Anthropology and Race in Belgium and the Congo (1839-1922)
Maarten Couttenier
Dans Anthropology and Race in Belgium and the Congo (1839-1922) (Routledge, 2023), Maarten Couttenier, historien et anthropologue, analyse la façon dont la pseudoscience de la « hiérarchie des races » a affecté l’anthropologie belge entre 1839 et 1922. Les anthropologues belges, parallèlement à leurs homologues européens et américains, ont en effet cherché à démontrer par leurs études du corps humain l’existence de « races » supérieures et inférieures, déshumanisant ainsi les Congolais alors colonisés par la Belgique. Aujourd’hui, nombre de ces restes humains étudiés sont toujours conservés en Belgique, notamment à l’AfricaMuseum de Tervuren, pour lequel travaille l’auteur (qui a été également co-commissaire avec Pascal Blanchard et Mathieu Zana Etambala en 2022 de l’exposition « Zoo humain. Au temps des exhibitions coloniales » à l’AfricaMuseum). Alors qu’un travail mémoriel sur la colonisation s’est ouvert en Belgique, le projet HOME (Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation), qui regroupe des scientifiques de plusieurs pays, s’attache à réaliser des recherches de provenance pour, à terme, pouvoir restituer ces restes humains aux pays d’origines. Le livre, dont Maarten Couttenier nous offre en tribune un aperçu inédit, revient sur la base idéologique ayant permis cette étude des corps dans un contexte colonial.
L’ouvrage Anthropology and Race in Belgium and the Congo (1839-922), analyse l'histoire de l'anthropologie physique belge entre 1839 et 1922 et relate la manière dont la notion de « race » a structuré les passés et présents belges, ainsi que les relations entre métropole et empire. En offrant une étude de l’anthropologie, l’ouvrage développe la manière dont des idées raciales infondées ont influencé à la fois la linguistique, l’histoire, l’archéologie et la doctrine coloniale et discute d’autant de concepts majeurs que le nationalisme, le régionalisme, l’arianisme, le monogénisme, le polygénisme, l’évolutionnisme, le déterminisme, le colonialisme, mais aussi l’antiracisme, le panafricanisme et l’émancipation.
Tandis que les premières recherches et premiers résultats pour l’écriture de ce livre, dont l’idée est née en 1998, se limitait à l’histoire de l’anthropologie belge entre 1882 et 1902, sa version finale s’intéresse à une période plus étendue : non seulement la période précédant 1882, mal connue, a été ajoutée, mais aussi celle suivant le tournant du siècle.
Dans un contexte de nationalismes européens concurrents, les anthropologues belges ont principalement utilisé des caractères physiques, comme la forme du crâne et la couleur des cheveux et des yeux, pour délimiter les « races », considérées comme permanentes et existantes. Leur croyance en une prétendue supériorité raciale était pourtant avant tout révélatrice de leurs propres origines et de leurs caractères physiques. Bien que l'on suppose souvent que ces idées ont ensuite été transférées à la colonie, le cas de la colonisation belge au Congo montre que les administrateurs coloniaux, du moins en théorie, étaient réticents à utiliser l'idée de « races » permanentes parce qu'ils avaient besoin de la possibilité de « évolution » pour légitimer leurs actions dans le cadre d’une « mission civilisatrice ». Mais en réalité, la colonisation reposait sur l’occupation militaire et l’exploitation économique, avec des effets dévastateurs. Ce livre analyse comment, dans ce contexte violent, les préjugés raciaux largement répandus ont de fait déshumanisé les Congolais. Cela a non seulement permis aux colonisateurs d’agir de manière inhumaine, mais a également réduit les Congolais, ou leurs parties du corps, à des objets qui pouvaient être mesurés, photographiés, moulés et « collectés ». Ce travail inédit sera utile aux étudiants et aux universitaires intéressés par l'histoire sociale et culturelle ainsi que par l'histoire impériale et coloniale.
Avec l’essor de cette étude des corps pour les hiérarchiser, de nombreux restes humains ont rejoint les collections muséales belges et y sont restées depuis. En 1964 et 1965, le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) transfère la quasi-totalité de sa collection « Anthropologie anatomique » à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB). Le projet Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation (HOME), mené et financé par Belgian Science Policy (BELSPO), a tenté de réaliser une recherche de provenance sur une partie de la « collection ». Ce projet a permis de mettre en place de précieuses collaborations avec des interlocuteurs dans les pays d'origine et dans la diaspora afin de faciliter les futurs rapatriements (Busselen 2022).
Des restes humains de Congolais sont cependant toujours conservés à Bruxelles et à Tervuren alors que ce livre voit le jour. En attendant, de nombreuses recherches supplémentaires peuvent être menées en Europe et en Afrique sur les circonstances dans lesquelles ces restes humains ont été enlevés. Le registre original du musée révèle que les premiers restes humains sont arrivés à Tervuren en novembre 1897 (au moment où s’organise l’exposition coloniale à Tervuren). La collection s'est lentement agrandie au fil des années et même après l'indépendance du Congo, des crânes ont été notamment « acquis » par le MRAC. Le répertoire général compte finalement plus de 600 entrées au total et donne un aperçu des crânes, des squelettes, des dents, des « cadavres momifiés », des doigts, des mains, des fœtus et des masques faciaux.
Aujourd’hui, il semble presque impossible d’expliquer pourquoi des personnes humaines, ou une partie de leurs corps, ont été retirées d’Afrique centrale et envoyées en Belgique. Cela étonne et paraît « risible ». Ce constat, dans ce cas, est pourtant une manière de prendre ses distances avec un passé très inquiétant et toujours traumatique. Mais il est nécessaire de se rappeler qu’il fut un temps où la collecte et l’étude de parties de corps africains étaient considérées comme une science « sérieuse ». Les anthropologues physiques belges ont effectivement collecté des parties du corps humain, étayées par la science raciale, pour élaborer des classifications biaisées (Maarten Couttenier, 2014). Ce livre démontre comment ces pratiques ont non seulement échafaudé (et contredit dans certains cas) l’impérialisme européen, mais ont également été utilisées pour construire des idées nationalistes dans la métropole.
Table des matières
1. Jean-Baptiste d’Omalius d’Halloy : Racial Classifications and the Attack on the Aryan Myth (1839-1864)
2. Léon Vanderkindere : Race and Evolution (1845-1882)
3. Victor Jacques and Emile Houzé : The Anthropological Society of Brussels (1882-1886)
4. A Myth that Escapes to Touch (1887-1897)
5. Craniological Alchemy (1897-1914)
6. Arrogance and Emancipation (1914-1922)