Les tribunes

Titre Les tribunes
Anthologie de la pensée noire. États-Unis et Haïti (XVIIIe - XIXe) Marie-Jeanne Rossignol, Michaël Roy, Marlène L. Daut et Cécile Roudeau

Anthologie de la pensée noire. États-Unis et Haïti (XVIIIe - XIXe)

Marie-Jeanne Rossignol, Michaël Roy, Marlène L. Daut et Cécile Roudeau

Anthologie de la pensée noire. États-Unis et Haïti (XVIIIe - XIXe) Marie-Jeanne Rossignol, Michaël Roy, Marlène L. Daut et Cécile Roudeau

Suite à la parution du recueil Anthologie de la pensée noire. États-Unis et Haïti (XVIIe-XIXesiècles) aux éditions Hors d’Atteinte, les co-directeurs de l’ouvrage Marie-Jeanne Rossignol, Michael Roy, Marlène L. Daut et Cécile Roudeau, relatent sa genèse pour le Groupe de recherche Achac. Anthologie de la pensée noire. États-Unis et Haïti (XVIIIe-XIXesiècles) retrace les prémisses de la « pensée noire » dès le XVIIIe siècle, soit à une époque bien antérieure à celle communément admise en France. Les quelques cinquante auteurs Afro-descendants réunis et recontextualisés par des historiens témoignent du dynamisme et de la pluralité de cette pensée, s’emparant parmi les premiers des thématiques telles que la justice sociale, la race, les préjugés et la discrimination. 

Au croisement de l’histoire sociale, des sciences politiques, de l’histoire intellectuelle et des études littéraires, l’Anthologie de la pensée noire rassemble des textes écrits par des penseurs et penseuses noirs des États-Unis et d’Haïti, les deux premières nations indépendantes de l’« ère des révolutions », entre la fin du XVIIIe siècle et la fin du XIXe siècle.

Issus pour la plupart de populations anciennement esclavagisées, émancipées au moment des révolutions atlantiques, ces hommes et ces femmes furent parmi les premiers à réfléchir à la question raciale et aux mécanismes du préjugé. Leurs noms, leurs parcours et leurs écrits sont largement méconnus du public français, qu’on pense à Richard Allen ou au baron de Vastey, à Phillis Wheatley ou à Anténor Firmin, à Anna Julia Cooper ou à Louis-Joseph Janvier. De cet oubli, on peut donner une explication : en France, c’est W. E. B. Du Bois que l’on présente habituellement comme le premier « intellectuel noir » de la diaspora africaine, de même que l’on considère la Renaissance de Harlem et le mouvement de la « négritude » comme les éléments déclencheurs, dans l’entre-deux-guerres, de l’épanouissement transnational des littératures et arts noirs.

Rompant avec cette vision établie, cette anthologie rappelle que les auteurs et autrices noirs des Amériques se sont engagés sur la voie d’une réflexion critique transnationale en matière de race, de couleur et de discrimination dès le XVIIIe siècle. En rapprochant les États-Unis et Haïti dès la période révolutionnaire, nous avons voulu montrer que ces débats ne sont pas une importation états-unienne récente. Ils ont une histoire française : il suffit de lire Julien Raimond, exprimant à Paris en 1791 les doléances des citoyens de couleur de Saint-Domingue, pour constater que les revendications d’un universalisme plus sensible aux discriminations raciales réelles sont indissociables du processus même de la Révolution française. Mais cette histoire s’inscrit dans le cadre plus large de la naissance des nations modernes. Ainsi les textes africains-américains inclus dans l’anthologie démontrent que les Noirs états-uniens, inspirés à la fois par les débats que souleva la Révolution américaine et ceux déclenchés par la Révolution haïtienne, ont eux aussi remis en question l’universalisme affiché de la période révolutionnaire.

