Chaque semaine depuis le mois de janvier 2020, le Groupe de recherche Achac, en partenariat avec CNRS Éditions et les Éditions La Découverte, vous propose un article du livre en open sourcesur son site internet. L’objectif, ici, est de participer à une plus large diffusion des savoirs à destination de tous les publics. Les 45 contributions seront disponibles pendant toute l’année 2020.
Découvrez cette semaine l’article de Christian Benoit et Antoine Champeaux, intitulé « La Grande Guerre des troupes coloniales et des Noirs américains en France ou le refus de la ségrégation raciale ». Cet article s’intéresse à la cohabitation de soldats aux appartenances culturelles extrêmement diverses au sein de l’armée française, engagés dans la Première Guerre mondiale. Les auteurs dressent le portrait d’une armée française fraternelle, peu soucieuse des différences de couleur de peau, et souvent heurtée par le traitement que les autorités militaires américaines réservaient aux soldats noirs.
Article « La Grande Guerre des troupes coloniales et des Noirs américains en France ou le refus de la ségrégation raciale » issu de la partie 4 Dominations, violences et viols de l’ouvrage Sexualités, identités & corps colonisés (p.343-352)*
© CNRS Éditions / Éditions la Découverte / Groupe de recherche Achac / Christian Benoit & Antoine Champeaux (Sexualités, identités & corps colonisés, 2019)
La Grande Guerre des troupes coloniales et des Noirs américains en France ou le refus de la ségrégation raciale
Par Christian Benoit & Antoine Champeaux
Aux côtés des 8 410 000 Français mobilisés au cours de la guerre, combattent en France Belges, Britanniques, Russes, Américains, Italiens, Tchèques, Polonais, Serbes, Portugais… Dans les rangs français combattent 269 950 indigènes d’Afrique du Nord – 172 800 d’Algérie, 60 000 de Tunisie et 37 150 du Maroc – et 215 140 des colonies – 134 210 d’Afrique occidentale et équatoriale française, 43 430 de Madagascar, 34 386 d’Indochine, 2 088 de la Côte des Somalis, 1 026 du Pacifique[1].
Sortis de leur cadre ordinaire de vie, ils sont concentrés dans la zone des armées, placée sous autorité militaire, d’une profondeur d’une centaine de kilomètres par endroit, dont ils ne sortent pas. Ils sont coupés de leur famille et, pour les Alliés et les soldats d’outre-mer, de leur pays. Même si certains sont à l’arrière, dans les centres d’instruction et les dépôts, dans les hôpitaux et les centres de convalescence, parfois en permission, ils vivent le plus souvent séparés des femmes qui, de leur côté, sont seules. Les soldats, dans la force de l’âge, qui ont entre 20 et 50 ans, souvent mariés, sont soumis à une chasteté forcée qui se transforme en une explosion de sexualité dès qu’ils quittent la zone des combats. « On devine, chez beaucoup, un désir impérieux et brutal, assouvi brusquement par hasard ; parfois sur une route, derrière une haie, dans un grenier ou derrière une meule de paille. La peur d’être surpris, la rapidité du rapport ont concentré toute leur attention et ils ne savent ni le nom, ni la profession ou la couleur des cheveux de la femme rencontrée. Il ne leur reste qu’un cuisant souvenir rétrospectif[2]. » Chacun veut se prouver qu’il est vivant, tant, « dans l’imminence de l’abattoir, on ne spécule guère plus beaucoup sur les choses de son avenir, on ne pense guère qu’à aimer pendant les jours qui vous restent puisque c’est le seul moyen d’oublier son corps un peu, qu’on va vous écorcher bientôt du haut en bas[3] ».
