« Claude McKay, 100 ans après »
par Matthieu Verdeil
Il y a 101 ans arrivait en France le poète venu d’Harlem Claude McKay. Activiste littéraire et précurseur de la littérature sur les négritudes, son universalité et sa singularité se traduisent par une actualité constante de ses idées et de ses luttes, comme par la multiplication des initiatives pour célébrer son œuvre et la faire connaître au plus grand nombre. Parmi ces initiatives, celle d’un collectif de personnalités des mondes artistique et universitaire réunies au sein du projet les années McKay 100 ans après (2023-2028), marrainée par Christiane Taubira. Cette année encore, en 2023, des conférences, des concerts, des séminaires et des projections sont consacrés au poète au sein d’une programmation s’étendant de Marseille à New York en passant par Paris. Le documentariste Matthieu Verdeil, auteur du film Claude McKay, de Harlem à Marseille et coordinateur du programme, revient dans cette tribune sur la vie et l'œuvre du poète jamaïcain et invite à participer à cette célébration.
100 ans après son séjour en France (1923-1928), alors que ses écrits étaient restés jusqu’à présent plutôt confidentiels, la figure singulière de Claude McKay, poète, romancier, journaliste et activiste politique d’origine jamaïcaine revient en pleine lumière. Grand voyageur, précurseur de la Harlem Renaissance et de la Négritude, un des pères de l’éveil de la conscience Noire, c’est dans le port de Marseille, qu’il trouva son inspiration romanesque dans les années 1920.
« Ce fut un soulagement que d’aller vivre à Marseille parmi des gens à la peau noire ou brune, qui venaient des États-Unis, des Antilles, d’Afrique du Nord et d’Afrique occidentale, et se trouvaient tous rassemblés pour former un groupe chaleureux. Des traits et un teint négroïdes n’étaient pas exotiques, suscitant curiosité ou hostilité, mais spécifiques à un groupe et naturels. […] C’était bon de sentir la force et la différence d’un groupe social, et d’avoir la certitude d’en faire partie. » Claude McKay, Un sacré bout de chemin, éditions Héliotropismes, 2022.
Sur les rayons des librairies ses ouvrages fleurissent. La très dynamique maison d’édition Héliotropismes, vient de publier successivement l'inédit Romance in Marseille puis Un sacré bout de chemin, l’autobiographie de Claude McKay. Dans un même temps, Retour à Harlem, son best-seller de 1928 est traduit en français (éditions Nada), ainsi qu’un autre inédit Les brebis noires de Dieu (Nouvelles éditions Place) et son roman culte Banjo ressort dans une nouvelle édition (éditions de l’Olivier).
Concordance des temps, j’ai réalisé en 2021 le premier documentaire consacré à l’écrivain. Les livres et le film ont immédiatement suscité l'enthousiasme des médias et du public.
Dans la foulée, avec un collectif d’artistes, éditeurs, chercheurs, universitaires, réalisateurs, producteurs, nous avons lancé les années McKay 100 ans après (2023-2028), marrainées par Christiane Taubira, pour faire ressurgir et résonner la voix centenaire d’un auteur invisibilisé, d’une éclatante modernité.
Pour Christiane Taubira « Claude McKay nous éclaire aujourd’hui en ce que ses personnages, les situations et les dynamiques qu’il décrit, sont évocatrices des inégalités telles qu’elles sont à l’œuvre au quotidien. Ses essais, y compris son autobiographie, fournissent des analyses qui montrent sa fidélité à ses engagements, et ses romans, avec ou sans intrigue, rendent charnels ses partis-pris : il ne s’accommode pas du monde tel qu’il est. Il décrit les mécanismes d’oppression et d’exclusion non tels qu’ils fonctionnent mais tels qu’ils agissent sur la vie des gens. Après les 30 glorieuses, le monde est redevenu d’une violence obscène, et des situations décrites et dénoncées par McKay sont à nouveau sous nos yeux, au cœur des villes, pas seulement dans les enclaves misérables.
Claude McKay est un personnage très singulier. Il est souvent plus intéressant encore et plus attachant que ses personnages pseudo-fictifs. Ses textes autobiographiques sont au moins aussi passionnants que ses romans. Aussi incisifs que sa poésie. Il est tranquillement libre. Penser qu’il y a un siècle, cet homme, surmontant les préjugés, les obstacles, les aliénations, et alors que voyager d’un pays à l’autre est encore une aventure, que cet homme, né à la Jamaïque, enraciné aux États-Unis et affilié au parti communiste, a débarqué à Marseille et plongé dans la vie souterraine et nocturne, a fait le journaliste à Londres, traîné dans les grandes villes marocaines, donné des conférences à Moscou, ferraillé avec ses compatriotes à New York, est revenu à Marseille, reparti à Harlem et, libre-penseur s’est converti au catholicisme, tout en revendiquant ses engagements politiques, cet homme a écrit sur cette Marseille-là comme personne.
