Seydou Keïta

Seydou Keïta, un grand maître du portrait à Bamako


Emmanuelle Collignon, vice-présidente du Groupe de recherche Achac présente, ici, l'un des plus talentueux photographes africains du XXe siècle, Seydou Keïta, auquel le Grand Palais rend hommage du 31 mars au 11 juillet 2016. Avec près de trois cents tirages, dont certains d’époque, c’est le visage du Mali au tournant de son indépendance qui se dessine.


Né à Bamako en 1921, devenu apprenti dans la menuiserie de son père à l’âge de 7 ans, Seydou Keïta découvre la photographie en 1935, lorsque son oncle lui offre un petit Kodak Brownie Flash. Parfait autodidacte, il glane quelques rudiments techniques auprès de son voisin, photographe et instituteur, et d’un vendeur de matériel photographique à Bamako. Il s'achète, par la suite, une chambre photographique pliable et décide d’ouvrir son studio, dans le quartier de Coura, en 1948. Son talent impressionne et, rapidement, le tout-Bamako accourt pour poser devant son objectif. Le succès est tel que c’est bientôt de toute l’Afrique de l’Ouest que les clients affluent.

Car Seydou Keïta sait que la magie d’un portrait réside dans la compréhension que le photographe a de l’image que ses clients veulent donner d’eux-mêmes. Et il a à cœur de les présenter sous leur plus beau jour. Pour ce faire, il fait des portraits à la chambre 13 x 18, en noir et blanc, et toujours à la lumière naturelle. La prise de vue – une seule, pour des questions financières – n’est pas frontale, mais de trois quarts, en buste ou en pied. Seydou Keïta s’affirme ainsi hors des pratiques de la photographie coloniale, qu’elle soit anthropométrique ou « exotique ».

Mais surtout, il met en scène les personnes qu’il photographie, pour mieux les valoriser. Sur fond de wax (tissus africains), chacun pose avec un accessoire : une veste, un chapeau, une montre, un transistor, une voiture… autant de symboles objets de la modernité. En grand portraitiste, il est attentif à chaque détail, prêt à rendre l’intensité et la dignité à chacun des personnages : les mains, le regard, la posture du corps, rien n’est laissé au hasard. Et la magie opère, les portraits ne sont pas figés : ils sont même d’une extraordinaire modernité, le temps n’a plus de prise sur eux.

La plupart des portraits présentés ici sont des tirages modernes, des grands, voire très grands formats dont la grande qualité vient souligner le génie et la maîtrise du photographe. Ce parti pris « spectaculaire » est d’ailleurs annoncé, dès le début de l’exposition, par le monumental portrait d’un véritable colosse, M. Billaly, qui tient sa petite fille sur ses genoux. Pourtant, au moment où Seydou Keïta exerce son métier de portraitiste, ses tirages étaient, pour des raisons financières et techniques, développés au format carte postale. Ils étaient parfois retouchés à la peinture pour les portraits de femmes qui voulaient que soient colorisés certains éléments, comme leurs coiffes, leurs bijoux et leurs ongles. C’est avec ces portraits au format carte postale, tels qu'il les vendait à ses clients, que l’exposition s’achève. Le temps est passé sur ces photographies, elles se sont patinées et si elles n’ont pas la superbe des grands formats, elles n’en restent pas moins incroyablement émouvantes et nous plongent dans une plus grande proximité avec le photographe et ses modèles.

Avec cette exposition, qui rassemble près de trois cents tirages de 1948 à 1962 – date à laquelle Seydou Keïta devient photographe officiel du gouvernement – c’est quatorze ans de transformations de la société malienne qui se font jour et, à travers l’objectif de Seydou Keïta, c’est tout un pays qui accède à l’indépendance.