Les tribunes

Titre Les tribunes
« Faidherbe, héros ou “Néron colonial” » par Aly Sine

« Faidherbe, héros ou “Néron colonial” »

par Aly Sine

« Faidherbe, héros ou “Néron colonial” » par Aly Sine

Aly Sine, directeur du patrimoine et du tourisme à Saint-Louis au Sénégal, docteur en sciences (ULB, Belgique) et en géographie (UGB, Sénégal), est spécialiste des questions d’urbanisme, de planification et développement territorial, ainsi que de la décentralisation et de la gestion du patrimoine mondial. Dans son article « Faidherbe, héros ou "Néron colonial" », il s’intéresse à la mémoire du général Louis Faidherbe. Officier du génie affecté au Sénégal en 1851, puis gouverneur de la colonie sous le Second Empire (1854-1861 et 1863-1865), Faidherbe a longtemps été célébré comme l’architecte de la présence française en Afrique de l’Ouest. Il a tout particulièrement marqué la ville de Saint-Louis en y développant son urbanisme, son administration et son système éducatif, tout en menant des campagnes militaires pour asseoir la domination coloniale. Si son image a été portée par le pouvoir colonial puis entretenue après l’indépendance, elle est aujourd’hui largement contestée, en témoigne (pour certains) le déboulonnage de sa statue à Saint-Louis en 2023. Désormais perçu comme un acteur central de la violence coloniale, son avenir dans l’espace public sénégalais suscite un vif débat qui s’inscrit dans une dynamique plus large de réévaluation du passé colonial et de réappropriation mémorielle. En tribune cette semaine, le Groupe de recherche Achac propose de découvrir en intégralité l’article d’Aly Sine, paru dans la Revue d’histoire culturelle XVIIIe-XXIe siècles (novembre 2024).

En Afrique occidentale, la majorité des États ont mobilisé après l’Indépendance leur patrimoine à des fins idéologiques dans le cadre de la construction nationale (identité et mémoire)1. De ce point de vue, leur politique patrimoniale est historiquement idéologique et devait contribuer à l’édification d’un projet de société autour d’une histoire, de symboles et de références communs2. Au Sénégal, l’héritage colonial, représenté essentiellement par les villes de Gorée, Saint-Louis et Rufisque, a été patrimonialisé et ces dernières classées sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco3.

 

À Saint-Louis, le classement de l’île inclut aussi certains des monuments témoins tangibles de cette époque, à l’instar de la statue de Faidherbe4 qui symbolise le pouvoir colonial incarné à travers son personnage de gouverneur de la colonie du Sénégal et de l’Afrique occidentale (1854-1861 et 1863). De la période coloniale jusqu’à la fin du XXe siècle, il est présenté comme le sauveur, le libérateur, le bâtisseur du Sénégal et de Saint-Louis ; la nation sénégalaise et la ville de Saint-Louis lui doivent « reconnaissance5 ». Ce récit « aseptisé » et/ ou « esthétisé » de Faidherbe issu de la doctrine patrimoniale promue par l’État du Sénégal à Saint-Louis dans le cadre de la construction nationale, repris et véhiculé également par d’autres acteurs sur le plan local, national et international, a fonctionné comme une sorte de mimétisme reproduisant celui du pouvoir colonial.

 

Toutefois, ce récit quasiment « uniformisé6 » du mythe héroïque de Faidherbe a commencé à s’effriter vers la fin de la décennie 1990, remis en cause par la communauté mouride lors de la célébration du Magal des rakkas7. Durant cette édition, les Baye Fall8 ont intenté le déboulonnement de la statue Faidherbe. Depuis son transfert au Centre de Recherche et de Documentation du Sénégal (CRDS), pour raisons de travaux en 2019, le spectre d’en découdre avec « Faidherbe » plane comme une épée de Damoclès. À partir de 2017, de nouveaux mouvements apparaissent à Lille et à Saint-Louis9. Ils s’insurgent contre le « colonialiste forcené », le « criminel de haut rang », le « tyran colonial10 », en mettant en lumière ses nombreux crimes et actes barbares à l’encontre des populations autochtones en Afrique Occidentale Française (AOF) et en Algérie, donnant ainsi l’image d’un « Néron colonial »11.

 

L’article examine ainsi l’évolution historique des perceptions en compétition à l’égard de Faidherbe et le processus de sa dépatrimonialisation au Sénégal (Saint-Louis) et en France (Lille). En effet, à son indépendance, l’État du Sénégal adopte une politique nationale largement inspirée du système français et de ses valeurs12, notamment sur le plan culturel et patrimonial. Inscrite au sein de deux séquences temporelles, celle-ci apparaît « mimétique » de celle de la métropole, autant dans ses orientations que dans ses pratiques et méthodes13. Une première séquence (1960-1998)14 se caractérise par la sublimation de l’image de la France coloniale au Sénégal et de ses héros, notamment Faidherbe, à travers un message esthétisé promu par le pouvoir colonial et repris par l’État du Sénégal, à l’indépendance, et certains acteurs locaux, nationaux et internationaux. Ce récit mimétique, encontinuum, fonctionne comme une forme d’esthétisation de la colonisation à travers le patrimoine architectural et urbain de Saint-Louis dont Faidherbe constitue le plus célèbre orfèvre au regard de son action relative à l’urbanisation de Saint-Louis15. Une seconde séquence (1998-2024)16 est marquée par la remise en cause du mythe (héroïque) de Faidherbe. L’évènement déclencheur remontant à septembre 1998, des actions et des situations défavorables à Faidherbe et à son mythe se sont ensuite enchaînées : la chute de sa statue à Saint-Louis (2017), la naissance de mouvements anti-Faidherbe à Lille et à Saint-Louis, le transfert de sa statue au CRDS (2019) et, enfin, la décision par les autorités municipales de Saint-Louis et de Lille d’engager une « dé-faidherbisation17 ».

 

Outre l’examen des temporalités et des moments charnière, nous nous interrogerons sur les facteurs qui ont déterminé ses évolutions et sur le rôle du pouvoir politique, des mouvements d’opposition comme des acteurs internationaux et tenterons de voir ce qui fait la particularité de l’histoire du patrimoine colonial urbain au Sénégal et de sa mémoire. La première partie de notre analyse portera un regard sur l’action de Faidherbe au Sénégal et en France (nord de la France), la seconde analysera le mythe « esthétisé » de Faidherbe à Lille et à Saint-Louis ; enfin, la seconde partie examinera les éléments consécutifs au déclin de l’image d’Épinal de Faidherbe dans ses territoires de prédilection.

