Des sauvages et des Hommes
Par Annelise Heurtier
Annelise Heurtier est auteure d’ouvrage pour la jeunesse. Originaire de la région lyonnaise mais vivant actuellement en Martinique, elle écrit pour les très jeunes jusqu’aux romans pour adolescents. Souvent inspirés de faits réels, ses textes sont autant de prétextes au voyage et à la découverte de cultures et de parcours de vie singuliers. Dans son roman Des sauvages et des hommes, à paraître le 6 avril 2022 aux éditions Casterman, elle plonge le jeune public dans l’histoire des expositions coloniales et des zoos humains à travers le parcours du jeune kanak Edou, qui choisit de suivre sa tribu pour une « mission spéciale » à Paris. Soi-disant chargés de présenter leur culture à la prestigieuse Exposition coloniale internationale en 1931, ils sont installés dans un enclos du Jardin d’acclimatation, devant lequel une pancarte indique « Cannibales ». Pascal Blanchard, historien et spécialiste de l’histoire coloniale et des zoos humains, signe la préface de l’ouvrage.
Quand j'habitais à Tahiti, je ne manquais jamais d'aller au FIFO (Festival International du Film documentaire Océanien), où l'on pouvait voir des films époustouflants en provenance de toute l'Océanie. C'est à cette occasion que j'ai découvert l'histoire des Kanaks exhibés au Jardin d'acclimatation en 1931, dans un documentaire consacré à Christian Karembeu, dont le grand-père avait fait partie des engagés officiellement recrutés pour montrer leur culture aux parisiens. Cette histoire m'a bouleversée. Pendant longtemps, je l'ai gardée dans un tiroir de mon esprit, sans savoir comment trouver une façon de m'en emparer. Je cherchais un lien avec le présent, une histoire de non-dits, d'humiliation refoulée, de violence contenue et sédimentée, reportée sur plusieurs générations.
À la fin de l’année 2020, peut-être parce que mon compagnon avait évoqué la possibilité de candidater pour un emploi en Nouvelle-Calédonie, cette histoire a ressurgi. Et j'ai songé que je pouvais peut-être tout simplement raconter l'histoire de ces engagés, un peu comme je l’ai fait pour celle des Neuf de Little Rock dans Sweet Sixteen (Casterman, 2013), c'est-à-dire en restant le plus fidèle possible au contexte historique mais en y mêlant des éléments de fiction... Si tant est qu'une documentation suffisante puisse exister.
Je me suis donc embarquée pour de longs mois de recherches dépassant largement la seule histoire des cent onze océaniens (très bien documentée dans l’étude de Joël Dauphiné, Canaques de la Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931. De la case au zoo (L’Harmattan, 1998). Construction du racisme et évolution des théories entre monogénisme et polygénisme, conquêtes coloniales, « zoos humains », France de l'après-Grande guerre, modes de pensée, courants artistiques et littéraires, architecture... Mais aussi, bien sûr et surtout, l'histoire très particulière de la Nouvelle-Calédonie – longtemps présentée comme le pendant négatif de l'Éden tahitien – entre acculturation occidentale forcée et défense des cultures traditionnelles, et des impacts économiques, sociétaux, psychologiques qui ont été engendrés par la présence française.
Un an plus tard, je suis heureuse d’avoir réussi à mener ce projet à bien. J’espère que cette lecture interpellera toutes celles et ceux qui découvriront cette histoire peu connue et représentative d’une sauvagerie qui, si elle s’est transformée, n’a malheureusement pas disparu.