Les tribunes

Titre Les tribunes
« Paul Doumer. De l’Indochine à l’Élysée »  par Amaury Lorin

« Paul Doumer. De l’Indochine à l’Élysée » 

par Amaury Lorin

« Paul Doumer. De l’Indochine à l’Élysée »  par Amaury Lorin

En tribune cette semaine pour le Groupe de recherche Achac, Amaury Lorin, docteur en histoire de l’Institut d’études politiques de Paris, présente Paul Doumer. La République audacieuse (Champ Vallon, Prix du Guesclin/Prix de la mairie du 8e de la Ville de Paris 2022, réédition 2023), première biographie de Paul Doumer, gouverneur général de l’Indochine pendant cinq ans (1897-1902), avant son élection en 1931 à la présidence de la République, année de l’Exposition coloniale internationale. Amaury Lorin contribue depuis 2010 à la revue Questions internationales (La Documentation française) et au site vie-publique.fr. Il est notamment l’auteur de Variations birmanes (Samsa, 2022, sélection Prix Pierre Loti 2023) et a notamment codirigé l’excellent ouvrage Nouvelle histoire des colonisations européennes (XIXe-XXe siècles) : sociétés, cultures, politiques (PUF, 2013) dont plusieurs chapitres ont été mis en exergue dans l’ouvrage Histoire globale de la France coloniale (Philippe Rey, 2022). Son dernier ouvrage, fondé sur les archives privées inédites de Paul Doumer  (1857-1932), exhumées auprès de ses descendants, comble une lacune importante et paradoxale de notre histoire : alors que 25 000 voies de circulation portent le nom de Paul Doumer partout en France, aucune biographie n’avait encore été consacrée au « président assassiné » (le 6 mai 1932 dans l’exercice de ses fonctions), devenu le « président oublié ». Dans cette perspective, l’auteur donnera une conférence, « Paul Doumer et l’Indochine française (1897-1932) : actions, résistances, mémoires », le 12 novembre 2025 à la Bibliothèque nationale de France, dans le cadre du séminaire « France-Vietnam : un portail entre les cultures », animé par Giang HuongNguyen.

Les Français n’ont, tout au mieux, le plus souvent retenu de Paul Doumer que sa fin tragique, à la manière d’une sanglante apothéose. Comme si l’assassinat du président de la République française le 6 mai 1932 dans l’exercice de ses fonctions avait, par une sorte de grâce funèbre, éclipsé la vie et la carrière de l’homme, d’une densité pourtant étourdissante. C’est presque un sujet en soi : il a fallu attendre 2022, soit quatre-vingt-dix ans après son assassinat, pour que Paul Doumer, né en 1857 à Aurillac, soit enfin considéré comme digne d’être « biographié ». Ainsi cette biographie n’a-t-elle pu s’appuyer sur aucun précédent. Or on le sait : l’établissement de faits, devant un sujet quasi vierge, n’est pas la partie la plus facile du travail de l’historien. Paul Doumer, c’est quarante-cinq ans (1887-1932) de services publics rendus sans discontinuité à l’État républicain français, soit une longue durée en politique, et une vie de sacrifices, à commencer par celui de quatre de ses cinq fils entre 1914 et 1923. Doumer est ainsi l’un des rares, avec Poincaré, à exercer une influence tout à la fois sur le début et sur la fin de la IIIRépublique.

L’histoire s’écrit avec des sources, ce rappel est un truisme : cette biographie s’appuie ainsi sur les archives privées inédites de Paul Doumer, exhumées en 2013 suite à mes contacts depuis 2002 avec ses descendants. Le contenu intégral de son bureau dans sa maison (privée) de Cosne-sur-Loire (Nièvre), acquise en 1925 alors qu’il était ministre des Finances, fut d’abord mis en vente en 2013 salle Favart à Paris. Il risquait alors d’être dispersé dans des collections privées. En raison des fonctions exercées par Doumer, les Archives nationales purent retirer in extremis de la vente aux enchères publique les cinq lots de la « collection du président Doumer ». Le fonds Paul Doumer (1857-1957, 724AP, 20 cartons) fut ainsi créé en 2014 aux Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine). L’enquête biographique put dès lors prendre de l’épaisseur grâce aux nombreux documents nouveaux les plus divers – papiers personnels, contrats, correspondances, factures, discours, photographies, dessins, notes, fiches, manuscrits, répertoires, etc. – contenus dans ce fonds.

Actif sur tous les grands dossiers du régime – en particulier l’expansion coloniale en Asie, le développement des relations franco-russes, l’impôt sur le revenu, les lois ouvrières, la mise en place des commissions parlementaires, la loi portant la durée du service militaire de deux à trois ans, le relèvement d’après-guerre, les réparations –, participant à toutes ses heures héroïques ou critiques – en particulier le siège de 1870, le boulangisme, la défense de Paris à l’automne 1914, la crise financière des années 1920, le réarmement –, Paul Doumer donne l’impression de traverser la longue IIIe République avec tout à la fois constance et opportunisme. 

Parachuté dans l’Aisne, dans l’Yonne, puis en Corse, le fils de cheminot, très affranchi des partis politiques, est placé à quatorze ans comme apprenti graveur dans un atelier de fabrique de médailles par sa mère veuve. Il est député, sénateur, ministre des Finances à trois reprises, et préside tour à tour chacune des deux chambres de représentation nationale, la Chambre des députés (1905-1906), puis le Sénat (1927-1931).

On me demande souvent si Paul Doumer est « de gauche » ou « de droite », et, surtout, comment il a « fait », entre chance et prise de risque. Sans anachronisme, un tel parcours serait-il encore possible aujourd’hui ? La IIIe République ne discourt pas sur la réduction de l’inégalité des chances. Elle la pratique, dans les faits. Type même du méritocrate, sans équivalent dans l’histoire des chefs d’État français, Doumer présente, selon moi, au moins trois des qualités qui garantissent une longue carrière politique : la persévérance ; le goût du combat ; et une conscience indépendante. 

Ponctué tour à tour de temps forts et de temps morts, son parcours imbrique constamment des niveaux nationaux et locaux, métropolitains et coloniaux, ce qui le rend particulièrement intéressant. Paul Doumer apparaît inclassable politiquement. Il a, il me semble, beaucoup à dire à la France de 2025. Il ose, en effet, assurément faire preuve d’audace : une pulsion vitale, qui ne craint pas de combattre les difficultés à leurs racines.

Informations pratiques (conférence) :
Mercredi 12 novembre 2025, 16h30-18h00

Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, salle 70, quai François Mauriac, 75013 Paris.

Entrée libre et gratuite
Contact : amaury.lorin@sciencespo.fr.