 

Rappel historique de l’action militaire et coloniale de Faidherbe dans la colonie du Sénégal et en France

Né à Lille, Louis Faidherbe (1818-1889) a fait ses humanités au collège de Lille et au collège Royal de Douai. Il fréquente, ensuite, l’École Polytechnique et l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz et en sort comme officier en 184218. Après sa formation, il est affecté, par intermittence, en Algérie (1844 à 1846 et 1849-1852) où il participe à de nombreuses expéditions (Chétif, Petite Kabylie, etc.). Affecté au Sénégal en 1852 comme chef du génie et directeur des Ponts et Chaussées, Faidherbe est aussi nommé, en 1854, sous le Second Empire, gouverneur de la colonie du Sénégal. Il débute une longue odyssée coloniale et engage le renforcement de la colonisation du Sénégal. Il se forge, au fil du temps, l’image du pacificateur, du libérateur et du fondateur de la colonie du Sénégal19et de l’empire colonial français en Afrique occidentale française (AOF). Nommé commandant de l’armée du nord (1867) à son retour à Lille, le général Faidherbe défend la région nord durant la guerre franco-prussienne (1870-1871).

 

Faidherbe, le héros du nord

À Lille, Faidherbe s’illustre sur le plan militaire et politique. Il s’oppose aux Allemands à Pont-Noyelles et Bapaume, sa résistance épargnant aux départements du Nord d’être occupés par l’ennemi20. Sur le plan politique, il est élu député républicain à l’Assemblée nationale dans les départements de la Somme et du Nord-Pas-de-Calais (1871), puis sénateur du Nord (1879-1888). Son engagement a été apprécié par les habitants de la région qui lui rendirent de son vivant et après sa mort différentes formes d’hommages21, le considérant comme un « héros consensuel22 », « un héros de l’histoire de France, un « victorum pater23 ». Cette image d’Épinal d’un héros de la France, en particulier du Nord, était, par ailleurs, répandue dans les colonies de l’AOF, notamment au Sénégal.

 

Faidherbe : bâtisseur du Sénégal et « urbaniste » de la ville de Saint-Louis

Gouverneur de la colonie du Sénégal, Faidherbe hérite d’un territoire en « léthargie24 » et/ou « endormi25 ». S’inspirant, sans doute, des échecs de ses prédécesseurs qu’il assiste en qualité de sous-directeur du Génie, il engage la conquête du Sénégal en vue de son exploitation et son développement économique au service de la métropole26. Mettant en œuvre les nouvelles orientations des autorités du Second Empire27, il débute la construction d’équipements et d’infrastructures (ports, postes militaires, routes, chemins de fer, travaux de dragage du fleuve, hôpitaux, etc.) et engage l’installation d’institutions (écoles, administration locale, tribunaux, etc.) permettant l’exploitation optimale des ressources humaines, agricoles, minières et naturelles de la colonie au profit de la métropole. Saint-Louis28 a également bénéficié de ses privilèges. Faidherbe met ainsi en œuvre la volonté de la France de chercher des débouchés économiques dans ses colonies que les autorités considèrent comme des espaces devant assurer une présence mondiale de la France et à son développement29

 

Il engage, en ce sens, la pacification du Sénégal dont la sécurité était fragile à l’époque en raison, notamment des razzias maures et des luttes entre les rois et chefs de guerre locaux30 qui perturbaient les activités commerciales sur le fleuve31. Ses « succès guerriers » en font, désormais, le maître incontestable du Sénégal, du nord au sud32. Graduellement, il intègre les territoires du bassin du Niger et du Soudan occidental33 même si la conquête du Sénégal n’est achevée et son cadre frontalier dessiné qu’après son départ34. À Saint-Louis, le général Faidherbe met en œuvre des travaux d’envergure qui ont contribué à dessiner la morphologie urbaine actuelle de l’île (rehaussement des quais, ouvrages de franchissement du fleuve35, éclairage public36, équipements administratifs, etc.). Il s’est fait ainsi « l’urbaniste de Saint-Louis37 ».

 

D’un autre côté, mettant en œuvre l’instruction du gouvernement provisoire de la Seconde République38, Faidherbe engage une politique d’assimilation culturelle par l’éducation39. Il exécute son projet d’étendre et d’imposer l’enseignement de la langue française40 dans l’ensemble de la colonie du Sénégal et des territoires de l’AOF. « L’école des otages41 », devenue en 1860 l’École des fils de chefs et des interprètes, assurait la formation des auxiliaires de l’administration coloniale, dont les futurs diplômés devaient « prendre la direction du mouvement civilisateur envers leurs semblables42 ». Progressivement, d’autres établissements d’enseignement publics sont installés à Saint-Louis et au Sénégal43. En 1919, Saint-Louis étrenne son premier lycée dénommé « Lycée Faidherbe ».

 

Cette politique répondait, globalement, aux objectifs de domination coloniale et d’exploitation économique du Sénégal et des territoires de l’AOF. Sur ce plan, il est apparu que Faidherbe, par son action coloniale, a influencé et imprimé son empreinte sur le territoire sénégalais et ses institutions. Au Sénégal, et à Saint-Louis en particulier, une mémoire s’est forgée (ou a été forgée) en reconnaissance des aspects jugés positifs de sa politique. Le récit en question met l’accent sur l’action « civilisatrice » de la France et de ses exécutants, laquelle est indissociable de l’action militaire et urbanistique de Faidherbe.

 

Le mythe de Faidherbe au Sénégal 

Une commémoration institutionnelle esthétisée à l’instar du récit patrimonial de Saint-Louis 

Lors de son Indépendance, le Sénégal accorde une attention particulière à la protection, la conservation et la valorisation de son patrimoine44, notamment celui hérité de la colonisation et représenté, essentiellement, par Gorée et Saint-Louis45. Le Sénégal mobilise, à cet effet, l’expertise nationale et internationale afin d’inventorier et de mettre en place une politique nationale de protection et de valorisation de son patrimoine architectural et urbain, en particulier dans les deux villes. En 1976, un conseil national de l’urbanisme déplore l’état de délabrement des édifices de l’île de Saint-Louis et préconise la mise en œuvre d’un plan de sauvetage. Élaboré en 1984, ce plan recommande le classement progressif de l’île et la réhabilitation/rénovation d’une cinquantaine d’édifices majeurs46. Saint-Louis devenait, ainsi, après Gorée, le lieu « d’interprétation positive » de la colonisation sous ses « aspects esthétiques », la dépouillant de toute scorie47 et le principal laboratoire d’instrumentalisation de l’histoire coloniale48, dont le récit était raconté à travers son cadre urbain, son architecture et ses expressions culturelles. 