J’ai été embarquée dans l’aventure de ce centenaire après avoir visionné le documentaire de Matthieu Verdeil, que j’ai trouvé à la fois consistant, rigoureux et esthétiquement très réussi, artistiquement servi par la voix de Lamine Diagne. Quant au programme, il permet de partager généreusement non seulement la prodigieuse littérature de McKay, non seulement les enseignements de sa fidélité à ses convictions, mais aussi tout l’univers des quais du monde, des musiques de résistance et de joie, des fraternités improbables, des solidarités coriaces. Je suis ravie de ces initiatives pour diffuser, en qualité, la pensée, l’écriture, et l’action de Claude McKay. Je prédis que ces années McKay 100 ans après seront passionnantes. »
Après le long silence qui a suivi la décolonisation, nous sommes en mesure désormais de questionner ce passé. Claude McKay, « poète francophile », artisan de l’émergence d’une conscience Noire transatlantique ouvre la voie à Aimé Césaire, James Baldwin et au mouvement Black Lives Matter.
McKay 100 ans après c’est une série de propositions ayant pour but de faire redécouvrir un auteur incontournable et de mettre sa pensée au service du vivre-ensemble, de l’intégration, de l’inclusivité et de la lutte contre le racisme : un film, des concerts, spectacles, lectures musicales, performances participatives avec le Collectif KAY, dispositifs EAC innovants, conférences, colloques avec la Banjo Society, un groupe de recherche d’Aix-Marseille Université, des éditions, notamment Héliotropismes qui a publié l’inédit Romance in Marseille et l’autobiographie Un sacré bout de chemin…
Débuté cette année, avec déjà plusieurs évènements à Marseille, Paris, Strasbourg, Saint-Malo, à Basse-Terre en Guadeloupe et bientôt à New York, le projet ne cesse de s’étoffer et se déploiera dès l’année prochaine sur tout le territoire métropolitain et outre-mer, puis en Amérique du Nord et en Afrique. Plusieurs partenaires publics et privés ont déjà apporté leur soutien, notamment le ministère de la Culture, la ville de Marseille, l’Ambassade des États-Unis, le Crédit Mutuel, la Fondation StinAkri, la DILCRAH, la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage…, mais l’équipe de passionnés qui le porte recherche encore des partenaires et des diffuseurs pour contribuer à la mise en lumière de cet auteur fondamental.
Renseignements www.McKay100ans.com
Voilà le riche programme de cette fin d’année 2023 à MARSEILLE, PARIS et NEW YORK.
- Du 30 novembre au 2 décembre colloque international de la Banjo Society « McKay, voies de passage et chemins de traverse » à Aix-Marseille Université, au Musée d’Histoire, au Conservatoire et au Mucem à Marseille. Nombreuses conférences et tables rondes, en présence d'universitaires américains et anglais, projection du film et spectacle « KAY! ». Avec Ernest Mitchell (Yale University), Brooks Hefner (James Madison University) et Gary Holcomb (Ohio University), Kerry Jane Wallart (Université d’Orléans), Eileen Julien (Indiana University), Louise Kane (University of Florida), Claudine Raynaud, Céline Mansanti, Richard Bradbury, Emmanuel Parent, Benoit Tadié, Mike Ladd, Raphaël Imbert…
- Vendredi 1er décembre à 19h projection du film « Claude McKAY de Harlem à Marseille » au Musée d’Histoire de Marseille.
- Samedi 2 décembre à 17h spectacle « KAY! Lettres à un poète disparu » au Mucem à Marseille.
- Le 4 décembre à 19h, conférence « De McKAY à Black Lives Matter, Les procès du siècle » au Mucem à Marseille avec Nadia Yala Kisukidi, Maboula Soumahoro et Rokhaya Diallo.
- Le 5 décembre à 20h spectacle « KAY! » à Paris à la Maison de la Poésie (avec la participation de Mike Ladd).
- Les 25 novembre et 7 décembre, projection du film à New York, présenté par Brent H. Edwards et Matthieu Verdeil, lors de l’African Diaspora International Film Festival.