Les tribunes

Titre Les tribunes
« Deux nouvelles commissions sur l’histoire coloniale : Haïti et Madagascar » par le Groupe de recherche Achac

« Deux nouvelles commissions sur l’histoire coloniale : Haïti et Madagascar »

par le Groupe de recherche Achac

« Deux nouvelles commissions sur l’histoire coloniale : Haïti et Madagascar » par le Groupe de recherche Achac

En avril 2025, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la création de deux nouvelles commissions historiques mixtes, l’une en partenariat avec Haïti, l’autre avec Madagascar. Leur mise en place succède aux trois commissions lancées depuis 2017 : celle sur le Rwanda, confiée à une équipe exclusivement française, et deux commissions mixtes consacrées à l’Algérie et au Cameroun. Ces initiatives s’inscrivent dans une dynamique mémorielle sans précédent. Elles témoignent d’une volonté politique de reconnaître les blessures du passé colonial (ou postcolonial) et de permettre à terme une forme de réconciliation. Un tel processus implique à la fois une lucidité sur les faits, une révision critique des récits nationaux et une attention sincère portée aux attentes mémorielles exprimées depuis longtemps par les pays concernés. Les deux nouvelles commissions travailleront, pour l’une, sur la dette d’indépendance imposée à Haïti au XIXe siècle, et pour l’autre, sur l’insurrection malgache du 27 mars 1947 et la violente répression qui s’ensuivit (avec ou non une plus grande perspective historique). Ces enquêtes viendront compléter les précédents travaux (deux moments d’histoire qui ont été largement travaillé par les chercheurs), tout en ouvrant de nouveaux champs d’investigation dans la longue histoire des relations entre la France et ses anciennes colonies. Dans ce contexte, le Groupe de recherche Achac consacre cette semaine sa tribune aux travaux mémoriels engagés durant les deux mandats d’Emmanuel Macron, mais aussi sur ceux initiés par l’Assemblée nationale sur les essais nucléaires réalisés en Polynésie française entre les années 1960 et 1980 (plus critique sur la posture du Président de la République). Autant de chantiers qui témoignent d’une prise de conscience progressive mais aussi d’une certaine limite au regard de l’ampleur des enjeux soulevés en matière de passé colonial.

En matière de lien avec le passé colonial/postcolonial, trois axes marqueront les deux mandats du président de le République Emmanuel Macron : le rapatriement des biens culturels ou des restes humains pillés/volés issus de la colonisation (quoique les régions ultramarines n’aient pas été inclues dans la loi) ; la reconnaissance officielle par l'État français de crimes coloniaux (à l’image du 17 octobre 1961, des crimes de l’Armée française lors de la guerre d’Algérie ou du massacre de Thiaroye) ; la mise en place de commissions d'historiennes et d’historiens dédiées à des configurations coloniales et postcoloniales tragiques, marqués par des guerres (Algérie, Cameroun, Madagascar), un génocide (Rwanda) et la situation d’Haïti… Ces commissions font suite à celle mise en place par François Hollande afin d’éclairer les « événements » et la répression aux Antilles et en Guyane à la fin des années 1950 et dans les années 1960 (notamment en 1967 en Guadeloupe) … avec là aussi des enjeux spécifiques, à l’image de la mission parlementaire et ses conclusions remises le 17 juin 2025 sur les essais nucléaires en Polynésie.

Dans le même temps, le débat sur la création d’un musée traitant de l’Histoire coloniale et postcoloniale a traversé ces deux mandats sans trouver de véritable perspective ou d’engagement. D’aucuns estimeront qu’Emmanuel Macron « ne va pas assez loin » en la matière, d’autres qu’il s’est engagé sur le chemin de la « repentance » à travers cette politique qui marque une rupture avec les pratiques de ses prédécesseurs.

Ces initiatives participent également, notamment les commissions historiques, aux relations diplomatiques entre la France et les pays qu’elle a anciennement colonisés ou, dans le cas du Rwanda, où elle a exercé une influence postcoloniale. Sur les cinq commissions historiques mises en place depuis 2017, deux s’engagent au second trimestre 2025 : l'une sur la dette d’Haïti, l'autre sur la répression de 1947-1948 à Madagascar. Le principe de commissions mixtes d’historiens a été retenu, comme pour l’Algérie et le Cameroun, et à la différence du Rwanda, afin de marquer les derniers mois du second mandat d’Emmanuel Macron.

