Guillaume Fontanieu est doctorant en droit public et chargé d’enseignement en droit des libertés fondamentales à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne. Il travaille actuellement sur la notion de devoir et ses applications potentielles en droit constitutionnel. Il a travaillé dans le cadre de son master 2 d’anthropologie du droit, sur la question juridique de la restitution des restes humains et en a publié deux articles, un aux Annales de droit en 2014 et un dans le Journal de la Société des Océanistes en 2013. Par son travail au musée de l’Homme, il a contribué au retour du crâne du chef kanak Ataï et a proposé au Sénat la levée de certains obstacles juridiques aux processus de restitution.
De manière quelque peu provocante, le titre de cette présentation évoque l’hypothèse d’un débat dépassionné autour de la question de la restitution des biens culturels. Ce n’est pas tant le débat qui, en la matière, suscite toujours émotion et réflexion sur notre histoire, mais plutôt les conditions de son ouverture. En effet, voilà maintenant une quinzaine d’années que des demandes visant à la restitution de restes humains ou de biens culturels aux peuples anciennement colonisés ressurgissent périodiquement. Cela commença en 2002 avec la restitution de Saartje Baartman, dite la Vénus hottentote, à l’Afrique du Sud et des Indiens charruas à l’Uruguay. Cela se poursuivit en 2010 avec la loi permettant la restitution de toutes les têtes maories à la Nouvelle-Zélande et créant spécifiquement une Commission scientifique nationale des collections, chargée de la question du déclassement des biens publics. Celle-ci a rendu un premier rapport le 21 novembre 2014, soit un an après la nomination de ses membres et quatre ans après la publication de la loi qui l’a consacrée. Entre temps, en septembre 2014, après un processus régulier de plusieurs années, le crâne du chef Ataï et de son sorcier, ont été remis à la Nouvelle-Calédonie et au peuple kanak, permettant une réconciliation entre chefferies sur ce sujet. Depuis, quelques initiatives ont vu le jour, comme une pétition d’origine privée réclamant le retour de restes d’Algériens, issus du massacre en 1849 de l’oasis de Zâatcha, notamment de Bouziane, le meneur de la rébellion contre les forces françaises. Notons également, dans un autre registre, la décision prise en conseil des ministres du Bénin le 27 juillet dernier — relayée dans Le Monde, le 1er août 2016, par une tribune du président du CRAN, Louis-Georges Tin, Trésors pillés : « La France doit répondre positivement à la demande du Bénin » (http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/08/01/tresors-pilles-la-france-doit-repondre-positivement-a-la-demande-du-benin_4977095_3212.html) — de demander officiellement à la France le retour des trésors issus de l’ancien royaume d’Abomey et se trouvant actuellement au musée du quai Branly.
Chaque cas présenté est évidemment bien spécifique, tant par sa nature que par l’objet de la requête initiale. Pourtant, ils présentent une caractéristique commune lorsqu’ils sont intégrés à une collection muséale : ils sont inaliénables, car appartenant au domaine public. L’inaliénabilité des objets du domaine public est un principe datant de l’Édit de Moulins de 1566, et repris dans la loi de 2002 relative aux musées de France. Cette dernière crée une appellation de protection spécifique dite « Musée de France » dont les biens issus de ces musées sont considérés comme des trésors nationaux. L’article L451-5 du Code du patrimoine énonce le principe de l’inaliénabilité de ces collections en précisant que : « Toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme de la commission scientifique nationale des collections […]. » Par ailleurs, en vertu de l’article L451-7 du même code, les objets ayant fait l’objet de don ou de legs ne peuvent être déclassés.