Aux États-Unis comme à Haïti, les populations afro-descendantes, à travers une grande variété de publications – poèmes, pamphlets, lettres ouvertes, allocutions, romans, récits de vie, ouvrages d’histoire ou articles de journaux – n’ont cessé d’intervenir dans le débat public. Leurs écrits forment la base d’une pensée singulière qui s’intéresse aux questions raciales comme à d’autres thématiques de justice sociale : aux États-Unis, Sojourner Truth et Maria W. Stewart jettent les bases d’un féminisme noir attentif aux intersections entre race, genre et classe. Cette pensée se cherche et se construit dans la reprise de formes canoniques – sermon, essai ou poésie rimée –, mises au service d’un propos politiquement subversif. Elle s’incarne aussi dans des genres nouveaux, tels que les récits autobiographiques d’anciens et anciennes esclaves.

Fruit d’un travail collectif ayant impliqué des chercheuses et chercheurs en histoire, littérature et études culturelles, l’Anthologie de la pensée noire comprend plus d’une cinquantaine de textes traduits de l’anglais et de textes francophones, accompagnés de courtes notices et précédés d’une introduction générale. Nous avons composé ce volume dans l’espoir qu’il constitue un trésor de la littérature antiraciste des siècles passés, une anthologie de penseurs, de penseuses, qui nous permettent de penser dans leur sillage, dans la longue durée et à travers des supports variés, des notions à l’actualité brûlante telles que préjugé, race, discrimination, suprématie blanche, colonialisme et républicanisme.

SOMMAIRE

Introduction. Des sources anciennes pour un débat actuel

I. Traite, esclavage et colonisation

1. Phillis Wheatley, « De mon passage d’Afrique en Amérique » (1773)

2. Venture Smith, « Cette insoutenable scène est gravée dans mon esprit » (1798)

3. Baron de Vastey, « Ce n’est point un roman que j’écris » (1814)

4. Hérard Dumesle, « Le colon est sans contredit le matérialiste le plus absurde, et de la plus révoltante mauvaise foi » (1824)

5. Robert Wedderburn, « Le sang bout dans mes veines lorsque je repense au traitement infligé à ma mère » (1824)

6. Victor Séjour, « Afrique et liberté, […] je suis des vôtres » (1837)

7. Henry Bibb, « Ni langue ni plume n’a jamais dit, ni ne pourra dire les horreurs de l’esclavage en Amérique » (1849)

8. Émile Nau, « L’Africain et l’Indien se sont donné la main dans les chaînes » (1855)

9. Frances Ellen Watkins Harper, « Enterrez-moi dans un pays libre » (1858)

10. William Craft, « Quand nous jugeâmes que tout était fin prêt, nous arrêtâmes le jour de notre fuite » (1860)

11. Sarah Parker Remond, « C’est aujourd’hui le coton qui règne en maître et qui permet les plus grands profits » (1862)

 

II. Race, genre et préjugés

1. Julien Raimond, « L’Assemblée nationale serait-elle moins juste qu’un despote ? » (1791)

2. Absalom Jones et Richard Allen, « Un homme noir, même réduit au stade le plus abject de la nature humaine […], peut penser, raisonner et éprouver les torts qui lui sont causés » (1794)

3. Samuel Cornish et John Russwurm, « Nous voulons plaider notre propre cause » (1827)

4. Maria W. Stewart, « Nous sommes animés par une volonté commune de nous élever […] au-dessus de l’état de domestique » (1832)

5. Theodore S. Wright, « L’homme de couleur doit être traité comme un homme » (1836)

6. Hosea Easton, « Le préjugé semble posséder une nature qui lui est propre » (1837)

7. Sojourner Truth, « À moi seule, j’incarne les droits des femmes » (1851)

8. Martin R. Delany, « L’Afrique de l’Est verra s’élever une nation, à laquelle le commerce du monde entier rendra hommage » (1852)

9. Pierre Faubert, « N’est-ce pas chose bien misérable que cette appréciation de l’homme d’après certaines apparences matérielles ? » (1856)

10. Émeric Bergeaud, « Les préjugés d’épiderme sont de malveillantes stupidités » (1859)

