Les tribunes

Titre Les tribunes
Champions dits « de couleur » entre mythes et réalités par Yvan Gastaut

Champions dits « de couleur » entre mythes et réalités

par Yvan Gastaut

Champions dits « de couleur » entre mythes et réalités par Yvan Gastaut

Michel Zélélé, « Germain le Nègre », « Battling Youyou », Abdelkader Abbès, Panama Al Brown, Kisso Kawamuro, « Battling Siki », René Menrath, et bien d’autres encore furent des sportifs de haut niveau entre les années 1860 et 1940. Athlètes de renom en leur temps, rares pourtant sont ceux dont on se souvient aujourd’hui. L’ouvrage Champions dits « de couleur » entre mythes et réalités, à paraître en mai 2024 aux Presses universitaires de Rennes, revient sur ces personnalités et révèle l’existence d’un important vivier de sportifs dits « de couleur » à partir de l'analyse de plus de 20 000 articles dans la presse française des années 1870-1930. Les trois directeurs de publication, historiens et maîtres de conférences, Yvan Gastaut (Université Côte d’Azur), Didier Rey (Université de Corse) et Philippe Tétart (Le Mans Université) partagent un même constat : ces sportifs sont sortis de la mémoire collective. « Oubliés parce qu’ils ne sont pas blancs ? » s’interroge Yvan Gastaut. Sans minimiser l’impact du racisme inhérent à la société coloniale française de l’époque, leurs analyses, dans cet ouvrage, font apparaître une histoire complexe et font revivre ces figures oubliées en évitant l'ornière de la caricature et des petites mythologies. Yvan Gastaut livre en tribune pour le Groupe de recherche Achac les grands axes de cet ouvrage alors que s’ouvre l’exposition sur les Jeux Olympiques au Palais de la Porte Dorée dont il est un des commissaires Olympisme, une histoire du monde.

Ouvrage collectif qui sort prochainement sous la direction d’Yvan Gastaut, Didier Rey et Philippe Tétart, Les Champions dits « de couleur » entre mythes et réalités propose de plonger dans un univers souvent méconnu même si quelques noms pourront dire quelque chose aux plus érudits. Ils se nomment entre autres Michel Zélélé, « Germain le Nègre », « Battling Youyou », Abdelkader Abbès, Panama Al Brown, Kisso Kawamuro, « Battling Siki », René Menrath, Tommy Bakou, Henri Soya, Boughéra El Ouafi, « Le Géant de Gavelston », Paul Hams, Peter Jackson, Ali Neffati, Bob-le-Noir mais aussi Jesse Owens. La plupart, sinon quelques vedettes, sont des oubliés de la mémoire collective. Oubliés parce qu’ils ne sont pas blancs ? On peut le penser en première intention mais, en vérité, s’ils n’ont pas inscrit leur nom au palmarès des grands sportifs, français ou étrangers, ayant fait tout ou partie de leur carrière dans l’Hexagone, c’est surtout que, à peu d’exception près, ils n’ont pas crevé le plafond de verre de la gloire qui vire au mythe. Pourtant, tous ont été connus en leur temps. Ils n’étaient donc pas inconnus des amateurs de sport et, lorsqu’on suit leur parcours, ils révèlent l’existence d’un important vivier de sportifs dits « de couleur » dans la France des années 1870-1930.

Publié aux Presses universitaires de Rennes, l’ouvrage comprend près d’une quarantaine de chapitres portant le plus souvent sur la trajectoire de ces personnages vus par la presse quotidienne de l’époque. Comment furent perçus ces athlètes dans une France coloniale et colonialiste, de la France ouvertement dominatrice, celle du temps des « zoos humains » de la Belle Époque, à celle de l’assimilationnisme promu dans l’entre-deux-guerres ? Sont-ils toujours ramenés à leur couleur, leurs origines ? Les monographies réunies et les questions qui les traversent ont pour but de (re)creuser l’histoire de la représentation des champions dits « de couleur » et ayant vécu en France ou obtenu une partie de leur succès en France. 

La Troisième République est tout à la fois raciste, colonialiste, paternaliste et, à certains égards, ouverte et tolérante. Rien n’est simple ni univoque. On le verra : la réalité de la réception et de la représentation des sportifs, des champions dits « de couleur » est avant tout plurielle, complexe. Elle renvoie très étroitement à l’accueil fait à Joséphine Baker dans les années 1920. Un accueil illustrant un registre large et métissé de sa perception, la polysémie de ses représentations et en fin de compte la forme singulière de l’accueil fait aux vedettes noires. Pour mener à bien ce chantier, nous les chercheurs ont réfléchi à partir de la presse quotidienne généraliste et sportive qui offre un bon angle de vue sur la variété des mises en scène des athlètes considérés, d’où qu’ils viennent, quelle que soit la durée de leur carrière. Elle permet également d’envisager les temporalités en matière de perception et d’éventuelles évolutions afin d’aboutir une analyse diachronique. 

Véritables réservoirs à récits, parfois à polémiques, les journaux permettent donc de brosser des portraits médiatiques dans le contexte d’une colonisation encore triomphante. Commentaires de performances, notes sur les réactions du public, mise en avant de disciplines-clé, manières de mettre en scène ces sportifs, entre héroïsation et stigmatisation, poids de l’image, goût du fait divers... Les approches ne manquent pas pour proposer des portraits les plus fins possible sur le statut et la représentation de ces sportifs.