La frustration née de la séparation n’est pas moins grande chez les femmes, qui répondent au désir des hommes sans retenue, ignorant les deux freins habituels à leurs épanchements : la crainte de la grossesse et l’infection vénérienne. À l’arrière, notamment dans les usines où, à l’heure de l’Armistice, sont employés 435 000 femmes, 494 000 militaires, 425 000 ouvriers civils, 133 000 adolescents de moins de 18 ans, 13 000 mutilés, 108 000 étrangers, surtout anglais, belges, italiens, portugais, russes, serbes, espagnols, grecs et suisses, 61 000 coloniaux, malgaches, chinois, marocains, kabyles, arabes, annamites et tunisiens, et 40 000 prisonniers de guerre[4], se développe ce qu’un médecin appelle une « prostitution non rétribuée », faute de mieux et même si c’est un oxymore – l’échange sexe contre argent étant le principal critère qui définit la prostitution[5] –, des « ouvrières d’usine, d’atelier […], modistes, dactylographes, etc., femmes salariées (dans cette catégorie rentrent la femme mariée, la femme légitime du mari qu’elle contamine) ». Enfermé dans la contradiction tant le phénomène est inédit, il constate que « cette nouvelle clandestine, cette prostituée vit actuellement comme l’homme : elle travaille, elle devient son égale ; ses salaires sont élevés, elle se suffit donc à elle-même et la place qu’elle occupe dans l’usine, l’atelier… lui donne une nouvelle promiscuité. Il ne faut donc plus s’étonner de voir la femme faire maintenant ce que l’homme a fait de tout temps. Ces femmes ont un métier et ne vivent pas de prostitution ; elles se prostituent pour leur bon plaisir et aucune réglementation ne peut leur être appliquée, pas plus qu’à l’homme[6] ».
Les troupes indigènes
Les soldats indigènes arrivant en métropole n’ont pas tous le même statut politique. Certains sont des citoyens, d’autres des sujets. Citoyens français depuis 1848, les soldats des « vieilles colonies » (Antilles, Guyane, Indes, Réunion) sont incorporés dans les unités blanches des troupes coloniales. En 1914, les « originaires » ou citoyens des quatre communes du Sénégal (Dakar, Gorée, Rufisque, Saint-Louis) revendiquent le même traitement et obtiennent l’année suivante, grâce à leur député Blaise Diagne, premier élu africain d’un Parlement européen, qui fait voter une loi en ce sens, le droit d’être incorporés dans les même formations. Les sujets, soldats de l’armée d’Afrique (Algériens, Tunisiens et Marocains) et ceux des troupes coloniales (issus de l’Empire colonial) sont soumis au code de l’indigénat.
Pour concilier en matière civile, religieuse et familiale (héritage notamment), le droit français et la laïcité, d’une part, avec le droit coutumier local, musulman en particulier, d’autre part, les juristes échafaudèrent peu à peu un régime juridique appliqué d’abord en Algérie puis étendu à l’ensemble des colonies et aux unités indigènes – tirailleurs et spahis de l’armée d’Afrique[7] ; tirailleurs dits sénégalais et malgaches, somalis et indochinois des troupes coloniales[8], dont les hommes sont recrutés par voie d’engagement volontaire. Des indigènes peuvent devenir officiers, en petit nombre il est vrai et sans dépasser, sauf exception, le grade de lieutenant.
L’armée d’Afrique et les troupes coloniales comptent aussi des régiments blancs, dans lesquels sont incorporés les citoyens soumis à la conscription : zouaves et chasseurs d’Afrique de l’armée d’Afrique ; infanterie et artillerie coloniales servant aux colonies. En 1912, tandis que la dénatalité amenuise le contingent recruté, la diminution du nombre des engagés entraîne l’introduction de la conscription en Algérie ; environ deux mille hommes sont incorporés en contrepartie de quelques avantages, droit de vote dans les municipalités, emplois réservés, sans être pour autant des citoyens à part entière. Par décret du 19 décembre 1912, les Algériens ayant accompli leur service militaire sont exemptés du régime de l’indigénat.
