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Découvrez cette semaine l’article d’Elsa Dorlin, philosophe et professeure de philosophie politique au département de science politique de l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Intitulé « La clinique de la race : la sexualité morbide au cœur de l’idéologie esclavagiste », cet article s’intéresse à la médecine comme institution centrale de la traite négrière. L’auteure insiste particulièrement sur la création, au XVIIe siècle, d’une nosologie établissant des prédispositions physiopathologiques spécifiques aux esclaves noir.e.s. Ainsi en est-il de l’hystérie, de la nymphomanie ou du marronnage, perçu comme une forme singulière de mélancolie. L’émergence d’une telle nosologie se trouve aux sources du concept moderne de « race » car elle postule l’existence des différences biologiques entre les populations noires et blanches.
Article ? « La clinique de la race : la sexualité morbide au coeur de l’idéologie esclavagiste » issu de la partie 3 Science, race et ségrégation de l’ouvrage Sexualités, identités & corps colonisés (p.237-244)*
© CNRS Éditions / Éditions la Découverte / Groupe de recherche Achac / Elsa Dorlin (Sexualités, identités & corps colonisés, 2019)
La Clinique de la race : la sexualité morbide au coeur de l’idéologie esclavagiste
Par Elsa Dorlin
À partir de la fin du XVIIe siècle, les considérations sur les maladies propres aux esclaves – « maladies des nègres » – que l’on trouve disséminées dans la littérature de voyage et l’anthropologie philosophique, les journaux et essais des armateurs, médecins et capitaines de vaisseaux, ceux des « habitants » des colonies sucrières ou, encore, dans les archives des administrateurs de l’Empire français, laissent bientôt place à un genre médical à part entière : la médecine esclavagiste. Celle-ci émerge des traités d’anthropologie médicale relatifs à la « Zone torride » – selon une division climatique classique du globe –, puis, des territoires des colonies à proprement parler, principalement des Amériques.
Naissance de la « nosopolitique » : nosologie, race et modernité
Pour caractériser ce savoir émergent, encore tâtonnant, il faut d’emblée prendre la mesure des diverses dimensions pathogènes liées au territoire de la « colonie » en tant que telle. Ces traités ont pour objet les questions d’acclimatation des populations blanches consécutives à la migration volontaire ou forcée d’Européens, à la modification des conditions de vie et des régimes alimentaires (sucre, café, cacao, racine et tubercule…), et à la présence de troupes militaires.
Bientôt, ils dédient des sections et chapitres spécifiques, voire des traités entiers, d’une part aux maladies consécutives à la déportation brutale d’Africains, aux conséquences épidémiologiques liées à la « rencontre » de plusieurs environnements bactériologiques (l’introduction de « germes » décimant les populations caraïbes, la proximité des populations libres et serviles, mais aussi l’introduction d’espèces animales et végétales aux colonies et, inversement, celle d’espèces animales et végétales dans les métropoles impériales…) ; d’autre part, aux maladies qui seraient « propres » aux populations serviles, en particulier africaines, à l’exclusion des autres. Outre les questions d’acclimatation, les conditions sanitaires générées par et dans le système colonial (affections parasitaires, pathologies liées aux traversées transatlantiques, à la malnutrition, à l’insalubrité des habitats, aux conditions de « travail » mutilantes, aux traitements inhumains, à la propagation de pathologies sexuellement transmissibles liée aux pratiques systématisées de viol perpétrées par les marins et les colons sur les femmes africaines réduites en esclavage, caraïbes, esclaves créoles et « mulâtresses »), nécessitent de produire urgemment un savoir sur les pathologies, affections et blessures psychiques et physiques dues aux tensions sociales et raciales, comme l’empoisonnement, les mutilations incapacitantes, les suicides, la folie… et ce, principalement pour préserver les intérêts de la traite négrière et du système esclavagiste en plein essor.
À partir de la fin du XVIIe siècle, l’organisation d’une veille sanitaire est systématisée aux colonies par ordonnances royales sur le même modèle que la médecine navale (ordonnances de 1681 et 1689). Elle sera progressivement mise en place dans les vaisseaux négriers qui devront désormais embarquer des chirurgiens ; idem sur les habitations qui, selon leur taille (à partir de vingt-cinq esclaves), devront avoir leur propre infirmerie. La médecine entre dans la traite négrière comme une institution centrale. Au XVIIIe siècle, à raison de huit mille à vingt-cinq mille Africains annuellement embarqués et déportés dans les colonies françaises – en 1776, le médecin Jean Barthélémy Dazille écrit même qu’on transporte annuellement environ vingt-cinq mille Africains rien qu’à Saint-Domingue et trois mille aux îles de France et de Bourbon[1] –, les questions sanitaires liées aux « cargaisons » et à l’état de la force de travail, du cheptel, sur les « habitations » (qui comprenaient pour la plupart des plantations, des sucreries, des ateliers et la maison du maître à proprement parler) deviennent cruciales et dessinent les contours d’une véritable « nosopolitique raciale »[2].
