Memoire Combattantes

Expositions

Sexe, regards & colonies

« Coloniser, c’est introduire systématiquement de la différence aussi bien dans la parure que dans la cosmétique des corps, dans la chair et par extension dans la structure même du fantasme. »

Achille Mbembe

L’exposition Sexe, regards & colonies raconte comment, depuis le XVe siècle, les empires coloniaux en Europe, au Japon et aux États-Unis ont inventé leur « Autre » dans le souci constant de le dominer —physiquement ou mentalement — en prenant possession tant de son territoire que de son corps. Au cours de leurs vastes entreprises de domination coloniale, les Occidentaux ont ainsi massivement produit et fabriqué des images stéréotypées et fantasmées de l’« Autre », diffusées via une multitude de supports(littérature, peinture, cinéma, photographie, cartes postales…). Cette culture visuelle – qui a légitimé la domination, façonné les imaginaires et entraîné une fascination pour le corps de l’« Autre » – a produit, in fine, un ensemble de fantasmes s’imposant à tous pendant la colonisation et qui perdure dans le présent. Sexe, regards & colonies s’attache ainsi à décrypter et à déconstruire, à travers cinq thématiques – Fantasmes, Dominations,  L’ « Autre », Corps et Résistances –, cette histoire méconnue qui a concerné tous les empires. Dès leurs premières rencontres avec les Amérindiens au XVe siècle, les Européens sont fascinés par ces femmes et ces hommes, nus et « sexuellement libres ». Jusqu’au XVIIIe siècle, la littérature et les arts reproduisent cette image, installant dans l’imaginaire occidental le fantasme des paradis terrestres. À la même époque, l’esclavage se développe entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques : le droit de posséder le corps de

l’« Autre » noir devient un droit et une norme. Le monde s’établit alors selon un ordre sexuel qui autorise les colonisateurs à exercer un pouvoir sur les corps « étrangers », partout où ils se trouvent. À partir du XIXe siècle, et plus particulièrement dans les années 1820-1840, les choses changent avec la constitution de nouveaux empires. Dès lors, s’appuyant sur la légitimité d’un « racisme scientifique » qui éclot au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, les autorités coloniales s’organisent dans le but de contrôler les populations « indigènes », la sexualité,la prostitution, les rapports entre colonisateurs et colonisés et le cadre social de chaque population. La peur du métissage devient un thème central dans les empires européen et états-unien et cette crainte conduit à la réglementation des relations matrimoniales, à des législations sur les métis et, partout, à l’encadrement de la prostitution. Les femmes en sont les premières victimes devenant le plus souvent, des « objets sexuels », comme en atteste la production populaire d’images « exotiques » et érotiques dans les métropoles coloniales.

« Congaï » (jeune fille indochinoise), « négresse » et « Mauresque » hantent désormais l’imaginaire occidental. Les hommes sont eux aussi mis en scène, exhibés et réduits à leur seule corporalité, survirilisée ou efféminée comme en Inde, en Indonésie ou en Indochine. La femme blanche n’échappe pas non plus aux fantasmes projetés sur l’« Autre » et symbolise la ligne raciale, la color line, à ne pas franchir pour les hommes « indigènes ». La Première Guerre mondiale
(1914-1918), marque un nouveau basculement car l’« Autre » (combattant, ouvrier, figurant ou artiste) se trouve désormais au cœur des métropoles ; le temps de l’entre-deux-guerres sera celui du cosmopolitisme et des premières relations mixtes dans les métropoles.

Puis, avec l’effondrement des empires à partir de 1945 (et jusqu’en 1975 pour l’Empire portugais), les violences sexuelles contre les femmes deviennent systémiques de même que l’utilisation du viol comme « arme de guerre » dans tous les empires coloniaux. Les héritages de cette longue histoire demeurent encore vivaces aujourd’hui. Les regards sur l’« Autre » sont en effet toujours empreints des fantasmes visuels du passé, en témoignent de multiples pratiques contemporaines comme le tourisme sexuel ou la pornographie, qui thématise ses productions selon des critères raciaux. Face à leur persistance, nombreux sont les artistes qui s’engagent à déconstruire les stéréotypes et à détourner les imaginaires hérités du passé afin d’offrir de nouveaux regards sur l’altérité.

L’exposition Sexe, regards & colonies propose ainsi une approche inédite de cette culture visuelle, tant par son ampleur chronologique, la densité de son iconographie, sa diversité géographique que par la multiplicité des angles abordés. Elle en présente également les héritages contemporains qui sont au cœur des enjeux de métissage et de diversité dans les sociétés postcoloniales du XXIe siècle.



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