La Grande Guerre bouleverse cette organisation militaire, quand les unités avaient un recrutement homogène de citoyens dans les unes et de sujets dans les autres, sauf dans l’artillerie d’Afrique et l’artillerie coloniale, où des indigènes servaient comme soldats ou sous-officiers : Algériens et Tunisiens d’un côté, Malgaches de l’autre.
La mise sur pied d’unités nouvelles, la mise en œuvre de nouvelles méthodes de combat, l’effort fourni par l’arrière sont autant de facteurs permettant aux soldats indigènes de côtoyer les soldats citoyens de métropole ou de l’Empire. Un type d’unités, réunissant citoyens et sujets, apparu pour la guerre au Maroc, quand furent mis sur pied six régiments mixtes avec six bataillons d’infanterie coloniale et douze bataillons de tirailleurs sénégalais (BTS) est repris. Les 11 et 12 septembre 1914, les deux premiers régiments associant un bataillon de zouaves à deux bataillons de tirailleurs algériens voient le jour, qui prennent plus tard le nom de régiments mixtes de zouaves et tirailleurs[9].
Dans les troupes coloniales, la guerre impose le « procédé, qui constitue au combat les bataillons du régiment à trois compagnies blanches et une compagnie noire, [et qui] a donné les meilleurs résultats dans les divisions où il a été mis en pratique. Il sera employé dans les divisions métropolitaines comme dans les divisions coloniales[10] ». Les BTS sont amalgamés à un régiment d’infanterie métropolitain sur six. C’est une des causes de la popularité des Sénégalais auprès des poilus[11]. Certains sont chargés du soutien des opérations à proximité immédiate du front : construction et entretien des routes et des voies ferrées, acheminement du ravitaillement, aménagement des cantonnements. Ils servent aussi dans les camps d’entraînement où les combattants découvrent les nouveaux matériels et apprennent les nouveaux modes de combat. D’autres sont employés comme infirmiers, conducteurs ou ouvriers d’administration.
Les Français et les indigènes
Les Français ne connaissent pas ces hommes qu’ils n’ont vus avant 1914 qu’en de rares occasions et pas tous, loin s’en faut, en visitant les Expositions (Paris 1900, Marseille 1906), le Jardin d’acclimatation[12] ou la galerie ethnographique du musée de l’Artillerie, ancêtre du musée de l’Armée, ouverte en 1877, qui montrent « 72 personnages représentant les principaux types de l’Océanie, de l’Amérique, des côtes de l’Asie et de l’Afrique[13] ». Ils n’ont vu des soldats indigènes qu’au travers de la participation de trois régiments de tirailleurs algériens à la guerre de 1870‑1871, le défilé de la compagnie de tirailleurs sénégalais de la mission Marchand lors du 14 Juillet 1899 à Paris ou de celui de 1913, quand les délégations de vingt-cinq régiments sont venues recevoir leurs emblèmes des mains du président de la République[14].
Quand ils débarquent en France pour se battre à leurs côtés, ces hommes « venus des colonies pour sauver la Patrie[15] », sont fêtés par les Français et, tout au long de la guerre, sont bien accueillis et bien traités (sauf quelques réactions marginales). La société française, en ces temps de guerre, ne fait alors aucune différence entre ces hommes et les autres. Cette attitude est ancienne. Le 4 octobre 1691, le secrétaire d’État à la Marine Louis de Pontchartrain rappelle au lieutenant général des îles de l’Amérique d’Éragny que Louis XIV veut que la liberté soit « acquise par les lois du royaume aux esclaves, aussitôt qu’ils en touchent la terre[16] ». Ils accèdent aux Françaises sans discrimination au point d’en être étonnés.