Aux XVIIe et XVIIIesiècles, les seules catégories sociales qui font l’objet de traités de physiopathologie spécifiques sont les « gens de mers », les artisans, les enfants, les femmes, les colons et les esclaves. Toutefois, dans le cas des marins, des colons, des artisans et même des enfants, la morbidité de ces populations est due à des facteurs exogènes qui sont respectivement : les voyages en mer, le climat, les conditions de travail (pollution, intoxication, épuisement, malnutrition…), les négligences ou les mauvais traitements des sages-femmes et des nourrices. Au fond, seuls les esclaves et les femmes sont réputés souffrir de maladies qui leur seraient spécifiques, liées à un tempérament propre, un naturel pathogène, « marque » endogène d’infériorité justifiant leur soumission. L’émergence de cette nosologie à part, véritable clinique du sexe et de la race, est à la source du sexisme et du racisme modernes.
Il y a plus de dix ans, j’avais déjà proposé une classification nosographique de ce corpus[3] en répartissant les textes selon deux grands ensembles de pathologies : les maladies communes et environnementales ; les maladies spécifiques et les prédispositions physiopathologiques raciales. Si l’on affine davantage cette première division, on peut établir la classification étiologique suivante : les pathologies liées au climat ; les pathologies liées au tempérament, au naturel, aux caractéristiques phénotypique (comme la couleur), à la « race » ; les pathologies générées par l’esclavage et, au contraire, les pathologies générées par la liberté (marronnage, fugue, rébellion, affranchissement).
Le rôle des chirurgiens : acheter, acheminer et maintenir en vie une « marchandise »
La spécificité de la médecine esclavagiste tient d’abord à ceux qui la pratiquent. Il s’agit essentiellement de chirurgiens, c’est-à-dire, alors, le bas de l’échelle hiérarchique médicale ; ils sont peu formés et tiennent quasi exclusivement leur savoir d’une pratique « sur le tas ». Après s’être instruits auprès d’un médecin qui leur délivre un certificat dit de « petite expérience », nombre d’entre eux s’embarquent ensuite sur les bateaux au sein du commerce triangulaire pour faire leur apprentissage, au terme duquel il leur est octroyé un certificat de « grande expérience » et le titre de chirurgien[4].
Dans ce contexte, les chirurgiens ne sont pas des soignants mais une sorte de « police » qui s’assure d’abord et avant tout de la valeur d’usage et d’échange de la marchandise. Les chirurgiens sont présents sur le continent africain, embarqués par les armateurs et marchands négriers et ont pour rôle de choisir après examen les hommes, les femmes et plus rarement les enfants vendus en esclavage, qu’ils sont chargés de marquer au fer rouge après achat. La plupart du temps, ce sont les mêmes chirurgiens qui embarquent à bord et doivent assurer le transport de cette « cargaison » dans des conditions suffisantes pour qu’un maximum d’individus arrivent vivants – bien qu’il y ait un système d’assurance en cas de perte –, en plus d’être responsables de la santé de l’équipage. En effet, en ce qui concerne les esclaves, il n’est pas question de santé mais de survie : on exige du chirurgien à bord qu’il ne garantisse que la rentabilité d’une « cargaison ». Outre son rôle de police du capital négrier, il est donc économiquement intéressé par ce commerce puisque chaque chirurgien touche une prime d’intéressement sur chaque esclave valide vendu aux Amériques – le chirurgien tire donc bénéfice de la plus-value dégagée par le commerce triangulaire.