Deux remarques : pourquoi n’y a-t-il pas de cas d’étude féminins en ces pages ? Parce qu’aucun chercheur n’a croisé dans la presse une figure susceptible de figurer au sommaire. Une des rares qui fasse une apparition dans la presse hexagonale est l’aviatrice américaine Bessie Coleman. Elle vient en effet se former en France car on le lui interdit aux États-Unis. Et encore n’est-elle pas, stricto sensu, une sportive. De fait, si la catégorisation de l’aéronautisme comme sport est très claire avant la Grande Guerre, elle ne l’est plus après l’expérience de la guerre. En outre, la presse française ne fait que nommer à quelques reprises l’aviatrice, n’offrant pas un corpus permettant une investigation. En outre, le parcours et la représentation des champions dans la sphère médiatique ne permet que de statuer sur le cas particulier et singulier d’hommes publics. Pas de confusion donc : les études compilées ici ne permettent pas, par extrapolation, de tirer des conclusions sur la façon dont les citoyens noirs anonymes sont représentés dans l’ensemble de la presse.

Sommaire

Introduction

Yvan Gastaut, Didier Rey & Philippe Tétart

Bob-le-Noir entre vérités et fiction ou le symbole de la vilaine boxe anglaise (1862-1869)

Philippe Tétart

Les Nègres Bamboula ou l’histoire tragique de trois lutteurs oubliés (1883-1907)

Philippe Tétart

Peter Jackson à Paris (1894)

Philippe Tétart

Guy Baucard et Moussa ben Lamadi en 1900 : deux éclairs « nègres » à l’irréductible altérité

Didier Rey

Turcs, Bulgares et « nègres » : portrait différencié du cosmopolitisme dans la lutte (1894-1908)

Denis Jallat

La première tournée européenne de Marshall Walter « Major » Taylor (11 mars-28 juin 1901)

Sylvain Villaret

Germain Ibron, le « dernier nègre »

Yvan Gastaut

L’ovalie cosmopolite. Aux temps des premiers sélectionnés de couleur (1900-1910) 

Phil Dine & Philippe Tétart

Zélélé, chauffeur abyssin et éphémère pilote de course (1906-1907)

Yvan Gastaut

Sam Mac Vea et l’arrivée des premiers boxeurs noirs américains à Paris (1905-1909)

Sylvain Ville

Paris, capitale de la République coloniale, face à « l’invasion » pugilistique noire américaine (1907-1914)

Stéphane Hadjeras

Bob Scanlon ou le « roman d’un boxeur » (1908-1928)  

Olivier Chovaux

Été 1911 : Jack Johnson, un rebelle à Paris

Stéphane Hadjeras

Tom Bakou : un « nègre » faire-valoir ? (1911-1914)

Sylvain Villaret

Seulement « mulâtre ». Chérubin Durocher, professeur de culture physique et boxeur 

Yvan Gastaut

La Martinique sur le ring : Paul Hams (1911-1942)

Denis Jallat

Contre-exemple : effacer l’altérité des footballeurs algériens d’Oranie, 1911-1914

Didier Rey

Le « nègre » de L’Auto : entre animalisation et admiration (1900-1914)

Didier Rey

Ahmed Remadni (1889-1953). Vedette cycliste entre championnats et condamnations

Niek Pas

Entre Tunisie et France : Ali Neffati, champion cycliste à identités variables (1913-1931) 

Didier Rey & Philippe Tétart

Le « Nègre Youyou » : un boxeur bien plus marseillais que noir (1919-1928)

Stéphane Mourlane & Philippe Tétart

Leone Jacovacci, un champion italien à la peau noire dans l’Italie de Mussolini

Didier Rey

John French, l’Ivoirien qu’on voulait croire Américain (1922-1929)

Philippe Tétart

Jim Wango. Un lutteur dérangeant (1922-1935)

Philippe Tétart

Le Noir de la Celeste, José Leandro Andrade 

Paul Dietschy

William DeHart Hubbard, premier champion olympique noir aux Jeux de Paris en 1924

François Dopler-Speranza

Boughera El Ouafi : Français à part entière ?

Yvan Gastaut

Kisso Kawamuro ou la discrète échappée française d’un coureur japonais (1925-1934)

Didier Rey & Philippe Tétart

Panama Al Brown, la « merveille noire » (1926-1938)

Sylvain Villaret

Raoul Diagne, premier tricolore d’origine africaine (1926-1939)

Paul Dietschy

Battling Youyou, une bluette ambigüe (1927-1928)

Philippe Tétart

Jimmy Tarante, boxeur texarisien (1931-1935)

Philippe Tétart

Une étoile cubaine : Kid Tunero

Karen Bretin-Maffiuletti

Assane Diouf, entre altérité et assimilation

François Da Rocha Carneiro

Omar le Noir : un Algérien à la conquête du titre national (1935-1939)

Philippe Tétart

Abdelkader Abbès, premier cycliste africain à terminer le Tour de France (1936)

Niek Pas

Jesse Owens dans le kiosque, ou comment la presse hexagonale représente le phénomène (août 1936)

Yvan Gastaut, Didier Rey & Philippe Tétart

Le « nègre » de L’Auto : permanences & mutations tardives (1914-1944)

Didier Rey

Le ring noir de l’écrivain-reporter

Thomas Bauer & Maxence Leconte

Conclusion

Yvan Gastaut, Didier Rey & Philippe Tétart