Tandis que les hommes apprennent à connaître les indigènes avec lesquels ils combattent et que se développe la fraternité d’armes sans laquelle il n’est nul succès au combat, les Françaises se signalent par leur accueil. « Mais les femmes, même les plus ignorantes du monde, étant plus fines que les sous-officiers de l’armée coloniale, elles renoncèrent dès le premier bonjour échangé avec les étrangers, à dire : “ce sont des singes” pour affirmer : “ce sont des enfants”. On comprendra l’avantage qu’elles tiraient de ce nouveau cliché. Il leur donnait licence de s’abandonner avec les nouveaux venus à des épanchements cordiaux, jugés malséants à l’égard d’hommes faits ; l’orgueil des civilisés et celui des maris y trouvaient leur compte et le cliché fut adopté presque unanimement[17]. »
À l’arrière, les travailleurs coloniaux, employés dans les usines d’armement ou les divers chantiers de la Défense nationale, transformés en maraîchers dans les jardins du château de Versailles, ouvriers non spécialisés ou au contraire spécialistes jusque dans l’industrie automobile ou aéronautique, nouvelles technologies de l’époque, vivent au sein de la société française. Les blessés et les convalescents soignés dans les hôpitaux trouvent des occasions de rencontres avec les civils, le personnel médical ou les citadins. Des infirmières et des marraines de guerre entretiennent des correspondances avec des tirailleurs, se rapprochent de ces hommes, leur font des cadeaux, les accompagnent lors de sorties, leur envoient leurs photographies. Ces relations, qu’un officier de l’état-major appelle des « attendrissements regrettables », créent des liens nouveaux entre les tirailleurs et les Français pendant les quatre années de guerre[18].
Des bordels sont ouverts à leur intention, dont cinq à Fréjus et un à Saint-Raphaël à proximité des camps d’hivernage[19], dans lesquels ils couchent avec des prostituées françaises. C’est pour une question d’accès aux prostituées locales et d’ordre de passage qu’une grave bagarre qui fait huit blessés éclate à Arles le 15 août 1915 entre tirailleurs tunisiens et marocains[20]. À Belfort en 1918, fonctionne une maison où « douze femmes blanches » accueillent les hommes de la garnison, « pour la plupart des Noirs et des Marocains », et dont la tenancière est « une négresse[21] ».
Les soldats indigènes fréquentent d’autant plus ces prostituées blanches – et d’autres femmes quand l’occasion se présente – que cela leur est interdit dans les colonies, que la transgression est renversement des valeurs et des préjugés et rejet de l’ordre colonial. « Ainsi reviendra-t‑il au Sénégal, paré du prestige d’avoir connu madame blanc[22]. »
L’attitude des Françaises est la même pour tous, sauf quelques maisons closes où les indigènes ne sont pas acceptés. Aucune considération de couleur de peau, de religion ou d’origine ne les fait en changer. Quand il y a rejet, c’est pour des raisons sanitaires. « Fort souvent les tenancières des maisons de tolérance, dont les établissements sont soumis à la visite médicale, sont venues se plaindre à la mairie que leurs pensionnaires se trouvaient amenées très fréquemment à refuser leurs services à des soldats anglais, canadiens ou hindous, plus ou moins avariés[23]. » C’est la maladie qui rebute les femmes, pas les hommes. La seule mesure visant à mettre un terme aux relations entre un soldat indigène et une Française est la saisie systématique par le contrôle postal de toute la correspondance qui s’échange entre eux. L’analphabétisme de la plupart des hommes la rend sans effet, sauf dans le cas des Indochinois[24].
Dès l’été 1915, il apparaît que les indigènes « ont eu, depuis le début de la guerre, beaucoup de succès auprès de la population féminine de mœurs légères et ils ont ainsi contaminé un grand nombre de femmes qui sont devenues, à leur tour, de dangereux foyers d’infection[25] ».