 

Cette vision esthétisée de la colonisation s’inscrit, globalement, dans la perspective senghorienne de la négritude à travers l’une de ses célèbres boutades « la colonisation est un mal nécessaire49 ». Cette pensée du poète-président met en exergue la facette « nécessairement positive » de la colonisation à l’opposé d’une autre qui incarne le mal, ce « mal à haïr50 ». C’est donc à partir de ce postulat que Senghor souhaite, par une dialectique féconde, édifier la nation sénégalaise ; une nation qui doit profiter de l’apport positif et des avantages de la colonisation, mais aussi apprendre, et faire apprendre, ses méfaits et inconvénients. Par ailleurs, c’est sans doute dans l’optique d’uniformiser, de rendre audible et visible la mémoire coloniale esthétisée de Saint-Louis et d’éviter une concurrence mémorielle susceptible de la brouiller que l’État du Sénégal a passé sous silence un certain nombre de faits historiques relatifs à l’esclavage et à la traite négrière51. Saint-Louis symbolise ainsi ce côté élégant de l’œuvre coloniale à travers la variété de ses monuments et expressions culturelles52

 

Ce récit « aseptisé » du fait colonial et de ses témoins nourrit donc, de manière prépondérante, la patrimonialisation de l’île de Saint-Louis ; un récit qui ne peut être dissocié du personnage de Faidherbe qui en constitue la clé de voûte au regard de son empreinte sur l’urbanisation. Faidherbe pourrait ainsi être considéré, en double qualité de directeur du génie puis de gouverneur, comme « l’urbaniste » de l’île. 

 

Plusieurs lieux au Sénégal portent son nom. Certes, cette toponymie remonte à l’époque coloniale, mais, à l’indépendance, ces équipements ont gardé, pour l’essentiel, le patronyme Faidherbe. À Saint-Louis, il existe le lycée Faidherbe (devenu Lycée Oumar Foutiyou Tall en 1984), le pont Faidherbe et la place Faidherbe (devenue place Baya Ndar, en 2024)53. En outre, le récit esthétisé de Saint-Louis est soutenu par une partie de la population locale, les Dommu Ndar ou Ndar Ndar54 et la population métisse. En effet, dans les années 1970, s’est développée à Saint-Louis une conscience citoyenne née de l’engagement des Dommu Ndar à redorer le blason de leur cité pour la sauver d’une « mort programmée55 ». Cette situation « d’une ville endormie à cette époque56 », a conduit les Dommu Ndar à se regrouper dans des associations pour lutter contre la mort de la première capitale du pays. Le CARSAL (Comité d’Action pour la Rénovation de la ville de Saint-Louis), la Convention des Saint-Louisiens et l’ARCAS (Association pour la Restauration et la Conservation de l’Architecture de Saint-Louis) s’assignent alors la mission de redresser la ville, en menant des actions de sensibilisation et de restauration du patrimoine. Ils organisent des colloques, des ateliers, des conférences et procèdent, par leurs propres moyens ou avec l’appui de partenaires, à la restauration de bâtiments sur l’île. Ces associations se mobilisent ainsi, aux côtés de l’État, pour la renaissance de leur ville57 et prônent le retour des Dommu ndar « au pays natal58 » dans le but de les voir contribuer à sa renaissance, à son développement et à la préservation de son patrimoine historique59

 

Dans le même sillage, un autre groupe de citoyens, notamment des hommes d’affaires, met en place, en partenariat avec la municipalité, un syndicat d’initiative et de tourisme en 1991 dont la mission principale est de promouvoir le tourisme dans la région60. En matière de partenariat, la ville de Lille a été incontournable dans la mesure où elle est jumelée à Saint-Louis depuis 1978. Elle a contribué, de ce fait, à travers plusieurs programmes de coopération, à la mise en œuvre de la politique de développement urbain et de mise en patrimoine de Saint-Louis61. Ce qui a, sans doute, contribué à « transférer » la vision française du patrimoine colonial aux agents municipaux de Saint-Louis et participé à la formulation d’une image esthétisante du patrimoine colonial de Saint-Louis et de Faidherbe. Ainsi, la mobilisation citoyenne locale, bénéficiant d’une conjonction d’ambitions politiques et économiques d’acteurs locaux, nationaux et internationaux a permis de régénérer l’histoire de Saint-Louis enfouie dans son patrimoine bâti dont la conservation et la valorisation devenaient, in fine, une préoccupation sociale, politique et économique. Cet héritage revêt, depuis 2000, les valeurs d’universalité que lui confère son inscription sur la liste du patrimoine mondial62.

 

L’île de Saint-Louis patrimoine mondial : une universalité du récit colonial

L’inscription de l’île de Saint-Louis au patrimoine mondial couronnait une série d’études et d’actions en faveur de la préservation, de la restauration, de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine immobilière historique et esthétique de la ville63. En acceptant d’inscrire l’île de Saint-Louis au patrimoine mondial, l’Unesco institutionnalisait et consolidait le récit patrimonial esthétique du fait colonial sur Saint-Louis64. Par ailleurs, l’inscription de l’île au patrimoine mondial a été un élément déclencheur pour le rayonnement international de la ville et son développement touristique65 ; Saint-Louis est alors « vendue » sous le label de « ville coloniale », ce qui a sans doute renforcé cet imaginaire au-delà des frontières du Sénégal. 

 

Appropriation populaire et détournement patrimonial : Maame Faidherbe, un imaginaire collectif d’un génie tutélaire et protecteur de l’île de Saint-Louis

Au Sénégal, dans les localités situées à proximité de cours d’eau (lacs ou fleuves) et de la mer, il est fréquent de noter l’existence d’une mythologie autour d’un génie de l’eau. Généralement surnommé Maame Coumba, il protège et veille sur la localité66. L’expression Maame Coumba est composée de Maame qui signifie, en Wolof, Grand-parent et Coumba qui est un prénom féminin (sénégalais). « Maame Coumba » fait donc allusion à la Grand-mère protectrice, bienveillante, affectueuse, prodigieuse, etc., à l’égard de ses petits-enfants67. D’une localité à l’autre, des rites particuliers (offrandes, libations, sacrifices, danses, chants…) sont périodiquement organisés en son honneur, contribuant à renforcer l’imaginaire collectif et l’identité territoriale. À Saint-Louis, Maame Coumba Bang est le génie de l’eau et l’esprit de la ville, mais elle partage cet imaginaire populaire avec Faidherbe. Ainsi, Maame Faidherbe jouit de la même considération référentielle et des pièces de monnaie étaient jadis jetées par les visiteurs et les touristes68 au pied de la statue en guise d’offrandes et de demandes de protection69. Toutefois, ce mythe d’un Faidherbe auréolé s’est, progressivement, détérioré au profit d’une autre représentation, celle du « tyran et sanguinaire », à l’image d’un « Néron colonial ».