11. Anténor Firmin, « L’humanité est une dans le temps comme dans l’espace » (1885)

12. Paul Laurence Dunbar, « Nous portons ce masque » (1895)

 

III. Vie des communautés noires

1. Absalom Jones et Richard Allen, « C’est de nous que dépend en large partie le sort de la population de couleur » (1794)

2. Samuel Cornish et John Russwurm, « Nos enfants ne bénéficient pas d’un accès égal à l’éducation » (1827)

3. Richard Allen, « Ainsi vit le jour la première église africaine en Amérique » (1833)

4. Jarena Lee, « Si l’homme a le droit de prêcher parce que le Sauveur est mort pour lui, pourquoi pas la femme ? » (1836)

5. Robert Purvis, « C’est une protection pour les plus forts que de vivre sous un régime qui est obligé d’entendre la voix des plus faibles » (1838)

6. Charlotte Forten, « Un autre fugitif a été arrêté » (1854)

7. Harriet E. Wilson, « Tout manquement à la règle serait puni du fouet » (1859)

8. Frederick Douglass, « Une liberté conquise par les seuls hommes blancs perdrait la moitié de son éclat » (1863)

9. Booker T. Washington, « L’éducation doit en faire davantage pour un jeune garçon que de lui apprendre à lire et à écrire » (1904)

 

IV. Révoltes, révolutions et indépendances

1. Lemuel Haynes, « La Liberté est un joyau » (1776)

2. Benjamin Banneker, « Les gens de ma race sont depuis longtemps la cible d’injures et de reproches » (1791)

3. Jean-Jacques Dessalines, « Indépendance, ou la mort… » (1804)

4. Juste Chanlatte, « Ils n’ont pas rougi d’égorger l’innocent au nom de la liberté et de l’égalité » (1810)

5. James Forten, « Où le pauvre Africain trouvera-t-il protection, si le peuple de Pennsylvanie consent à l’opprimer ? » (1813)

6. Robert Wedderburn, « Mon cœur brûle du feu de la vengeance » (1817)

7. David Walker, « Les Blancs […] maudiront bientôt le jour où ils nous ont vus pour la première fois » (1829)

8. James McCune Smith, « Nous sommes une minorité tenue en servitude par une majorité » (1841)

9. Henry Highland Garnet, « La résistance doit être votre mot d’ordre » (1843)

10. Frederick Douglass, « Un sentiment général d’insécurité emplit de crainte les têtes couronnées d’Europe » (1848)

11. Frederick Douglass, « Ce 4 Juillet est le vôtre, pas le mien » (1852)

12. Toussaint Louverture, « La couleur de mon corps nuit-elle à mon honneur et à ma bravoure ? » (1853)

 

V. Post-esclavage, histoire et mémoire

1. Demesvar Delorme, « L’homme noir, même libéré de l’esclavage, vit sans droit de citoyen dans la démocratie américaine » (1866)

2. Louis-Joseph Janvier, « L’ouvrier haïtien […] deviendra certainement un des premiers ouvriers non seulement de sa race, mais de toute l’Amérique » (1883)

3. Anna Julia Cooper, « C’est aujourd’hui la femme noire qui […] doit servir de moteur à la régénération et à la rééducation de la race » (1892)

4. Frederick Douglass, « Les personnes qui ont autrefois possédé des esclaves constituent toujours la classe dirigeante du Sud » (1893)

5. Ida B. Wells, « Il est effrayant de constater à quel point les épisodes de violence populaire ont gagné en fréquence et en intensité » (1893)

6. Charles W. Chesnutt, « Le temps viendra où nous pourrons exiger le respect de nos droits » (1901)

7. William Sanders Scarborough, « Pourquoi l’Amérique ne serait-elle pas tout aussi fière de ses grands personnages noirs ? » (1909)

8. Coda. W. E. B. Du Bois, « Il incombe aux États-Unis […] d’étudier avec attention les chapitres de leur histoire tels que la suppression de la traite africaine » (1896)