Les soldats noirs américains
La discrimination raciale instituée aux États-Unis s’applique à l’armée, qui entend la pratiquer en France. Le général Ervin, qui commande la 92e division d’infanterie, composée de soldats noirs, défend, par son ordre du jour no 40, à ses hommes de parler aux Françaises et ordonne à la police militaire d’arrêter ceux qui seraient surpris à le faire. La décision heurte les Français, qui « ne pouvaient comprendre pourquoi les soldats noirs ne pouvaient être traités de manière identique aux soldats américains blancs[26] ». Le 7 août 1918, l’état-major du général Pershing transmet à la mission française de liaison des « informations secrètes » sur les troupes noires, posant en préambule qu’« il importe que les officiers français appelés à exercer un commandement sur des troupes noires américaines ou à vivre à leur contact aient une notion exacte de la situation des nègres aux États-Unis[27] ». Le document, traduit en français et sur le point d’être diffusé sous le timbre de la mission de liaison, est arrêté par Georges Clemenceau, à la suite de l’intervention de Blaise Diagne.
Le 14 décembre 1917, le maire de Saint-Nazaire demande au colonel Bash, qui commande la base américaine de la ville, « 1. Que trois maisons de prostitution soient ouvertes pour les Noirs ; 2. Si cela n’était pas satisfaisant, que des Noires soient acheminées depuis les États-Unis pour ces hommes ; 3. Si aucune de ces propositions n’était acceptée, que tous les Noirs soient renvoyés aux États-Unis[28] ». L’injonction, restée sans suite, vient du fait que « les femmes de la plupart des maisons étaient malades, par traumatismes répétés, suite à la multiplicité des contacts. […] Il est à noter que les maisons étaient surtout fréquentées par des Américains de race noire ou de milieux inférieurs et que la plupart des Blancs continuaient à rechercher les jeunes filles et les femmes non prostituées[29] ». Seule la santé des femmes est en cause.
Dans un General Order du 7 août 1918, le général Pershing considère que « la source la plus fréquente d’infection vénérienne, ce sont les maisons de tolérance réglementées et inspectées[30] », ce qui explique sa décision du 18 décembre précédant de consigner à la troupe les « endroits de débauche, cafés borgnes[31] ». La mesure, qui condamne les hommes aux prostituées de rue et aux clandestines, non moins malades que les pensionnaires de maison, atteste la réalité et l’étendue de la rencontre[32], à l’origine des contaminations.
Quand l’hebdomadaire La Vie parisienne publie en couverture de son numéro du 27 juillet 1918 un dessin de Georges Leonnec, intitulé « L’Enfant du dessert », où une jeune élégante blanche tient le menton d’un tirailleur sénégalais hilare, attablé dans un cabinet particulier, le chef d’état-major de la 92e division apostrophe un officier français : « Votre censure est folle de laisser publier de pareilles choses ; nos Noirs achètent cela et vont l’envoyer chez eux en disant : voilà la façon dont nous sommes accueillis en France[33]. »
L’échec de la discrimination
« Pour les Français, un Noir, c’est d’abord un Africain, donc un sauvage. Puis, ils s’aperçoivent que le Noir américain est doux, affable, déférent à l’égard de ses supérieurs, amusant par ses grimaces et son attitude bon enfant[34]. » Une des raisons qui attirent les Français est le jazz que les orchestres des régiments noirs leur font découvrir et dont ils s’enthousiasment. Les femmes s’engouent de cette musique et de ceux qui la portent[35]. Cette musique fait plus pour le changement d’attitude des Français à l’égard des Africains que l’art nègre, qui ne touche que les visiteurs de la première exposition de masques présentés à la galerie Paul Guillaume à la fin de 1916 ou les lecteurs du livret de vingt-quatre photos les reproduisant[36], et dont Paul Morand souligne la concomitance de son organisation avec la venue des tirailleurs sénégalais[37].