Dans son Voyage aux Antilles, Jean-Baptiste Leblond fait le récit d’un navire négrier débarquant à King’s Town avec les restes d’une cargaison de trois cent soixante Africains, dont deux cents ont été jetés à la mer après une traversée de trois mois, soit le double qu’à l’accoutumée. « La raison en est simple, la diathèse scorbutique s’était emparée de ces nègres enchaînés dans la cale et dans les entreponts, salis de leurs propres déjections fétides, dont il n’était pas aisé de les délivrer, respirant un air infect, stagnant et excessivement chaud, privés d’aliments frais, éprouvant depuis longtemps la disette d’eau […]. Toutefois comment se fait-il que de tout l’équipage du bâtiment au nombre de vingt-deux hommes blancs, continuellement occupés à soigner ces malheureux Noirs, à vider leurs immondices, à transporter, à jeter leurs cadavres à la mer, respirant le même air contagieux et éprouvant la même disette d’eau et d’aliments frais, comment se fait-il que, pas un n’ait été atteint de cette dysenterie[5] ? » D’emblée la question est posée d’une prédisposition physiopathologique des populations africaines déportées ; l’explication faisant fi du fait que l’équipage ait probablement rationné à outrance les provisions destinées aux captifs, en partie pour sa propre survie. De plus, dans le cas du scorbut, c’est-à-dire d’une avitaminose, il n’y a pas de phénomène de contagion, d’où la perplexité du médecin quant à l’absence de transmission du mal malgré l’extrême proximité de l’équipage avec la « marchandise ».
Les conditions de transport dans lesquelles sont abandonnés les captifs sont déplorables : les esclaves sont quasi systématiquement entassés en surnombre dans les cales et ne peuvent se tenir debout. À leur disposition, quelques baquets pour leurs besoins ; baquet qu’il faut rejoindre en déplaçant avec soi toutes les personnes attachées à la chaîne à laquelle plusieurs hommes sont retenus (la chaîne peut comprendre cinquante hommes pieds et mains liés). Sur les navires français où l’on compte davantage d’hommes d’équipage, les esclaves sont en général libérés de leurs fers quelques jours après le départ. Toutefois, au moindre mouvement de révolte ou, tout simplement, quand la mer se fait plus dangereuse, les esclaves peuvent demeurer enfermés : beaucoup succombent alors par asphyxie (les grilles et les sabords n’étant pas en nombre suffisant ou refermés en cas de tempête)[6]. Ainsi, en Angleterre, nombreux sont les règlements sur les conditions de traversée qui passe à la Chambre des communes, notamment le nombre d’aération, alimentation, l’eau, le nombre de passagers… Un bill prévoyait l’obligation d’installer des ventilateurs dans les cales : « Les marchands de Londres et Liverpool présentèrent une requête dont le but était d’empêcher la seconde lecture de ce bill sous prétexte qu’il nuisait à leur intérêt. »
Les chirurgiens ne peuvent rien, ne font rien : incapables de soigner des maux, tant que rien n’est fait sur les causes qui les produisent, ils rechignent également à secourir les esclaves par peur de la contagion à l’ensemble de l’équipage. Cette peur de la contagion sur les navires est omniprésente : dès que des accès de fièvre ou de dysenterie apparaissent dans les cales, rares sont les possibilités de mise en quarantaine. Les malades sont alors souvent achevés ou jetés à la mer avec les morts ; au mieux, l’équipage se charge de cette tâche, au pire, il se barricade et s’isole des esclaves, effrayé de contracter le mal qui sévit. Ainsi, nombre d’esclaves agonisent dans le sang et les souillures (« ils nageaient dans la fange », écrit Benjamin S. Frossard[7]), et ceux et celles qui survivent deviennent littéralement fous. Dans nombre de récits sont relatées les tentatives de suicide par refus de boire ou de manger : le suicide est une des pratiques de résistance les plus communes des esclaves et nombre de prisonniers en effet tentent ainsi de mettre fin à leur supplice dès leur embarquement sur les négriers. Le rôle du chirurgien et de l’équipage est alors de tenter de nourrir de force les esclaves : en les contraignant à se nourrir, en les punissant par des coups de fouet et, si besoin, en les torturant.
Arrivés aux Amériques (comptoirs de la Louisiane, Saint-Domingue, Îles du Vent, Guyane…), des chirurgiens stationnés aux colonies procèdent à l’examen des esclaves avant la vente ; là encore, ceux qui débarquent peuvent se faire embaucher pour des périodes plus ou moins longues aux colonies, soit pour expertiser les cargaisons au moment de la vente dans les ports caribéens, soit auprès des grandes habitations[8]. Les chirurgiens, après les traversées ou quelques mois aux colonies, obtiennent leur certificat de « grande expérience ».
Hystérie et nymphomanie raciales : aux sources du concept moderne de « race »
Au XVIIIe siècle, les traités de référence – ceux des voyageurs, des médecins ou des habitants eux-mêmes, sachant que les médecins ayant séjourné aux Antilles ou en Guyane sont également, sauf exception, des habitants ou des propriétaires d’au moins un esclave –, s’interrogent sur la pertinence d’attribuer ces maladies spécifiques au naturel des Noirs ou à la condition des esclaves. Ainsi, il n’est pas rare dans un même texte de lire des considérations qui annoncent le développement d’une véritable étiologie raciste avec d’autres propos tenant compte de l’exceptionnalité des conditions d’existence des hommes, des femmes et des enfants tenus en esclavage et de leurs conséquences directes sur leur morbidité propre et leur mortalité élevée.