La première commission initiée par Emmanuel Macron date de 2019 et revient sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda (le Rwanda avait précédemment, de son côté, missionné sa propre commission). Présidé par Vincent Duclert, le groupe de personnalités et de chercheurs a été chargé pendant plus de deux ans par le président de la République Emmanuel Macron de rendre un rapport sur « la France, le Rwanda et génocide des Tutsi ». Ce rapport, finalement remis le 26 mars 2021, soulignait la responsabilité accablante de la France et en particulier de François Mitterrand – voir à ce sujet le livre François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la Françafrique (éditions Philippe Rey, 2025) – dans le soutien aux auteurs du génocide des Tutsi en 1994.

Si la commission Duclert n'a pas pu accéder à toutes les archives – comme celles de la mission parlementaire présidée en 1998 par Paul Quillès, que la présidence de l'Assemblée nationale a refusé de communiquer, ou à celles de Jean-Christophe Mitterrand – ce rapport a néanmoins éclairé décisivement les enjeux de la politique française avant, pendant et après ce génocide. Par la suite, la cérémonie, au Rwanda, en présence d’Emmanuel Macron a marqué un tournant majeur dans l’appréhension de ce passé comme des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.

Depuis, la méthode de la « commission mixte » (avec des historiens des deux pays) a été inaugurée en 2022, l’une sur la colonisation et la guerre d’Algérie, co-présidée par Benjamin Stora, l’autre sur la guerre au Cameroun avec, à sa tête, Karine Ramondy. Alors que l’activité de la commission franco-algérienne a été intense (à la suite de la remise d’un premier rapport par Benjamin Stora), elle est actuellement gelée, suivant le rythme des relations diplomatiques complexes entre les deux États ; la commission Cameroun a, quant à elle, rendu son rapport en 2025, dans un silence des médias assez étonnant.

Co-présidée par la chercheuse française Karine Ramondy et l'artiste camerounais Blick Bassy, cette commission a pourtant permis d’examiner le rôle de la France au Cameroun de 1945 à 1971, période de colonisation et de répression des mouvements indépendantistes et d'opposition. Ses conclusions confirment l’engagement de la France dans la guerre du Cameroun. À partir de 1955, les violences, amorcées dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, se sont intensifiées, culminant avant l’indépendance en 1960, puis se prolongeant sous le régime d’Ahmadou Ahidjo, soutenu par les autorités françaises.

Des nouvelles commissions

À la suite de ces trois expériences, deux nouvelles commissions mixtes d’historiennes et d’historiens (mais aussi d’expert.e.s) sont annoncées au mois d’avril 2025, toujours à l’initiative de la France et à destination de Haïti et de Madagascar.

Le 24 avril 2025, lors d’un déplacement à Madagascar, le président français a ainsi indiqué qu’une commission mixte d’historiens franco-malgache sur la sanglante répression de 1947 et ses « atrocités » allait être mise en place. Elle portera notamment sur l’insurrection malgache du 27 mars 1947, violemment réprimée par les autorités françaises, avec un « bilan estimé » entre 30.000 et 90.000 morts. Déclarant qu’« Il n'y a que vous qui pouvez faire ce chemin de pardon, qui est éminemment intime. Mais nous en créons les conditions, en permettant par ce lien très humain, très personnel et très symbolique, de faire le deuil de ce qui n'est plus », Emmanuel Macron affirme vouloir s’appuyer sur ce travail mémoriel pour instaurer des démarches susceptibles d’accompagner le peuple malgache vers la voie du pardon au regard des souffrances infligées par la France. À cette occasion, le président a aussi rappelé la restitution de trois crânes sakalavas, dont l’un appartenant à un roi malgache tué par l’armée française lors du massacre d’Ambiky en 1897, et l’organisation d’une cérémonie de restitution à Madagascar, prévue en août 2025. Depuis cette déclaration, la commission peine à définir son périmètre d’actions, à valider sa composition et désigner son président.