 

Déclin ou déchéance du mythe de Faidherbe (1998-2024)

Depuis plus de trois décennies, Faidherbe est la cible de mouvements qui contestent sa notoriété et son statut de héros-bâtisseur du Sénégal. L’acte 1 a été posé en 1998 par les Baye Fall70. Depuis cet incident, une succession d’événements a contribué à la déchéance du héros qui fait face à des mouvements anti-Faidherbe (nationaux et internationaux). Ces derniers portent le combat de sa démythification auprès des autorités publiques, notamment des collectivités territoriales71 qui, à leur tour, ont pris des initiatives allant dans le sens de la « dé-faidherbisation » ou de la « désapprobation du passé colonial de Faidherbe72 ».

 

 

 

Le mouridisme une confrérie anticoloniale et anti-Faidherbe

À Saint-Louis, le processus de dépatrimonialisation s’est accompagné de l’émergence de nouvelles mémoires, le plus souvent, en conflit avec la mémoire coloniale fondatrice de Saint-Louis, de ses symboles et de ses témoins matériels comme immatériels. En effet, au fil du temps, des mémoires anticoloniales comme celle issue du mouridisme ont émergé, proposant une réinterprétation de l’histoire coloniale. La confrérie mouride, jadis considérée par le pouvoir colonial comme une menace à la colonisation73, s’est, à ce titre, positionnée comme porteuse d’une doctrine anticolonialiste74. Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké (1853-1927), son fondateur75, est considéré par ses adeptes comme le héros de la lutte anticoloniale au Sénégal pour sa « résistance pacifique76 ». La prière des deux rakkas, qu’il a prononcée, le 5 septembre 1895, dans le bureau du gouverneur durant son audience de jugement, est perçue comme un acte de défiance envers l’autorité coloniale. Ce geste témoigne, pour les mourides, de son courage, de sa foi et de son engagement à vouloir libérer son peuple asservi par le pouvoir colonial77. Selon le Kurel78, le Cheikh avait choisi ce lieu mythique et symbolique de Saint-Louis pour délivrer le message de la résistance pacifique et montrer sa détermination à servir sa foi dans quelque circonstance que ce soit. La communauté mouride commémore, chaque 5 septembre79, cet acte (prière) du Cheikh. 

 

Ainsi, depuis plus d’une trentaine d’années80, des milliers de fidèles mourides81 viennent en pèlerinage à Saint-Louis dans le but de célébrer ce « geste symbolique » de Serigne Touba82. Cette prière, tenue sur l’ex-place Faidherbe, constitue également, au-delà de son caractère religieux, un moment de dénonciation des dérives du colonialisme et remet au goût du jour le spectre du déboulonnage de la statue de Faidherbe par les disciples mourides jusqu’à son transfert au CRDS en 2019. Auparavant, d’une édition à l’autre, l’Administration déployait un dispositif sécuritaire chargé de sa protection83

 

Le 5 septembre 1998 : début de la déchéance du mythe de Faidherbe ?

Le 5 septembre 1998, des Baye Fall ont cherché à déboulonner la statue Faidherbe. Cet événement a occasionné une altercation entre ces derniers et les jeunes des quartiers de l’île84. Il a aussi provoqué un incident diplomatique entre la France et le Sénégal85. Il a fallu l’intervention des autorités administratives et politiques régionales auprès des autorités religieuses de Touba86 pour faire cesser l’agitation et prévenir toute forme d’agissements similaires. Toutefois, malgré l’absence de vandalisme, la statue fut habillée en tenue Baye Fall, ces derniers souhaitant la « mouridiniser87», posture qui constitue une forme de revanche sur le colonialisme et ses symboles, en premier lieu Faidherbe.

 

La dégringolade de la statue Faidherbe le 5 septembre 2017 : action humaine ou divine ? 

Le Magal des deux rakkas est considéré comme un événement à haut risque pour la statue Faidherbe. Dans la nuit du 4 au 5 septembre 2017, la statue tombe, subitement, à la suite de violentes pluies. Ce phénomène a ravivé et enflammé la polémique sur Faidherbe et les causes de la dégringolade de sa statue. Cet évènement, amplifié par les réseaux sociaux, est diversement apprécié. Certains estiment que la statue est tombée de manière « naturelle » du fait de l’absence d’entretien et d’autres soupçonnent la main « humaine » par des actes de vandalisme. Enfin, un troisième groupe, notamment les disciples mourides, attribue la chute de la statue à la puissance mystique du Cheikh88. Dans la foulée, certains talibés mourides téméraires ont proposé l’érection d’une statue de Cheikh Ahmadou Bamba à la place de celle de Faidherbe. Malgré les mouvements de contestation, le ministère de la Culture a dépêché une mission de la Direction du Patrimoine Culturel, en relation avec les autorités municipales, qui a remis, le 21 septembre 2017, à l’aube, la statue sur son piédestal comme faisant « partie de l’histoire de Saint-Louis89 ». Cette action a encore accru le débat sur la présence de la statue Faidherbe sur la place éponyme. Le collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe, a, dans la foulée, envoyé une lettre ouverte au maire de Saint-Louis protestant contre la remise sur pied de la statue représentant « le bourreau sanctifié, le tortionnaire glorifié et la figure du criminel immortalisée90 ». Ce geste du collectif s’inscrit, par ailleurs, dans le cadre d’un mouvement planétaire contre « les statues de la discorde91 ».