Le mouvement se prolonge après la guerre, qui voit des artistes américains venir en France, attirés par la liberté qu’ils y trouvent, pour diffuser leur musique. Le rythme gagne la chanson française et les spectacles musicaux. La Revue nègre est un succès, dès la première représentation du 2 octobre 1925 au théâtre des Champs-Élysées, et Josephine Baker devient la coqueluche des Français. Il est de bon ton maintenant d’aller au Bal Nègre, ouvert à Paris en 1924 au 33 rue Blomet (15e arr.), danser avec les Antillais[38]. Et, n’en déplaise à Léopold Sédar Senghor[39], si Banania fait figurer un tirailleur sénégalais sur ses produits, c’est pour bénéficier de l’image sympathique du personnage auprès des enfants et de leurs mères. C’est à Paris que se tient, du 19 au 21 février 1919, le premier Congrès panafricain, conçu par le sociologue américain W. E. B. Du Bois, soutenu par Georges Clemenceau et sous la présidence de Blaise Diagne[40].
La guerre qui « nous dépouille des couches récentes déposées par la civilisation et fait réapparaître en nous l’homme des origines[41] », favorise des rencontres inattendues et « la bête qui fait l’amour et la guerre et la révolution[42] » peut parfois être clairvoyante au point de découvrir la part d’humanité de l’autre. Moins de cinquante ans après la fin de la guerre, des Empires coloniaux vieux de plus de trois siècles cèdent la place à des États indépendants, tandis que les droits civiques sont reconnus à tous les Américains.
[1]. Rapport parlementaire du député Louis Marin rédigé en 1919. Cité in Claude Carlier (dir.), L’Empire dans la guerre (1914‑1918), Paris, ministère de la Défense, 1998.
[2]. Dr Léon Jolivet, « Comment se sont contaminés cent vénériens traités dans la zone des armées », in Annales de dermatologie et de syphiligraphie, 1916‑1917.
[3]. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, 1980 [1932].
[4]. Lieutenant-colonel Reboul, Mobilisation industrielle (t. 1), Paris, Berger-Levrault, 1925.
[5]. Alain Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et Prostitution au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 1989 [1978].
[6]. Dr Jean Gouin, « Prophylaxie des maladies vénériennes dans l’armée américaine », in Revue d’hygiène et de police sanitaire, no 40, 1918.
[7]. Anthony Clayton, Histoire de l’armée française en Afrique (1830‑1962), Paris, Albin Michel, 1994.
[8]. Antoine Champeaux, Éric Deroo, La Force noire. Gloire et infortune d’une légende coloniale, Paris, Tallandier, 2006.
[9]. Service historique de la Défense, GR 26 N 854/1, Journal des marches et opérations du 1er régiment mixte de zouaves et tirailleurs, du 12 septembre 1914 au 18 février 1915 ; 26 N 855/1, 2e régiment mixte de zouaves et tirailleurs, du 11 septembre 1914 au 3 septembre 1915.
[10]. Service historique de la Défense, GR 19 N 15, Grand Quartier général, état-major, 1er et 3e bureaux, note no 28480, 26 août 1917.
[11]. Antoine Champeaux, « Les Sénégalais au combat », in Philippe Buton, Marc Michel (dir.), Combattants de l’Empire, les Troupes coloniales dans la Grande Guerre, Paris, Éditions Vendémiaire, 2018.
[12]. Pascal Blanchard, Éric Deroo, Gilles Manceron, Le Paris noir, Paris, Hazan, 2001.
[13]. Musée de l’Artillerie, Galerie ethnographiqe, Paris, Imprimerie nationale, 1877.
[14]. Christian Benoit, « La remise de la Légion d’honneur au drapeau du 1er régiment de tirailleurs sénégalais le 14 juillet 1913 », in Histoire de Défense. Les Cahiers de Montpellier, vol. 1, no 37, 1998.
[15]. Le Chant des Africains, paroles d’un chant de marche de la division marocaine (1915) et musique du capitaine Félix Boyer (1941).
[16]. Cité in Pierre Pluchon, Nègres et Juifs au XVIII siècle. Le racisme au Siècle des Lumières, Paris, Tallandier, 1984.