Les médecins s’accordent progressivement pour stigmatiser les faiblesses, l’infériorité du tempérament des Africains, notamment face à certaines affections : le tempérament intervient alors pour figurer le rapport de domination naturelle, indépendamment du climat, entre Blancs et Noirs, ces derniers étant souvent apparentés au tempérament flegmatique[9]. Parallèlement, le discours médical entretient parmi les colons une crainte relative à la meilleure résistance des esclaves à l’environnement. L’intérêt est clair : en insistant sur les qualités physiques des Africains, le pouvoir médical alimente l’idéologie esclavagiste. Il justifie les conditions de vie extrêmement dures des esclaves sous prétexte qu’ils peuvent physiquement l’endurer ; il encourage une répression impitoyable de la moindre opposition.
Dans ce jeu rhétorique du sain et du malsain, les Noirs sont survirilisés, assimilés à des hommes particulièrement vigoureux, aux qualités physiques supérieures, même si cette conception de la virilité renvoie à une virilité animale, presque « bestiale ». En même temps, les hommes esclaves sont dévirilisés, efféminés, leur constitution est subsumée sous un tempérament traditionnellement féminin, débile et pathogène : les maladies qui leur sont prétendument propres sont toutes définies sur le modèle des maladies des femmes.
Les maladies prétendument typiques de la constitution des esclaves peuvent être rapportées à une forme d’« hystérie raciale »[10], en référence à l’hystérie et à l’ensemble des troubles qui caractérisent le Sexe, comme il convient de désigner les seules femmes au XVIIe siècle. Sur le modèle des maladies des femmes, on trouve donc un corpus médical qui participe à la définition d’un concept moderne de « race » – et en l’occurrence à la définition de la « race » nègre opposée à la « race » des Européens, bientôt, blanchis –, par le biais de la spécificité physiopathologique des troubles qui accablent les esclaves.
Ainsi, le médecin Jean-Baptiste Leblond note que les Noirs sont affectés par une maladie spécifique appelée la « pica » : il s’agit d’une maladie qui altère l’appétit et provoque une dépravation du goût, poussant le malade à manger du charbon, de la cendre ou de la terre. On l’appelle également malacia ou névralgie de l’estomac[11] : « Cette maladie […] attaque principalement les Noirs récemment arrivés de la côte d’Afrique, elle a ordinairement son origine dans les longs chagrins entretenus par le travail forcé, auquel ils ne sont point accoutumés, et surtout par la nostalgie, ou le doux souvenir de leur pays qu’ils regrettent[12]. » Cette maladie provoque une pâleur et une langueur générale du corps, exactement comme dans la chlorose, ou pâles couleurs, qui désigne l’hystérie des jeunes filles. La pica pousse le malade à se laisser dépérir ; parfois il s’enfuit et on le retrouve errant, insensé, ou bien il se pend. Le médecin Jean-François Lafosse préconise une période d’adaptation durant laquelle on encouragera les nègres bossales[13] à se distraire – danse, chant – afin de les guérir d’un chagrin mortel[14]. Mais quand cette période s’achève, la pica peut survenir de toute façon : « Les ménagements sont oubliés, on les brusque, et les paresseux finissent par tomber dans la maladie dont nous venons d’esquisser le triste tableau. On s’aperçoit qu’ils mangent de la terre, et au lieu de ranimer leur courage par un traitement humain, compatissant, on les menace, on les châtie, on les pousse au désespoir, en portant la barbarie jusqu’à leur mettre des masques de fer et à languette qui leur entrent dans la bouche pour les empêcher de mâcher[15]. » On sait que cet appareillage a été principalement utilisé sur les habitations pour réprimer les esclaves rebelles. Le corps esclave est ici présenté comme un corps incapable de se maîtriser, dépossédé de lui-même et totalement soumis à l’arbitraire du pouvoir colonial.
Dans la même veine, on rapportera le marronnage à cette espèce raciale de mélancolie propre aux « Nègres »[16] : la pathologisation des actes de résistance des esclaves ayant le double avantage de minimiser la charge subversive et inquiétante – pour la société coloniale – de ces actes continuels de résistance.