 

De 2015 à 2020 : une succession d’évènements favorables à la déchéance du héros Faidherbe 

Ces dernières années, se sont développés, à travers le monde, des mouvements de contestation contre la célébration des grandes figures esclavagistes, colonialistes et racistes, dont les statues ont été déboulonnées, caillassées ou peintes en rouge, notamment en Belgique, en France92, etc. À Saint-Louis comme à Lille, la statue de Faidherbe est dans le collimateur du collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe, de l’association Survie Nord93 et du collectif « Faidherbe doit tomber ». Dans une synergie d’action, notamment par le biais des réseaux sociaux et l’organisation de manifestations, ces structures se sont liguées contre « le criminel de haut rang » en mettant en avant son bilan macabre au Sénégal et en Algérie94, bilan que le « tortionnaire impitoyable95 » assumait fièrement96.

 

2020-2024 : les conseils municipaux de Saint-Louis et Lille à l’assaut de Faidherbe 

En 2020, la mort de l’afro-américain Georges Floyd vient, une fois de plus, enflammer la toile et le monde en relançant la polémique sur la présence des monuments du passé colonial et esclavagiste97. C’est ainsi que les conseils municipaux de Saint-Louis et de Lille réagissent aux interpellations des associations précitées en engageant des initiatives visant la « dé-faidherbisation » ou la « désapprobation du passé colonial de Faidherbe ».

 

À Saint-Louis, le conseil municipal entend « déliter la charge trop émotive sur Faidherbe et restaurer l’histoire dans toutes ses facettes98 ». En conséquence, la Commune procède à la débaptisation de la place Faidherbe et la renomme Baya Ndar. Baya n’est autre que l’appellation en langue locale du mot « place », ce qui correspond au nom jadis donné par la population locale à ladite place afin d’éviter de prononcer le nom de Faidherbe.

 

À Lille, le Conseil municipal décide « d’inverser les symboles d’une question gênante99 » et appose, en décembre 2023, une plaque d’informations supplémentaire au pied de la statue de Faidherbe dans le but, d’une part, d’éclairer sur ces atrocités dans l’empire colonial et d’assurer ainsi une information juste rétablissant la vérité historique100 et, d’autre part, de « désapprouver le passé colonial » du héros du nord. Ces actes constituent-ils des avancées (des victoires pour les associations) dans le processus de « dé-faidherbisation » ? 

 

Conclusion

Le mythe d’un Faidherbe héros de la colonisation au Sénégal a survécu jusqu’à la fin du XXe siècle. Promu par le pouvoir colonial et entretenu par l’État du Sénégal indépendant et certains acteurs du monde politique, économique et socio-culturel, ce mythe s’est effrité au gré des évolutions politiques nationales et internationales. Aujourd’hui, le visage d’un colonialiste forcené, d’un criminel de haut rang est dénoncé, ce qui suggère de nouveaux rapports entre la France et le Sénégal. Actuellement, à Saint-Louis comme à Lille, on s’interroge sur l’avenir de Faidherbe dans l’espace public. À Saint-Louis, la question est de savoir si Faidherbe retournera sur son piédestal à l’achèvement des travaux de la place Baya, s’il restera au musée du CRDS ou sera transféré au musée des forces armées. Ces trois hypothèses animent le débat public sur Faidherbe au Sénégal mais pose, plus généralement, celui des relations entre la France et le Sénégal au regard des orientations promues par les nouvelles autorités. En effet, même si la « dé-faidherbisation » paraît irréversible, celle-ci pourrait prendre un nouvel élan en raison notamment des postures nationalistes, souverainistes et panafricanistes que prônent les nouvelles autorités. Ces dernières souhaitent un changement de codes et de paradigmes dans les relations avec la France et ses « reliques101 ». L’actuel Premier ministre Ousmane Sonko, figure de proue du gouvernement, avait, en ce sens, donné le signal en débaptisant des rues à « consonance coloniale » dans la ville de Ziguinchor en sa qualité de maire. Cette posture du pouvoir imprimera, sans doute, la nouvelle politique culturelle et patrimoniale du Sénégal et devrait hâter la déchéance du colon Faidherbe, au détriment de son personnage héroïque que la ville de Lille tente de conserver.

Notes

1 Aly Sine, « Les enjeux du patrimoine colonial au Sénégal. De la construction idéologique au développement touristique. Études de cas des villes de Gorée, Saint-Louis et Rufisque », thèse en cotutelle dirigée par Anya Dieckmann et Oumar Diop, Université Libre de Bruxelles, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2020, 330 p. 2 Patrice Béghain, Le Patrimoine : culture et lien social, Paris, Les Presses de Sciences Po, collection de la bibliothèque du citoyen, 1998.

3 Gorée a été classée en 1978, Saint-Louis en 2000 et Rufisque figure sur la liste indicative depuis 2004.

4 La statue de Faidherbe a été érigée à la place éponyme en 1887.

5 « À son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant ». Cette phrase est gravée dans le marbre du socle qui porte la statue de Faidherbe sur la place éponyme.

6 Bénédicte Grailles, « Louis Faidherbe, général républicain et fils du Nord. Entre image d’Épinal et culte régional (1870-1914) », Revue du Nord, vol. 350, n° 2, 2003, p. 359-378.

7 Magal des deux rakkas ou Magal Niari rakkas yi est un évènement religieux qui commémore la prière des deux rakkas (deux rakkas désignent deux unités de prière dans la religion musulmane) que le fondateur du mouridisme avait prononcée durant son audience de jugement dans le bureau du palais du Gouverneur de la colonie. Cet acte est considéré comme un acte de défiance envers l’autorité coloniale.

8 Ce sont des disciples mourides reconnaissables par leur habillement et leur obéissance absolue au guide religieux. Ils sont affiliés à Cheikh Ibrahima Fall, dit Lamp Fall (vers 1856-1930) qui fut l’un des principaux disciples d’Amadou Bamba (1853-1927). Les Baye Fall opérationnalisent la doctrine mouride érigeant le travail et le don de soi au rang de culte au même titre que la prière. Ils sont par ailleurs considérés comme la branche armée du mouridisme Ce dernier prône la soumission au guide et le culte du travail. Voir Constant Hamès, « Charlotte Pézeril, Islam, mysticisme et marginalité : les Baay Faal du Sénégal », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 144 | octobre-décembre 2008, document 144-51, consulté le 06 octobre 2024, http://journals.openedition.org/assr/19783. Voir aussi Cheikh Anta Babou, Le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiyya au Sénégal (1853-1913), Paris, Karthala, 2011.

9 On peut noter l’association Survie du Nord, le collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe et le Collectif « Faidherbe doit tomber ».

