« La mémoire entravée de la colonisation »
par Denis Sieffert
En tribune cette semaine pour le Groupe de recherche Achac, un article pour Politis signé par le journaliste Denis Sieffert dans lequel il présente l’ouvrage France-Algérie. Anatomie d’une déchirure (Les Arènes, 2025) par Benjamin Stora et Thomas Snégaroff. Benjamin Stora est historien, professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord et à l’Institut national des Langues et Civilisations orientales à Paris, spécialiste de la guerre d’indépendance de l’Algérie, de la mémoire de la colonisation et des migrations. Il a récemment co-écrit Doit-on s’excuser de la colonisation ? (Desclée de Brouwer, 2025) avec l’historien Pascal Blanchard (CRHIM, Lausanne). Thomas Snégaroff est journaliste, présentateur de l’émission « Cpolitique » sur France 5 et du « Grand face à face » sur France Inter ainsi qu’historien spécialiste de l’histoire des États-Unis. Ensemble, ils dissèquent l’histoire de la colonisation française en Algérie, qui hante nos sociétés contemporaines, entre devoir de mémoire et instrumentalisation teintée de nostalgie par les mouvances d’extrême droite. Leur ouvrage retrace deux siècles de violences coloniales, de résistances et de répression. Grâce à une approche pédagogique (cartes, données, portraits), ils éclairent une histoire toujours conflictuelle des deux côtés de la Méditerranée.
La mémoire entravée de la colonisation.
En 45 questions, Thomas Snégaroff et Benjamin Stora retracent deux siècles de domination, de luttes et d’exils.
Loi d’amnistie ou lois d’amnésie ? Entre 1962 et 1982, la France fait fonctionner l’ardoise magique. Après 1968, les militaires et les fonctionnaires responsables de massacres et de tortures pendant la guerre d’indépendance algérienne sont amnistiés. L’un des principaux dirigeants de l’Algérie française, Jacques Soustelle, terminera même à l’Académie, et, en 1982, François Mitterrand réintègre dans l’armée les auteurs du putsch de l’OAS.
L’historien Benjamin Stora, dans l’ouvrage qu’il publie avec le journaliste et historien Thomas Snégaroff parle d’une « mémoire entravée ». Le livre se présente comme un grand entretien retraçant cette histoire de 132 années depuis le débarquement des troupes françaises à Sidi Ferruch, le 14 juin 1830, jusqu’aux accords d’Évian de mars 1962. Rien n’est laissé dans l’ombre, des villages massacrés dans la phase de « conquête », de l’émergence du mouvement indépendantiste avec la grande figure de Messali Hadj, jusqu’à la torture et la répression pendant la guerre (1954-1962). Et même au-delà, car les irascibles de la période coloniale n’ont jamais vraiment voulu rendre les armes, fussent-telles idéologiques.
Les auteurs soulignent que « la défense de l’Algérie française » devenue nostalgie très active, est « une composante essentielle de l’idéologie d’extrême-droite ».
Les auteurs ne font pas silence non plus sur les entraves côté algérien. Leur livre est un exercice remarquable de pédagogie, riche de données statistiques sur les mouvements migratoires, de cartes et de courts portraits des grands acteurs de ce passé qui ne passe pas.
Si « scolaire » est un adjectif souvent péjoratif, il prend ici son meilleur sens, en réparation de tous les ouvrages défaillants sur une histoire qui n’en finit pas de tourmenter les deux sociétés. Comme en témoigne notre actualité dominée par un racisme de plus en plus décomplexé.
Chapitre I
1830 - La conquête
Chapitre II
1852 - L’Algérie française
Chapitre III
1954 - La Toussaint rouge
Chapitre IV
1962 - La fin d’une histoire
Chapitre IV
2025 - Les mémoires entravées