Les tribunes

Titre Les tribunes
Corps noirs et médecins blancs Par Delphine Peiretti-Courtis

Corps noirs et médecins blancs

Par Delphine Peiretti-Courtis

Corps noirs et médecins blancs Par Delphine Peiretti-Courtis

Delphine Peiretti-Courtis est agrégée et docteure en histoire, elle enseigne à l’Université d’Aix-Marseille et elle est membre du laboratoire TELEMME. Elle travaille sur la construction des savoirs et des stéréotypes raciaux et sexuels sur les corps noirs, masculins et féminins, des populations d’Afrique subsaharienne, dans la littérature médicale de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle.

Robustesse et performance des corps, sexualité et attributs sexuels démesurés, émotions exacerbées ou encore paresse, ces préjugés raciaux et sexuels qui affectent parfois encore les représentations des corps noirs, masculins et féminins, dans la société française, sont les héritages de constructions scientifiques, bâties sur le temps long, du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, que ce livre propose d’interroger. 

L’étude scientifique de la diversité humaine, qui apparaît avec les travaux des naturalistes au milieu du XVIIIe siècle, atteint son paroxysme avec les médecins français, anatomistes, chirurgiens, puis avec les praticiens de terrain, de la Marine puis des colonies, ainsi que les anthropologues, souvent médecins de formation, au XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle. Dans cette ferveur taxinomique qui anime leurs recherches, ils s’intéressent à une altérité qu’ils considèrent comme étant la plus extrême, l’altérité « africaine ».

Depuis la couleur de peau et la surface de l’épiderme, à la mesure du crâne, du nez ou des mâchoires, jusqu’aux profondeurs des corps, disséqués, des organes, des muscles ou du sang, les médecins recherchent des spécificités raciales supposées au sein des corps noirs. En accumulant des preuves jugées tangibles et irréfutables de la différence raciale, leurs travaux alimentent les controverses scientifiques du XIXe siècle, autour du monogénisme et du polygénisme — de l’existence d’une ou de plusieurs espèces humaines — mais également de l’évolutionnisme, des découvertes sur la préhistoire ou encore des mystères du métissage. Les théories hiérarchisantes qui en découlent, animalisant, infantilisant ou encore efféminant les populations africaines, serviront ensuite de socle au discours politique pour justifier l’entreprise de colonisation.

L’étude des interactions entre les médecins de cabinet, en métropole, et les médecins de brousse, qui écrivent sur le terrain africain, et dont l’empirisme est de plus en plus valorisé, permet d’éclairer les modalités de construction des savoirs, mais également leur transposition en pratiques dans le cadre colonial, et enfin leur réévaluation au contact des populations. La connaissance de la pathologie tropicale, les analyses de la prétendue résistance à la douleur des Africain.e.s ou encore la prise en charge de la « maternité africaine » font l’objet de toutes les attentions de la part du corps médical en métropole et surtout dans le milieu colonial, plus particulièrement à partir des années 1910-1920, lorsque la peur de la dépopulation en Afrique s’accroît. Face à un discours scientifique dominant, cet ouvrage restitue également la voix de certains auteurs, souvent occultée, qui ont tenté de démontrer l’importance du facteur culturel et acquis dans l’explication de la diversité humaine, ont dénoncé l’ethnocentrisme ou l’obsession anthropométrique et ont mis en cause le concept de race. 

Cette étude est construite de manière chronologique, autour de trois temps, depuis les années 1780 aux années 1960, afin de révéler le processus de construction, de consolidation, de diffusion puis d’effritement progressif des savoirs scientifiques sur les corps noirs. Il se voit traversé par une thématique qui préoccupe les médecins durant l’ensemble de la période : le sexe, le genre et la sexualité des Africain.e.s, des catégories imbriquées dans leurs discours, « la race façonnerait le sexe » en Afrique.

Ainsi, en les replaçant dans leur contexte de production, et en analysant les finalités scientifiques, idéologiques, politiques et économiques qui ont présidé à leur construction puis à leur diffusion et à leur imprégnation, durable, dans les esprits, cet ouvrage vise à travailler à leur déconstruction.