10 Manifeste du mouvement « Faidherbe doit tomber », https://survie.org/IMG/pdf/dossier_faidherbe_doit_tomber_avril_2018.pdf 

11 Nous employons l’expression « Néron colonial » pour paraphraser les mouvements contestataires (Survie du nord, Faidherbe doit tomber, collectif sénégalais contre la commémoration de Faidherbe, etc.) à l’égard de Faidherbe, le qualifiant de « colonialiste forcené », de grand criminel, de tyran colonial, de sanguinaire, à l’image du roi Néron, au vu de ses nombreux crimes et atrocités à l’égard des populations des colonies en Afrique occidentale et en Algérie.

12 Donal Cruise O’Brien, Momar-Coumba-Diop, Mamadou Diouf (dir.), La Construction de l’État au Sénégal, Paris, Karthala, 2002. Cette posture s’inscrit également dans la manière par laquelle le Sénégal a pris son indépendance en essayant de garder ses relations avec la France dans le cadre d’une organisation dénommée « Communauté Française d’Afrique ». Voir aussi Assane Seck, Sénégal, émergence d’une démocratie moderne, 1945-2005. Un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005 ; Kathrin Heitz, « Décolonisation et construction nationale au Sénégal », Relations Internationales, 133, 2008, p. 41-52.

13 Mamadou Seyni Mbengue, La Politique culturelle au Sénégal, Paris, Unesco, 1973. Voir aussi Aly Sine, « Les enjeux du patrimoine colonial au Sénégal. De la construction idéologique au développement touristique. Étude de cas de Gorée, Saint-Louis et Rufisque », thèse citée ; Hamady Bocoum et Bernard Toulier, « La fabrication du Patrimoine : l’exemple de Gorée (Sénégal), In Situ, 20|2013, http://journals.openedition.org/insitu/10303

14 Ces deux dates sont symboliques dans le processus de patrimonialisation au Sénégal et dans celui de l’évolution des perceptions à l’égard de Faidherbe à Saint-Louis. 1960 est l’année d’indépendance du pays. L’année 1998 est celle du premier évènement visant le déboulonnement de la statue Faidherbe par les Baye Fall.

15 Aly Sine, thèse citée.

16 Le 5 septembre 1998, les Baye Fall, disciples de la confrérie mouride au Sénégal, ont tenté de déboulonner la statue Faidherbe de son piédestal, début de la déconstruction du mythe/ de l’image d’Épinal de Faidherbe.

17 Nous employons ce néologisme pour qualifier le processus de démythisation de Faidherbe. Le 26 septembre 2020, le conseil municipal a débaptisé la place Faidherbe en Place « Baya Ndar ». 

18 Alain Coursier, Faidherbe, Du Sénégal à l’armée du Nord, préface de Pierre Pierrard, Paris, Tallandier, 1989 ; Babacar Niang, Le Gouverneur Faidherbe à Saint-Louis et au Sénégal (1854-1861/1863-1865) Mythes et réalités dans l’œuvre du précurseur de la colonisation française en Afrique occidentale, Paris, L’Harmattan, Études africaines, 2021 ; Boubacar Barry, La Sénégambie du XVe au XIXe siècle : Traite négrière, Islam et conquête coloniale, Paris, L’Harmattan, 1988.

19 En tant que territoire homogène, avec des frontières, dans le cadre de la colonisation.

20 Alain Coursier, op. cit.

21 L’État français lui attribue le grade de Grand-Croix de la Légion d’Honneur à Faidherbe en 1880. Dans le même sillage, le nom Faidherbe est présent dans plusieurs villes du Nord de la France, notamment à Lille (1889), Caudry et Vieux-Condé (1885), Cysoing (1886), Fournies (1887), Aniche (1888), Douai, Provin, Roubaix, et Walincourt (1889).

22 Alain Coursier, op. cit.

23 Bénédicte Grailles, art. cité.

24 Ibid.

25 Alain Coursier, op. cit., p. 42.

26 Babacar Niang, op. cit.

27 Sous le Second Empire, les autorités avaient défini de nouvelles orientations politiques envers les colonies, visant notamment la mise en place de gros investissements destinés à leur exploitation économique au service de la métropole.

28 Saint-Louis fut la capitale (le chef-lieu) de l’Afrique occidentale Française (AOF) de 1885 à 1902. Voir Camile Camara, Saint-Louis du Sénégal, évolution d’une ville en milieu africain, Dakar, IFAN, 1968 ; Alain Sinou, Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Paris, Karthala-Orstom, 1993 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, « Villes coloniales et histoire des Africains », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 20, octobre-décembre 1988, p. 49-73. 

29 Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, « Colonisation : la politique coloniale sous le Second Empire », https://www.fm-gacmt.org/memoires-et-savoirs/articles/la-politique-coloniale-sous-le-second-empire#chapitre-la-structure-administrative-de-l-empire-colonial, consulté le 1er août 2024.

30 Faidherbe s’est opposé aux rois et chefs de guerre locaux (musulmans ou non musulmans) qui résistaient à la pénétration française au Sénégal parmi lesquels El hadji Oumar Tall, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, la reine du Walo Ndatté Yalla, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, etc. Il livra plusieurs batailles avec la majorité de ces chefs de guerre ou rois, dont El hadji Oumar Foutiyou Tall. Chef de guerre musulman qui prêchait le Jihad, appelé « guerre sainte » contre les Français, El Hadji Oumar a livré bataille avec Faidherbe dans différents lieux de la vallée du fleuve Sénégal (Podor, Bakel, Médine, etc.).

31 Oumar Kane, La Première hégémonie peule, Paris, Karthala, 2004.

32 Alain Coursier, op. cit., p. 44.

33 Ibid.

34 Céline Ardurat, « L’électrification du Sénégal de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale », Outre-mer, tome 89, « L’électrification outre-mer de la fin du XIXe siècle aux premières décolonisations », n° 334-335, 1er semestre 2002, p. 439-457, https://doi.org/10.3406/outre.2002.3949 

35 Faidherbe engage la construction de deux ponts : le premier reliant l’île à la Langue de Barbarie et le second au Sor. Ce dernier ouvrage flottant, inauguré en juillet 1865, est baptisé du nom de Faidherbe par arrêté impérial du 3 octobre 1865. Ce pont flottant est remplacé par un pont métallique, l’actuel pont Faidherbe, dont l’inauguration a eu lieu en 1897 par le ministre des Colonies André Lebon.

36 Selon La Gazette de Saint-Louis n° 9 et 10 (2009), Saint-Louis a bénéficié d’un réseau d’éclairage public bien avant Paris.

