour un objet jusqu’alors passablement méprisé.

Mais au-delà de la science et de la littérature, le sport ouvre – comme le montrent les témoignages de l’exposition – la boîte de pandore de la fascination esthétique pour le jeu et les joueurs. Les champions ici glorifiés sont élevés à la dignité d’artistes. Et les matchs entretiennent, comme l’avait bien décrit Christian Bromberger, une narrativité dramatique toujours renouvelée. Libérés, intellectuels et écrivains nous livrent enfin les ressorts de leur passion, partagée avec des millions d’hommes et de femmes. Ces projections passionnelles,  transnationales (ici européennes), sont peut-être l’une des raisons pour lesquelles le football est devenu la pratique culturelle la plus communément partagée dans le monde, et aussi la plus adulée et la plus décriée.

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