En guerre(s) pour l'Algérie, documentaire ARTE
Par le Groupe de recherche Achac
Soixante ans après les accords d’Évian qui mettent fin à la guerre d’Algérie, le réalisateur franco-polonais Rafael Lewandowski et l'historienne Raphaëlle Branche signent un partenariat avec France Culture et l’INA et réalisent une ambitieuse série documentaire en six épisodes qui retrace l’un des conflits les plus marquants du XXe siècle. La série documentaire « En guerre(s) pour l'Algérie », diffusée en mars 2022 sur Arte (et disponible en replay), s’attache à montrer la multiplicité des vécus autour du conflit colonial entre la France et l’Algérie, à travers une collecte inédite de soixante-six témoignages, recueillis des deux côtés de la Méditerranée, et de nombreuses archives audiovisuelles.
La série commence avec le témoignage de Brahim, chauffeur de car, qui raconte l’assassinat de deux de ses passagers le 1er novembre 1954 dans le massif des Aurès, en Algérie. Cet événement n’est pas un simple fait divers et fait partie d’une vaste opération insurrectionnelle mise en place par le Front de libération nationale (FLN). Ce jour-là, des dizaines d’attentats éclatent sur le territoire algérien. Cette journée marque le début de la guerre de libération de l’Algérie, occupée depuis 1830 par la France coloniale. Après des années d’impasses politiques, malgré la publication du « Manifeste du peuple algérien » par Ferhat Abbas en 1943 et malgré les massacres de Sétif et Guelma en 1945, la France coloniale semble ignorer qu’elle fait face à son crépuscule, se berçant de l’illusion que « la Méditerranée traverse la France comme la Seine, Paris » (épisode 1 « Le crépuscule colonial »).
Après ces attentats de la « Toussaint rouge », le pays est soumis à l’état d’urgence car les autorités françaises veulent réagir vite et fort. Le feu sera ouvert sur tout sujet qui tentera de s’enfuir. Cette réaction porte alors le nom, non dénué d’ironie, de « pacification ». La violence, omniprésente, creuse le fossé entre les populations. C'est dans ce climat extrêmement dégradé que le cercle des libéraux algérois met en place l'initiative d'un appel pour la paix en Algérie. L'Appel pour une Trêve Civile, lancé par Albert Camus en 1956, se veut être une tentative de réconciliation alors que le point de non-retour est déjà dépassé (épisode 2 « L’insurrection algérienne »). La suite des événements est catastrophique, le FLN recourt à la guérilla et au terrorisme aveugle dans les villes. Les batailles sont sans merci et la répression s’intensifie sans cesse. La France est fragilisée et la République se met à vaciller (épisode 3 « Terrorismes et guérilla »).
Le général de Gaulle arrive au pouvoir en 1958 et pour les partisans de l’Algérie française, il est l’homme providentiel. Le FLN annonce la création d’un Gouvernement Provisoire de la République (GPRA) et la France commence à écraser militairement son adversaire. Fin 1959, le calme semble revenir (épisode 4 « Je vous ai compris »). Il décide de laisser aux Algériens le choix de leur avenir par voie de référendum. Le 8 janvier 1961 le projet d’autodétermination de l’Algérie est adopté. Il ouvre la voie à une indépendance de l’Algérie (épisode 5 « Algérie algérienne »).
La victoire du « Oui » au référendum sur l’autodétermination finit d’exaspérer les plus radicaux partisans de l’Algérie française, qui fondent un nouveau mouvement clandestin : l’OAS, à l’origine de nombreux attentats sur le sol algérien et en métropole. En mars 1962, un cessez-le-feu est enfin signé. Français d’Algérie, militaires et harkis quittent le territoire dans la précipitation. En juillet, l’indépendance de l’Algérie est proclamée. Une nouvelle histoire commence… (épisode 6 « L’indépendance »).
La guerre d’Algérie est une histoire complexe, encore vive de nos jours. Les nombreux travaux de recherche multiplient les points de vue et permettent d’apaiser les mémoires. La série documentaire « En guerre(s) pour l'Algérie », diffusée les 1er et 2 mars 2022 sur ARTE et disponible en rediffusion jusqu’au 28 août 2022, est le fruit du travail de l'historienne Raphaëlle Branche et du réalisateur Rafael Lewandowski. Au terme de trois années de recherche et soutenus par l'Institut national de l'audiovisuel (INA), les coauteurs et leurs équipes ont réalisé 180 heures d'entretiens et collecté soixante-six témoignages filmés en France et en Algérie, disponibles en intégralité sur le site de l’INA, pour raconter cette histoire plurielle aux mémoires vives.
Entre la richesse de la plaine fertile de la Mitidja et la misère de l’immense majorité de la population, entre discriminations et insouciance, le vécu de chacun semble raconter une histoire différente. Pour décortiquer les mécanismes du conflit, le documentaire tente d'adopter chaque point de vue. Tous les regards ont été réunis : civils algériens, Français d'Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires français, militants du FLN (Front de libération nationale) et du MNA (Mouvement national algérien), combattants de l'ALN (Armée de libération nationale), intellectuels, étudiants, réfractaires, personnels de l'administration française en Algérie, membres de l'OAS (Organisation armée secrète), supplétifs de l'armée française, porteurs de valise... La voix de l'actrice franco-algérienne Lyna Khoudri relate ces témoignages exceptionnels, illustrés par des images d’archives souvent inédites.
La question des indépendances et des mémoires est au cœur des travaux du Groupe de recherche Achac. Comme le montre l’exposition pédagogique « Les indépendances, 35 ans de décolonisations françaises (1943–1977) » qui revient par exemple sur l’ensemble des guerres des décolonisations, qui constituent le plus long conflit de la France au XXe siècle, avec près d’un demi-million de victimes, des millions de blessés et de civils déplacés. De même, la série documentaire en deux épisodes Décolonisations. Du sang et des larmes (Cinétévé/France TV) de David Korn-Brzoza et Pascal Blanchard met aussi en images cette histoire avec une attention particulière donnée au conflit algérien en deuxième partie. Cette histoire se prolonge de nos jours et engage des guerres de mémoires qui, depuis les années 1970, traversent et bouleversent les sociétés française et algérienne.