Le 17 avril 2025, à l’occasion du bicentenaire de la décision par la France d’imposer « la rançon de la liberté » à Haïti, l’Élysée a annoncé l’instauration d’une commission mixte d’historiens franco-haïtiens sur la « double dette d’Haïti », co-présidée par une historienne haïtienne, Gusti-Klara Gaillard-Pourchet. Côté français, c’est un diplomate, Yves Saint-Geours, qui officiera. La commission devra « explorer deux siècles d’histoire, y compris l’impact de l’indemnité de 1825 sur Haïti, analyser les représentations et les mémoires croisées de cet épisode entre nos deux pays, et aborder les développements de la relation franco-haïtienne au XXe siècle ». En France, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) a salué l’initiative et Jean-Marc Ayrault, son président, a précisé : « C’est très important qu’Emmanuel Macron reconnaisse une injustice », « C’est le début d’une nouvelle ère […] qui bien évidemment doit être suivie d’autres ». Et de rappeler à titre d’exemple le mea culpa, en 2022, de la Banque centrale des Pays-Bas, concernant le rôle qu’elle avait joué dans certains des rouages de la traite négrière.

Chaque commission suscite des attentes fortes et un espoir légitime parmi les pays anciennement colonisés, qui attendent de la France des gestes à la hauteur des enjeux. Ce travail de mémoire ravive les douleurs du passé, tout en révélant celles toujours vives dans les sociétés concernées. Il exige donc une vigilance absolue, tant dans le choix des chercheurs que dans le traitement des sujets et la manière dont l’histoire sera restituée.

L’espace politique récent ne se limite pas qu’à la présidence de la République. Actuellement, à l’Assemblée nationale une réflexion est menée dans le cadre de la « Mission d'information sur l’influence de la France dans un monde postcolonial » et une commission d’enquête parlementaire vient de remettre, le 17 juin 2025, ses conclusions sur la Polynésie et les essais nucléaires. La première mission va notamment questionner l’incapacité du président de la République actuel à engager une réflexion sur un musée lié à l’histoire colonial dans un monde postcolonial. La seconde souhaite mettre les conséquences de la politique nucléaire de la France en Polynésie.

La rapporteuse de la commission parlementaire, Reid Arbelot, précise également qu’« Une demande de pardon de la part de la France à la Polynésie française s’impose » ; « Cette demande n’est pas un simple symbole, ni une demande de repentance. Elle doit être une démarche sincère, étape fondamentale dans le cadre d’un processus de réconciliation entre la Polynésie française et l’État ». Pour beaucoup, « c’est au Parlement d’effectuer ce geste au nom de la nation ». En outre, les mesures de réparation exigent, selon les députés, de « refonder » la loi de 2010 qui a créé le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) car le dédommagement des malades demeure trop « restrictif ». Enfin, la commission propose l’ouverture totale des archives et l’instauration d’une journée du souvenir le 2 juillet, date du premier tir nucléaire en 1966.

Une histoire au cœur du récit colonial français, qui fait aussi le lien entre l’Algérie (premier pays test des essais nucléaires) et la Polynésie à partir de 1966. Une histoire qui se prolonge dans les années 1980-1990 avec la trahison de ses engagements par François Mitterrand, qui va reprendre et poursuivre les essais après 1981. Dans l’immédiat, la fin du second mandat d’Emmanuel Macron sera marquée par le travail (et les conclusions) de ces deux commissions qui viendront finaliser le périmètre de son action en lien avec le passé colonial de la France… en espérant que ce « bilan » soit perçu comme positif. 

L’étendue de la politique mémorielle d’Emmanuel Macron est, en France, sans équivalent dans l’histoire récente. Nous ne pouvons que saluer cet effort inédit d’élucidation, même si des réserves peuvent être émises quant aux conséquences concrètes de cette vaste réflexion historique. Deux exemples : tout d’abord, la politique africaine de la France, dont on aurait pu penser le profond renouvèlement au regard des enseignements de l’histoire, a pâtie du « en même temps » macroniste, tendant d’un côté à souhaiter une reconfiguration des anciennes relations tissées par la « françafrique », de l’autre poursuivant son soutien à des régimes mal élus et/ou contestés. Ensuite, cette mise au jour de questions historiques coloniales et postcoloniales brûlantes ne s’est pas accompagnée d’actes qui auraient pu la concrétiser dans le temps (et l’avenir) : comme nous l’indiquions, un musée de l’Histoire coloniale et postcoloniale (à lire l'article The Conversation), mais aussi un renforcement de la recherche universitaire sur ces questions aurait pu être des actions tangibles en ce sens. Il n’en a rien été (à lire l'article du Monde). Ces perspectives demandent évidemment un autre engagement, une vision à long terme et encore davantage de risques politiques. Elles demeurent donc en suspens.