« Pourquoi il faut lire L’Afrique contre la démocratie. Mythes, déni, péril »
par Jean-François Akandji-Kombé
En tribune cette semaine pour le Groupe de recherche Achac, Jean-François Akandji-Kombé, doyen honoraire de la faculté de droit de Caen et professeur à l’école de droit de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, encourage à la lecture de L’Afrique contre la démocratie. Mythes, déni, péril (Riveneuve, 2025) d’Ousmane Ndiaye. Journaliste et fin analyste des dynamiques politiques du continent, l’auteur pose une question centrale : la démocratie serait-elle, comme on l’affirme parfois, impossible en Afrique ? À rebours des discours fatalistes et des récits qui présentent la démocratie comme un modèle importé d’Occident, le journaliste met en lumière l’existence d’expériences politiques africaines fondées sur la délibération, la participation et le contrôle du pouvoir, bien avant la colonisation. Cette relecture historique prend un relief particulier alors que se multiplient les putschs et les crises institutionnelles, comme l’a illustré la récente tentative de coup d’État au Bénin. L’ouvrage explore à la fois les racines des cultures politiques africaines et les mécanismes qui nourrissent les impasses actuelles : confiscation du pouvoir, militarisation, fragilités institutionnelles, mais aussi persistance de mythes partagés des deux côtés de la Méditerranée. Inscrit dans les débats décoloniaux et les réflexions panafricaines contemporaines, Ousmane Ndiaye propose de déplacer le regard pour mieux comprendre les conditions d’une démocratie réellement ancrée dans les sociétés africaines. Cette réflexion trouve un écho particulier dans un contexte global où l’Europe et les États-Unis sont confrontés à la progression des extrêmes droites, des populismes et de l’illibéralisme — rappelant que la crise démocratique ne concerne pas un seul continent mais interroge nos façons collectives de concevoir le politique.
L’Afrique contre la démocratie a tout du pavé dans la mare, le premier du genre sur le sujet que cet essai aborde. Son but est d’ouvrir le débat moyennant une critique des discours et pratiques en Afrique à l’égard de la démocratie, des biais de ces discours et pratiques, de leurs impasses, et même de leurs impostures. Dans une Afrique où le débat sur la gouvernance est devenu impossible et l’espace de débat verrouillé au point zéro, le présent écrit ne pourra que susciter des réactions passionnées et passionnantes.
Ousmane Ndiaye a malgré tout osé. C’est à saluer, en tant que contribution concrète et impliquée à un réveil démocratique qui ne peut se réaliser qu’en faisant vivre la contradiction. Mais c’est aussi courageux ! Là se trouve le premier intérêt du présent essai, et son mérite.
Son deuxième intérêt est de documenter une des réponses proposées à la crise démocratique, réponse spécifique s’il en est, caractéristique de cette part du monde qu’est l’Afrique, à savoir que la solution à la crise se trouve dans la révocation pure et simple de l’objet- même de celle-ci.
Le troisième intérêt que trouvera le lecteur au fil de cet ouvrage est que, pour cette entreprise de documentation, Ousmane Ndiaye a choisi, et c’est heureux, de partir du « terrain » qu’il connait bien, comme le journaliste qu’il est ; un journaliste qui a traversé l’Afrique de part en part tout en étant ouvert aux idées et réalités du monde et qui, chemin faisant, a observé, fait parler et a parfois été témoin des confessions de nombre des acteurs déterminants de ce qu’il faut bien considérer comme une tragédie : des maîtres à penser aux réalisateurs de l’opération spéciale qui consiste à « vider » le Continent de la démocratie.
Enfin, la troisième voie d’évacuation de l’exigence démocratique avance sur le mode du péril, lequel se présente ici sous deux formes : le « péril kaki » ou l’apologie des putschs et des gouvernances militaires avec pour revers la disqualification des gouvernements civils d’un côté et, de l’autre, le « péril ONG » si l’on peut dire, incarné par la Fondation de l’innovation pour la démocratie, réédition anachronique des expériences d’injection de la démocratie en Afrique à partir de l’extérieur.
D’ailleurs, et ce sera son quatrième intérêt, le présent ouvrage sort en un temps où la démocratie connaît un recul sans précèdent partout de par le monde, y compris dans les pays d’Occident (Europe et États-Unis en particulier) qui se voulaient jusqu’alors les références en la matière, et qui sont désormais en proie à la montée des populismes, de l’illibéralisme et des autoritarismes, aidée en cela par le désenchantement des peuples à l’égard des élites, des institutions et des procédures démocratiques.
Le lecteur, même le plus placide, ne pourra rester indiffèrent. Il le pourra d’autant moins qu’il découvrira au fil des pages un style vif et agréable, presque intimiste, comme pourrait l’être un récit de voyage parsemé de flash-backs et de traits de réflexion. Un ouvrage à la fois léger et profond, auto-interrogatif et provocant, à la limite du transgressif, qui suscitera réflexion chez tous. Voilà pourquoi il faut lire L’Afrique contre la démocratie !
SOMMAIRE
Préface
Introduction
Chapitre 1. Mythes
« L’Afrique n’est pas faite pour la démocratie »
Alain Foka ou le populisme médiatique
Processus de crédibilisation et légitimation des régimes militaires
Le mythe de la révolution démocratique : le cas du Mali
Le poids des ingérences
De la théorie de la dictature éclairée ou la kagaméphilie
Du mythe de La Baule au mythe des conférences nationales
Droit d’inventaire
De la tragédie des « opposants historiques »
Les fictions démocratiques
Le mythe d’une démocratie à l’africaine
Chapitre 2. Déni
Les nouveaux panafricanistes ou le détournement d’un idéal
L’Occidentalocentrisme à rebours
Tunisie, de la révolution au déni démocratique
Chapitre 3. Péril
Le péril kaki
Les revers de l’évangélisation démocratique
Double standard contre double standard