Stéphane Mourlane est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille. Il a dirigé plusieurs ouvrages dont Le football dans nos sociétés. Une culture populaire 1914-1998 (Autrement, 2006) avec Yvan Gastaut ainsi que Les batailles de Marseille. Immigration, violence et conflits aux XIXe-XXe siècles (Broché, 2013) avec Céline Regnard-Drouot. Il revient ici sur les athlètes français médaillés aux Jeux olympiques, ayant donné plus que jamais l’image d’une France à la diversité héritée de son histoire coloniale et migratoire.
À Rio, la flamme vient de s’éteindre clôturant les XXXIe Jeux olympiques de l’ère moderne. L’heure est au bilan. Les Français se satisfont des 42 médailles obtenues par leurs athlètes (10 en or, 18 en argent et 14 en bronze), un nouveau record. Tout au long de cette olympiade, comme des précédentes, les médias ont quotidiennement, scrupuleusement et parfois fébrilement tenu les comptes afin d’établir une hiérarchie des nations. Si celle-ci ne s’intègre pas dans les valeurs de l’olympisme défendues par Coubertin et ses successeurs, elle s’est imposée comme une référence essentielle pour les opinions, les institutions sportives et les États nationaux. Les Français qui sont, de longue date, préoccupés de la place de leur pays dans le monde et qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’emploient à conjurer leur « hantise du déclin », voient dans les Jeux olympiques une sorte de baromètre. En 2016, la France y apparaît au 7e rang des nations, derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie, l’Allemagne et le Japon. L’honneur apparaît sauf au regard des grandes nations qui la précèdent, même si le rang n’est pas tout à fait à la hauteur de la « Grandeur » gaullienne encore dans bien des esprits.
Si les performances des athlètes aux Jeux olympiques constituent un indicateur de puissance et de rayonnement sur la scène internationale, elles sont aussi perçues sur le plan national comme des symboles de vitalité et de dynamisme. En d’autres termes, elles constituent un miroir dans lequel les Français aiment à se regarder, à se reconnaître.
De ce point de vue, il est intéressant d’observer que le reflet proposé est celui de la diversité. Certes, il ne s’agit pas de « surjouer » l’ethnicité des athlètes — ces derniers, du reste, ne la mettent que rarement en avant — mais il n’est pas inutile de rappeler qu’ils offrent une image bigarrée plus conforme à la réalité sociale française que celle proposée par les élites politiques, économiques ou les figures médiatiques. À l’occasion des Jeux olympiques, France Télévisions s’est d’ailleurs vu reprocher de présenter sur France 3 un clip promotionnel de la compétition « qui ne ressemble pas au sport français ». Lancée par la sociologue Béatrice Barbusse et les anciennes athlètes Maryse Ewanje-Épée et Maguy Nestoret-Ontanon, une lettre ouverte signée également par Christine Arron, Marie-José Perec et Lilian Thuram a demandé le retrait de ces clips où figurent 18 sportifs dont aucun n’est issu de la diversité. En vain. Et pourtant parmi la délégation de 395 athlètes à Rio, la diversité est bien visible. France Télévisions l’a bien remarqué par ailleurs puisque le Réseau Outre-Mer 1ère souligne la présence de 49 ultramarins à Rio. Le journal L’Équipe dans sa version numérique a également proposé une carte interactive intitulée « d'où viennent les athlètes qui vont représenter la France aux JO ? » confirmant cette représentation ultramarine et permettant de voir que de nombreux sportifs défendant les couleurs de la France sont nés à l’étranger, notamment en Afrique. L’apport de différentes strates de l’immigration se lit pour sa part au travers des patronymes.
La visibilité de la diversité au sein de l’équipe de France olympique est relativement récente. Pendant longtemps, seuls les « indigènes » d’Algérie étaient représentés et certains sont entrés au panthéon du sport français comme Boughéra El Ouafi, vainqueur du marathon aux Jeux d’Amsterdam en 1928 ou Alain Mimoum qui remporte la même épreuve à Melbourne en 1956. Il faut attendre les années 1960 pour voir des athlètes noirs issus de l’ancien Empire colonial porter le maillot français. Alors que le marathonien éthiopien Abebe Bikila est le premier champion olympique africain aux Jeux de Rome en 1960, le Sénégalais Abdoulaye Seye remporte, pour la France, la médaille de bronze sur 200 mètres. Bien que ces Jeux soient un naufrage pour la France (5 médailles seulement dont aucune en or), la performance est peu remarquée. À Tokyo, en 1964, la participation de la Guadeloupéenne Marlène Canguio sur 110 mètres haies, première femme noire en équipe de France, ne l’est pas plus. Roger Bambuck, médaillé de bronze à Mexico en 1968 sur 4x100 mètres, dispose d’une plus grande notoriété que lui confère ces titres européens et ses records du monde et d’Europe.
Il faut attendre les années 1990 pour voir émerger des champions, en l’occurrence des championnes, de premier plan traduisant la diversité. La figure de proue en est la Guadeloupéenne Marie-José Pérec, triple championne olympique : en 1992 aux Jeux de Barcelone sur 400 mètres et deux fois aux Jeux d’Atlanta en 1996 sur 400 mètres et 200 mètres. Une autre Guadeloupéenne, Laura Flessel, devient quintuple médaillée olympique en escrime, une discipline grande pourvoyeuse de médailles pour la France et qui apparaît ainsi moins élitiste que par le passé. En 2016, l’équipe de France masculine d’épée, championne olympique, compte trois ultramarins parmi ses quatre tireurs (les Guadeloupéens Yannick Bobel et Jérémie Jerent et le Martiniquais Jean-Michel Lucenay).
Comme un nouveau symbole, Marie-José Pérec et Laura Flessel se voient attribuer l’honneur de porter le drapeau de la délégation française, à Atlanta en 1996 pour Marie-José Pérec, et à Londres en 2012 pour Laura Flessel. Entre temps, le drapeau est porté à Athènes en 2004, par le Réunionnais Jackson Richardson, champion olympique avec l’équipe de France de handball en 1996. À Rio, le judoka Teddy Riner est à l’honneur. Charismatique, figurant au troisième rang des sportifs préférés des Français (derrière le nageur Florent Manaudou et le basketteur Tony Parker), et victorieux pour une deuxième fois, Teddy Riner est une figure positive de la diversité à l’instar de la plupart des athlètes médaillés. La modestie et les larmes d’Émilie Andeol, médaille d’or en judo (plus de 78 kg) a ému. Parmi les champions olympiques, le couple formé par les deux boxeurs Tony Yoka et Estelle Mossely est loué non seulement pour leur romance couronnée d’or, mais aussi parce qu’ils « sont bien éduqués, parlent bien ». La boxeuse Sarah Ourahmoune, médaille d’argent en moins de 51 kg, est érigée dans les médias comme modèle de réussite et d’émancipation : d’origine algérienne, sportive de haut niveau, diplômée de Sciences Po, chef d’entreprise et mère de famille. Bien loin des clichés liés à la fois à la boxe, aux enfants d’immigrés et aux femmes de culture musulmane.
D’une manière générale, quelles que soient leurs origines ou celles de leurs parents, ces sportifs médaillés issus de la diversité, dont nous ne pouvons citer tous les noms, sont célébrés d’autant plus qu’ils affichent fièrement leur attachement au drapeau tricolore et leur ambition d’apporter du bonheur aux Français. Il est à craindre que la trêve olympique d’une France victorieuse et heureuse dans la diversité soit toutefois mise à l’épreuve des échéances électorales dans les mois à venir.
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