Le groupe de travail sur les restes humains, installé par la Commission scientifique nationale des collections, a déjà fourni une première réflexion sur cette difficulté juridique, en posant les jalons d’une réforme législative d’ensemble sur la question des restitutions. Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, ces questions ont été traitées de manière casuistique, mais une évolution législative, basée sur des critères rigoureux, permettrait donc de parvenir aux conditions d’ouverture d’un débat dépassionné et aux enjeux clairs. Voici les premières recommandations de ce groupe de travail :
« Cela se traduirait par une radiation de l’inventaire des musées de France pour inscription indue, comme on peut l’imaginer pour d’autres cas litigieux, tels que les biens spoliés ou provenant d’un trafic illicite. Dans la perspective d’une telle mesure législative, il faudrait en fixer les conditions restrictives, qui seraient alors transcrites au plan réglementaire, en prenant en compte un certain nombre de paramètres :
- la perte d’intérêt public ;
- la question de l’identification certaine des individus, indispensable en cas de revendication familiale ;
- l’appréciation de la force et de la réalité du lien “communautaire”, qui doit aussi s’accompagner d’une identification de l’origine, et le fait que la revendication soit relayée et portée par l’État, quand la demande émane d’un peuple autochtone, comme dans les deux cas des revendications de la tribu Hottentote et du peuple maori ;
- la question de la temporalité : même si le critère est de maniement délicat, l’ancienneté ou le caractère contemporain d’une dépouille influencera la solution en matière de restitution. La charge juridique du principe de dignité n’est pas de même portée s’agissant d’un objet très ancien. Ce critère se relie évidemment à la question du lien au groupe ou à la communauté ;
- la destination de la dépouille considérée (ensevelissement), qui pose la question de l’éventuelle destruction ;
- les conditions de réception de la dépouille et la possibilité de survenue de désordres. » (http://www.culturecommunication.gouv.fr/Ressources/Rapports/Rapport-au-Parlement-de-la-Commission-scientifique-nationale-des-collections)
J’avais déjà en 2013, lors d’une conférence au Sénat, formulé la proposition d’article suivante : « Article L 451-7-1 : « Par dérogation à l’article L 451-7, les biens culturels sensibles ayant été acquis par voie de dons ou de legs peuvent individuellement faire l’objet d’un déclassement des collections publiques, lorsque leur communauté d’origine est identifiée, sur proposition de l’institution gardienne, à laquelle il appartient de vérifier l’origine desdites possessions et après avis conforme de la Commission scientifique nationale des collections. » Cette démanche, tant d’identification que de réponse à des demandes officielles provenant d’un État ou de communautés, est la ligne de conduite des responsables du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Les anciens et le nouveau responsable des collections anthropologiques du MNHN me l’ont récemment confirmé : les restes humains algériens sont éligibles à une restitution dès lors qu’une demande officielle est formulée et, qu’en ce sens, les procédures sont respectées. Sur les 39 restes humains d’Algériens présents au musée de l’Homme, si certains sont issus du massacre de Zâatcha, d’autres sont des Algériens qui ont combattus au nom de la France ou sont encore des criminels de droit commun. La question reste donc de savoir quelle va être la revendication que va porter l’État algérien en la matière.
Plus largement, la question de la circulation des biens culturels notamment issus de spoliations coloniales se pose et donc d’un patrimoine commun de l’humanité à concilier avec les droits des peuples autochtones, reconnus par une Déclaration de l’ONU en 2007. J’ai en mémoire la force des liens qu’ont créés le château-musée de Boulogne-sur-Mer et le peuple Sugpiaq d'Alaska qui, par de multiples échanges et créations, ont su aboutir à une mémoire et une identité de l’ordre d’un imaginaire commun. Le masque présenté dans cette tribune en représente une des parfaites illustrations. Cette coopération peut-elle se faire sur des restes humains ? Tout reste envisageable, comme, par exemple, cette proposition d’Yves Coppens qui serait « extrêmement heureux, de recevoir d’Australie […] des éléments squelettiques d’Australiens pour que les petits Bretons apprennent ce qu’est l’Australie, ce que sont les Australiens et en échange […] que la Bretagne soit en mesure d’envoyer des collections, des séries, des ensembles de Bretons […] pour que les petits Australiens apprennent ce que sont ces gens du bout de l’Europe » (http://www.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/pdf/Version_Francaise_Symposium_Restes_Humains.pdf). La restitution devient alors tant un acte de connaissance que de reconnaissance.
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