Queer Maghrebi French Coming out à l’orientale

Christelle Taraud enseigne à Columbia et à New York University (NYU) Paris et elle est membre du Centre d'Histoire du XIXe siècle (Paris I/Paris IV). Auteure de « Amour interdit ». Prostitution, marginalité et colonialisme. Maghreb 1830-1962 (Payot, 2012), elle est l'une des directrices de publication de Sexe & Colonies (coordonné par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Jean-Baptiste Rachel et Dominic Thomas), ouvrage à paraître en septembre 2018. Dans cette tribune, elle souligne l’importance de Queer Maghrebi French (Liverpool University Press, 2017), livre de Denis M. Provencher qui fera incontestablement date.

 

Être Queer, en France, quand on est français avec des origines magrébines ou quand on est maghrébin, est au cœur du beau livre de Denis M. Provencher, professeur et directeur du département d’études françaises et italiennes de l’Université de l’Arizona (États-Unis). Basé sur un travail ethnographique de longue haleine, la particularité de ce livre est de le combiner avec des parcours biographiques dont la nature est, en soi, puissamment réflexive. Chacun des hommes s’y affirmant comme homosexuel propose, en effet, à sa manière, une lecture particulièrement stimulante – et totalement queer – des questions identitaires que leur coming out, en France, a permis.

Ainsi de la trajectoire de vie, de pensée et d’action de Ludovic Mohamed Zahed – le premier Imam gay de France – qui a fondé, à la Goutte d’Or à Paris, en 2012, la première mosquée inclusive pour les personnes LGBT+ de confession musulmane. Docteur en sciences humaines et sociales, mais aussi théoricien de l’islam, Ludovic Mohammed Zahed propose une vision totalement ouverte de la religion musulmane – ne dit-il pas que si le prophète Muhammad vivait aujourd’hui, il marierait des homosexuel-le-s ? – en contradiction flagrante tant avec la doxa straight du conformisme islamique, trop souvent en cours, qu’avec la vision raciste et islamophobe que beaucoup, en France et ailleurs, ont de la religion musulmane. Ludovic Mohamed Zahed, ce faisant, ne s’affirme pas seulement comme un gay séropositif – il a été contaminé très tôt par le virus du sida quand il avait 19 ans – mais comme un individu queer qui propose, en tant que musulman progressiste, une relecture totale des questions de genre, de sexualité et d’identité à partir de l’avant-garde que sont, pour lui, les minorités sexuelles.

D’une manière connexe, quoiqu’exprimée au travers d’un langage différent, c’est aussi le travail existentiel mené par l’écrivain Abdallah Taïa. Ayant été l’un des premiers Maghrébins à proclamer ouvertement et publiquement, tant en France qu’au Maroc, son homosexualité, Abdallah Taïa, produit une œuvre dense et protéiforme marquée tant par ses références au Maroc, au Maghreb et à l’islam que par sa conversation nourrie avec d’autres influences notamment, mais pas exclusivement, française et occidentale. Discutant de la difficulté d’être et de se penser au travers d’une identité hybride, Abdallah Taïa renvoie dos-à-dos, dans une langue souvent d’une grande beauté, les « atavismes » schizophrènes tant de la société  marocaine que de la société française. En rappelant la force des stéréotypes racistes, y compris au sein de l’univers LGTB+ – où ce dernier a souvent été sommé d’être le « bon arabe » – Abdallah Taïa, comme Ludovic Mohamed Zahed, nous renvoie à la complexité et à la pérennité des relations de pouvoir dans nos sociétés de « démocratie sexuelle » supposément « civilisées ».

Une complexité particulièrement bien rendue par le livre de Denis M. Provencher qui, incontestablement, fera date.