37 Régine Bornadel, Saint-Louis du Sénégal : Mort ou naissance, Paris, L’Harmattan, 1993.

38 La Seconde République décrète l’instruction obligatoire dans les colonies.

39 Denise Bouche, « L’école française et les musulmans au Sénégal de 1850 à 1920 », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 61, n° 223, 2e trimestre 1974, p. 218-235, www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1974_num_61_223_1756), consulté le 1er août 2024.

40 Moyen d’endiguer le progrès de l’islamisation qui était considérée comme un frein à l’expansion.

41 L’école des otages est le premier établissement d’enseignement public dans les colonies de l’AOF.

42 Avant l’instauration de l’enseignement laïque, c’est l’enseignement religieux (catholique) qui était en vigueur, dispensé par les écoles de confessions catholiques. Il existait à côté la Madrasa pour l’enseignement arabo-islamique. Aussi, au début, l’enseignement laïc était réservé aux seuls captifs (esclaves) avant d’être étendu progressivement aux fils de chefs et aux « indigènes ». 

43 L’enseignement est étendu dans les zones rurales au-delà des quatre communes (Gorée, Saint-Louis, Dakar et Rufisque). Il concernait également les indigènes.

44 Hamady Bocoum et Bernard Toulier, op. cit ; Mamadou Seyni Mbengue, op. cit. ; Léopold Sédar Senghor, Discours de Senghor au festival mondial des arts nègres, Archives du Sénégal, 1966. Léopold Sédar Senghor, Négritude et civilisation de l’universel Liberté, Tome 3, Paris, Seuil, Vol. 1‑3, 1977. Voir aussi le cercle de Richelieu qui a produit un nombre considérable de travaux sur Senghor et sa vision politique et poétique : https://www.cercle-richelieu-senghor.org/leopold-sedar-senghor-le-poete-lecrivain-et-le-politique-ou-senghor-lafricain/ 

45 En 1971, l’État du Sénégal met en place la Loi 71-12 du 25 janvier 1971 fixant le régime des monuments historiques et celui des fouilles et découvertes, premier texte qui organise la politique du patrimoine au Sénégal toujours en vigueur.

46 Rapport du cabinet Louis Berger.

47 Ibid., p. 14.

48 Aly Sine, thèse citée. 

49 Léopold Sédar Senghor, Négritude et civilisation de l’universel Liberté, op. cit. Voir aussi les travaux du colloque organisé par l’Assemblée nationale française sur l’œuvre de Senghor « Léopold Sédar Senghor : la pensée et l’action politique », Actes du colloque organisé par la section française de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, 26 juin 2006.

50 Léopold Sédar Senghor, Hosties noires, Paris, Seuil, 1984. 

51 La période de l’esclavage et de la traite négrière est occultée et ses témoins sont « gommés ». La seule esclaverie connue a été transformée en boîte de nuit. Voir Abdoul Sow, « L’Île de Saint-Louis du Sénégal, formes spatiales et formes sociales : destinées d’une ville », thèse dirigée par Guy Burgel, Université Paris X-Nanterre, 2008.

52 Voir Ousmane Socé Diop, Karim, suivi de Contes et Légendes d'Afrique Noire, préface de Robert Delavignette, 3e édition, Paris, Nouvelles éditions latines, 1966. Cet écrivain qualifie Saint-Louis de « centre de l’élégance, du raffinement et du bon goût ».

53 On retrouve le patronyme Faidherbe à Dakar (avenue Faidherbe, hôtel Faidherbe, pharmacie Faidherbe), à Kaolack (rue Faidherbe), à Dagana (Fort de Faidherbe), etc.

54 Dommu Ndar ou Ndar Ndar signifie littéralement fils ou fille de Ndar (Saint-Louis).

55 Entretien avec Abdoulaye Chimère Diaw, ancien maire de Saint-Louis, 10 septembre 2015. M. Diaw faisait allusion au transfert de la capitale du Sénégal de Saint-Louis vers Dakar. Il en garde un souvenir amer. D’ailleurs, il nous explique que cela a été le déclencheur de ses futures responsabilités municipales.

56 Régine Bonnardel, Saint-Louis du Sénégal, mort ou naissance, Paris, L’Harmattan, 1993. 

57 Fodé Diop, La Sauvegarde de l’Île de Saint-Louis, rapport pour le compte de la direction du patrimoine ethnographique et historique, 1998, p. 80.

58 Expression empruntée à Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal.

59 L’ARCAS a engagé, au début des années 1990, la restauration d’édifices patrimoniaux de grand intérêt architectural sur la rue Blaise Diagne. Quelques années plus tard, une autre association majoritairement composée de personnes métisses poursuit l’effort de réhabilitation. 

60 Parmi ses actions, figurent la mise en place du circuit touristique actuel de la ville et l’élaboration d’un dépliant promotionnel de Saint-Louis, ainsi que la formation de guides qui ont contribué à perpétuer le récit esthétisé de Saint-Louis.

61 L’École d’architecture de Lille a réalisé l’inventaire architectural et urbain de Saint-Louis dans le cadre d’un programme de coopération entre les villes de Saint-Louis, de Lille et Lille Métropole Communauté urbaine. Pierre Mauroy présidait, à l’époque, aux destinées des deux institutions lilloises.

62 Saint-Louis a été inscrite au patrimoine mondial en 2000 au titre des critères (ii) et (iv). 

63 Décret 76-277 du 3 mars 1976 constituant l’île de Gorée et Saint-Louis en zones de rénovation urbaine.

64 Aly Sine, thèse citée.

65 Bernard Toulier, « Saint-Louis du Sénégal, un enjeu pour le patrimoine mondial », In Situ [En ligne] | 2003, http://journals.openedition.org/insitu/1623, consulté le 12 août 2024.

66 Aly Sine, thèse citée.

67 Les habitants des localités se considèrent comme étant ses petits-enfants.

68 Jusqu’au moment du déplacement de la statue au niveau du CRDS, les guides touristiques, sans doute pour des raisons pécuniaires, recommandaient aux touristes de sacrifier à cette tradition. 

69 Personnellement, j’ai vécu cette pratique au début des années 1990 lors de mon premier séjour à Saint-Louis. En visitant différents lieux symboliques de l’île, dont la place Faidherbe, mon hôte m’a invité à jeter une pièce de monnaie au pied de la statue de Maame Faidherbe en guise d’offrandes et de sacrifices, pratique que j’ai honorée.