Sur le même modèle, le « pian » – mal vénérien qui n’affecterait que les esclaves – est défini comme une forme de nymphomanie raciale. Cette affection devient la marque ostensible des mœurs licencieuses des Noirs. Les « nègres pianistes » inquiètent les Blancs et plus encore « les négresses » : dans le cas des femmes esclaves, cette maladie devient le symptôme de leur tempérament « brûlant », de leur intempérance morale, de leur débauche. Ainsi, les femmes noires n’ont pas un tempérament froid et humide (flegmatique) comme les Européennes, mais au contraire chaud et sec, déterminant leur appétit sexuel insatiable. Exclues de la définition dominante de la féminité, elles ne sont pas des femmes, mais des mutantes. Le fait de leur octroyer une telle prédisposition raciale permet de justifier le viol systématique dont elles sont victimes, en leur prêtant l’initiative d’un commerce sexuel auquel les Blancs ne pourraient pas résister. Le pian marque ainsi les adultes mais aussi les enfants esclaves, déformant leur visage comme le stigmate de la licence de leur mère.
L’émergence d’une telle physiopathologie sexuelle morbide est donc au fondement de la constitution d’une définition de la « race » qui va de pair avec l’établissement d’une échelle hiérarchique des « races » mais aussi d’une différenciation sexuelle des femmes elles-mêmes ; excluant les femmes noires de la définition normative de la féminité – faible, morale et maternelle – à laquelle seules les Blanches peuvent répondre.
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Pour citer cet article : Elsa Dorin « La clinique de la race : la sexualité moride au coeur de l’idéologie esclavagiste », in Gilles Boëtsch, Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sylvie Chalaye, Fanny Robles, T. Denean Sharpley-Whiting, Jean-François Staszak, Christelle Taraud, Dominic Thomas et Naïma Yahi, Sexualités, identités & corps colonisés, Paris, CNRS Éditions, 2019 : pp.237-245
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[1]. Jean Barthélémy Dazille, Observations sur les maladies des nègres, leurs causes, leurs traitements et les moyens de les prévenir, Paris, Chez Didot le Jeune, 1776.
[2]. Cette expression est au cœur de ma réflexion sur la médecine esclavagiste et la naissance du racisme telle que je l’ai développée dans Elsa Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, 2006.
[3]. Elsa Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, 2006.
[4]. Bernard Gainot, « La santé navale et l’Atlantique comme champs d’expérimentation : les “hôpitaux flottants” », in Dix-huitième Siècle, no 33, 2001.
[5]. Jean-Baptiste Leblond, Voyage aux Antilles et à l’Amérique Méridionale, commencé en 1767 et fini en 1802, Paris, Arthus-Bertrand, 1813. Voir aussi Monique Pouliquen, Les voyages de Jean-Baptiste Leblond, médecin naturaliste du roi (1767‑1802). Antilles, Amérique espagnole, Guyane, Paris, Éditions du CTHS, 2001.
[6]. Benjamin S. Frossard, La Cause des esclaves nègres et des habitants de la côte de Guinée (t. 1), Lyon, Imprimerie de la Roche, 1789.
[7]. Benjamin S. Frossard, La Cause des esclaves nègres et des habitants de la côte de Guinée (t. 1), Lyon, Imprimerie de la Roche, 1789.
[8]. Bernard Gainot, « La santé navale et l’Atlantique comme champs d’expérimentation : les “hôpitaux flottants” », in Dix-huitième Siècle, no 33, 2001.
[9]. Elsa Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, 2006.
[10]. J’emprunte cette expression à Michele Birnbaum, « Racial Hysteria: Female Pathology and Race Politics in Frances Harper’s Iola Leroy and W. D. Howell’s An Imperative Duty », in African American Review, vol. 33, no 1, 1999.
[11]. Voir Michel-Gabriel Levacher, Guide médical des Antilles ou études sur les maladies des colonies en général et sur celles qui sont propres à la race noire, Paris, J.-B. Baillère, 1834. Michel-Gabriel Levacher a été médecin sur les habitations de l’île de Sainte-Lucie.
[12]. Jean-Baptiste Leblond, Voyage aux Antilles et à l’Amérique Méridionale, commencé en 1767 et fini en 1802, Paris, Arthus-Bertrand, 1813.
[13]. Se dit des esclaves déportés d’Afrique par opposition aux « nègres créoles ».
[14]. Jean-François Lafosse, Avis aux habitants des colonies particulièrement à ceux de l’Isle Saint Domingue, Paris, chez Royez, 1787.
[15]. Jean-François Lafosse, Avis aux habitants des colonies particulièrement à ceux de l’Isle Saint Domingue, Paris, chez Royez, 1787.
[16]. Elsa Dorlin, « Les Espaces-temps des résistances esclaves : des suicidés de Saint-Jean aux marrons de Nanny Town », in Tumultes, no 27, 2006.