[17]. Lucie Cousturier, Des inconnus chez moi, Paris, Éditions de la Sirène, 1920.
[18]. Antoine Champeaux, « Les troupes indigènes africaines, comoriennes, malgaches et indochinoises de l’armée française dans la Grande Guerre », in Mondes et Cultures, t. LXXV, 2015.
[19]. Laurent Miribel, Les camps de Fréjus-Saint-Raphaël pendant la Première Guerre mondiale, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Nice-Sophia Antipolis, 1995‑1996.
[20]. Service historique de la Défense, GR 3 H 149, « Rapport du colonel Saint-James, commandant d’armes, sur les collisions entre les tirailleurs tunisiens et marocains, dans la journée du dimanche 15 août 1915 », 18 août 1915.
[21]. Émile Pourésy, « Le bilan de la pornographie », in 3e congrès national contre la pornographie, Fédération des sociétés contre l’immoralité publique, Lyon, 24, 25 et 26 mars 1922, Cahors, A. Coueslant, 1922.
[22]. Raymond Escholier, Mahmadou Fofana, Paris, G. Crès, 1928.
[23]. Centre de documentation du musée du Service de santé des armées, Paris, Val-de-Grâce, A 2391, « Rapport du général Dubois, commandant la subdivision d’Amiens et d’Abbeville », 21 mars 1917.
[24]. Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tap. Histoire des militaires indochinois au service de la France (1859‑1960), Panazol, Charles-Lavauzelle, 1999.
[25]. Centre de documentation du musée du Service de santé des armées, Paris, Val-de-Grâce, A 239.
[26]. Emmett J. Scott, Scott’s Official History of the American Negro in the World War, Chicago, Homewood Press, 1919. https://archive.org/details/scottsofficialhi00scot
[27]. Service historique de la Défense, GR 7 N 2257.
[28]. Cité in Lieutenant-colonel Frank Weed, « Sanitation in the American Expeditionary Forces », in Major General Merritt Weber Ireland (dir.), The Medical Department of the United States Army in the World War (t. 6), Washington, US Government printing office, 1926.
[29]. Service historique de la Défense, GR 7 N 2256.
[30]. Service historique de la Défense, GR 7 N 2256.
[31]. Dr Jean Gouin, « Prophylaxie des maladies vénériennes dans l’armée américaine », in Revue d’hygiène et de police sanitaire, no 40, 1918.
[32]. Lieutenant-colonel Frank Weed, « Sanitation in the American Expeditionary Forces », in Major General Merritt Weber Ireland (dir.), The Medical Department of the United States Army in the World War (t. 6), Washington, US Government printing office, 1926.
[33]. Service historique de la Défense, GR 17 N 48/2, « Compte rendu du capitaine de Metz-Noblat », 29 juillet 1918, cité in André Kaspi, Le Temps des Américains. Le Concours américain à la France en 1917‑1918, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976.
[34]. André Kaspi, Le temps des Américains. Le Concours américain à la France en 1917‑1918, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976.
[35]. Anonyme, « Cet hiver tout sera à la mode nègre », in Parisiana, 26 octobre 1919.
[36]. Paul Guillaume, Sculptures nègres, Paris, chez l’auteur, 1917.
[37]. Paul Morand, Journal d’un attaché d’ambassade (1916‑1917), Paris, La Table ronde, 1945.
[38]. Simone de Beauvoir, La force de l’âge, Paris, Le Livre de poche, 1966 [1960].
[39]. Léopold Sédar Senghor, Hosties noires, Paris, Seuil, 1948.
[40]. « Le congrès panafricain », in Le Petit Parisien, 22 février 1919.
[41]. Sigmund Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2010.
[42]. Pierre Drieu La Rochelle, « La comédie de Charleroi », in La Comédie de Charleroi, Paris, Gallimard, 1982.