70 Les Baye Fall sont des disciples de la confrérie mouride ; ils se caractérisent par leur accoutrement multicolore, leur « fanatisme » envers leur marabout. Le mouridsime ou encore Mouridiyya est une confrérie (Tarikha) musulmane du Sénégal.

71 Au Sénégal, les collectivités territoriales ont la compétence de baptiser ou débaptiser les équipements et infrastructures publics urbains, les rues et places publiques etc.

72 En décembre 2023, la mairie de Lille a apposé une plaque au pied de la statue de Faidherbe à Lille sur laquelle est inscrite « la mairie de Lille désapprouve le passé colonial de Faidherbe ».

73 Paul Marty, Études sur l’Islam au Sénégal, collection de la Revue du monde musulman, Paris, Ernest Ledoux éditeur, 1917 ; voir aussi Khadim Mbacké, « La Tariqua des mourides », Africa: Rivista Trimestrale Di Studi e Documentazione Dell’Istituto Italiano per l’Africa e l’Oriente, 53(1), p. 102-120, http://www.jstor.org/stable/40761247

74 Surnommé « serigne Touba » (le guide religieux de Touba) ou Bamba, il s’est opposé, de manière pacifique, à la pénétration coloniale, a été déporté plusieurs fois en divers endroits par le colonisateur. L’exil le plus célèbre est celui au Gabon (1895), exil célébré chaque 5 septembre à Saint-Louis. Plusieurs études ont été consacrées au mourdisme et à ses adeptes. Voir Momar Coumba Diop, « La confrérie mouride : organisation politique et mode d’implantation urbaine », thèse de doctorat (3e cycle), Université de Lyon, 1973 ; Jean Copans, Les Marabouts de l’arachide, la confrérie mouride et les paysans du Sénégal, Paris, L’Harmattan, 1985 ; Donald B. Cruise O’Brien, The Mourids of Senegal. The political and economic organization of an Islamic Brotherhood, Oxford, Clarendon Press, 1969.

75 Cette confrérie est la seconde au Sénégal et rassemble plus du tiers de la population sénégalaise.

76 À l’époque coloniale, certaines personnalités au Sénégal se sont opposées au pouvoir colonial sans prendre les armes, mais leur influence auprès des populations était bien réelle. Ces personnalités étaient le plus souvent des marabouts, qui ont incarné, d’après l’historien sénégalais Iba Der Thiam, une résistance pacifique (voir Iba Der Thiam, et al. Histoire générale du Sénégal : des origines à nos jours, HGS Editions, 2019, vol 1 ; 3, 752p).

77 Cheikh Anta Babou, Le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiyya au Sénégal (1853-1913), op. cit.

78 Le Kurel est la structure locale qui s’occupe de l’organisation du Magal des deux rakkas.

79 La première édition remonte à 1976. Voir Cheikh Anta Babou, Le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiyya au Sénégal (1853-1913), Paris, Karthala, 2011.

80 La première édition a été organisée en 1976 (Cheikh Anta Babou, op. cit.).

81 En 2014, le Kurel des deux rakkas a estimé le nombre de pèlerins à plus d’un million de fidèles venus de toutes les localités du Sénégal, de l’Afrique et de la diaspora.

82 Cheikh Anta Babou, op. cit.

83 Aly Sine, thèse citée.

84 Les jeunes des quartiers nord et sud de l’île se sont opposés au vandalisme de la statue par les disciples mourides, jugeant que celle-ci faisait partie du patrimoine de Saint-Louis.

85 Aly Sine, thèse citée.

86 Le Khalife Général des mourides est l’autorité suprême de la confrérie. Son ndiguel (injonctions recommandations/ paroles) ne peut être contesté par les disciples, il est appliqué à la lettre.

87 Néologisme signifiant convertir au mouridisme.

88 Voir Aly Sine, thèse citée et « Intempéries : Faidherbe tombe à Saint-Louis », Le Quotidien, 6 septembre 2017, https://lequotidien.sn/intemperies-faidherbe-tombe-a-saint-louis/, consulté le 6 août 2024.

89 Abdoul Aziz Guissé, Directeur du Patrimoine Culturel du Sénégal, interrogé par le journal Enquête + dans sa parution du 22 septembre 2017 et de France 24, https://observers.france24.com/fr/20170922-polemique-saint-louis-statue-faidherbe-colonie-francais

90 Lettre ouverte adressée au maire de Saint-Louis, le 7 septembre 2017, par le collectif « Faidherbe doit tomber ».

91 Jacqueline Lalouette, Les Statues de la discorde. Essai sur les figures déboulonnées, Paris, Édition Passés composés, 2021. 

92 https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/12/du-sud-des-etats-unis-a-la-france-des-statues-deboulonnees-pour-une-histoire-partagee_6042614_3210.html, consulté le 06 août 2024.

93 L’association Survie est une association qui lutte contre le néocolonialisme français, notamment la France-Afrique. Créée en 1984, elle mène un travail d’enquête et de critique sur ces thèmes dans le but d’amener les autorités à prendre en charge certaines revendications (https://survie.org/l-association/ 

94 Dans un document consultable sur le site « wwww.faidherbedoitomber », le collectif dresse le bilan des massacres de Faidherbe au Sénégal et en Algérie.

95 Manifeste « Faidherbe doit tomber », https://survie.org/IMG/pdf/dossier_faidherbe_doit_tomber_avril_2018.pdf

96 Dans une lettre adressée à sa mère en 1851 durant son séjour en Algérie, Faidherbe se réjouit d’avoir « détruit de fond en comble un charmant village de deux cents maisons et tous les jardins. Cela a terrifié la tribu qui est venue se rendre aujourd’hui ». 

97 Aurélia Michel, « George Floyd et l’histoire de France. Une demande d’histoire publique », Écrire l’histoire [En ligne], 20-21 | 2021, consulté le 14 août 2024, http://journals.openedition.org/elh/2271

98 Propos du maire dans son rapport de présentation lors de la séance de vote relative à la débaptisation de la place Faidherbe, le 26 septembre 2020.

99 Propos de Marie Pierre Bresson, adjointe au maire de Lille, lors d’une visite à Saint-Louis le 28 au 31 octobre 2023, dans le cadre du programme de coopération avec Saint-Louis.

100 La ville de Saint-Louis et la ville de Lille ont à ce titre mis en place un comité scientifique chargé de réfléchir sur la « conduite à tenir » et une position commune et scientifiquement documentée vis-à-vis de Faidherbe.

101 Notamment le franc CFA et d’autres symboles et faits historiques (massacre de Thiaroye en 1944), etc.