Les tribunes

Titre Les tribunes
« Immigration et marché du travail : 
regardons la réalité en face » par Hakim El Karoui

« Immigration et marché du travail :  regardons la réalité en face »

par Hakim El Karoui

« Immigration et marché du travail : 
regardons la réalité en face » par Hakim El Karoui

Figure engagée de la société civile, Hakim El Karoui est reconnu pour ses travaux sur la régulation du libre-échange, les inégalités intergénérationnelles, la refondation de l’Occident, ainsi que sur les questions de laïcité, de diversité, d’immigration et d’intégration. Il est notamment l’auteur de plusieurs études sur la cohésion nationale en France, publiées par l’Institut Montaigne. Parallèlement, il a lancé plusieurs initiatives, dont le Club XXIe Siècle (qu’il préside), les Young Mediterranean Leaders, l’AMIF (Association Musulmane pour l’Islam de France) et le Comité d’action pour la Méditerranée. Fondateur du cabinet de conseil Volentia, il participe activement au débat public. Il est chroniqueur pour L’Opinion et signe régulièrement des tribunes dans Les Échos et Le Figaro. En tribune cette semaine pour le Groupe de recherche Achac, Hakim El Karoui présente son rapport « Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ? ». Dans un contexte de vieillissement de la population, de pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs et d’inquiétude sociale alimentée par des discours politiques polarisés, il s’interroge sur l’avenir démographique français, conditionné par l’intégration de travailleurs immigrés. S’appuyant sur des analyses récentes, il livre un ensemble de mesures pour appréhender les différents scénarios migratoires d’ici les prochaines décennies ; un sujet déjà au cœur du débat public.

Ce rapport dresse un état des lieux objectif de la contribution des immigrés à l’économie française, à rebours des discours idéologiques dominants. Dans un contexte marqué par le vieillissement démographique, l’aggravation des tensions de recrutement et la montée des besoins dans les secteurs essentiels, l’apport des travailleurs immigrés apparaît décisif pour préserver l’équilibre de notre modèle social. Le maintien du ratio actifs/inactifs à un niveau soutenable passera inévitablement par un recours accru à la main-d’œuvre étrangère. Encore faut-il que la France repense son modèle d’intégration, aujourd’hui largement défaillant.

Loin d’être inédite, l’immigration de travail a régulièrement permis à la France de soutenir sa croissance, sa reconstruction ou sa démographie insuffisante depuis le XIXe siècle. Pourtant, depuis l’arrêt officiel de l’immigration de travail en 1974, le débat public s’est recentré sur des enjeux de contrôle des flux (asile, regroupement familial, immigration illégale), occultant le rôle structurel des immigrés dans le fonctionnement de l’économie française.

L’analyse du marché du travail montre que les immigrés restent essentiels dans des secteurs en forte tension : santé, soins à la personne, BTP, logistique, informatique, hôtellerie-restauration. La crise sanitaire de 2020-2021 a brutalement révélé cette dépendance lorsque les fermetures de frontières ont exacerbé les pénuries de main-d’œuvre. Les immigrés sont également présents dans des métiers qualifiés : un médecin sur cinq exerçant en France est diplômé à l’étranger.

Malgré leur contribution manifeste, les immigrés subissent encore précarité, déclassement, discriminations et moindres perspectives de promotion professionnelle. Cette sous-utilisation de leurs compétences constitue à la fois une perte économique et un facteur de tensions sociales.

Le rapport démonte aussi le mythe du coût excessif de l’immigration. L’exemple de la Seine-Saint-Denis, à la fois département le plus précaire et parmi les plus contributeurs en cotisations sociales (8e département le plus contributeur… et dernier receveur !), illustre que la viabilité de la protection sociale repose sur le travail, non sur l’origine des travailleurs. À ce titre, les immigrés contribuent de façon décisive au financement de la protection sociale. 

L’avenir démographique impose une réflexion lucide. Les projections montrent qu’aucun scénario plausible de fécondité et de migrations n’empêchera, sans un apport migratoire significatif, une dégradation du ratio de soutien démographique. Pour stabiliser ce ratio, il faudrait accueillir environ 310 000 nouveaux immigrés par an à l’horizon 2040-2050. Ce niveau est comparable à celui de 2022, mais supérieur à la moyenne des années 2010. L’accroissement des taux d’activité des jeunes, des seniors et des femmes pourrait réduire partiellement cet objectif, sans l’annuler.

La solution n’est donc ni l’ouverture sans contrôle, ni le repli. Il s’agit de maintenir une politique migratoire active et ciblée sur les besoins économiques, en y adossant enfin une véritable politique d’intégration. L’Europe entre dans un « hiver démographique » qui rendra la compétition mondiale pour attirer les travailleurs qualifiés de plus en plus rude, y compris pour retenir ses propres talents. Face à ces mutations, la France doit inventer un nouveau modèle d’immigration de travail rationnel, sélectif et assumé. Et définir enfin une politique d’intégration qui manque aujourd’hui cruellement : parce que l’immigration va continuer, à la demande de la société française et de son économie. 

Il faut donc préparer l’accueil, éviter la concentration géographique des populations immigrées, ne pas nier les problèmes d’identité des enfants de l’immigration et déployer un discours et une politique conforme aux valeurs républicaines : l’égalité, la liberté, la fraternité. Beaucoup de travail et de débats en perspective… 

SOMMAIRE 

Introduction

1. Politique d’immigration et travail en France

2. Les immigrés permettent l’ajustement du marché du travail

3. Une France sans immigration ?

Conclusion : nous allons faire appel à l’immigration et les politiques migratoires doivent changer