Les tribunes

Titre Les tribunes
France, terre d’immigration. Treize siècles de présence du Maghreb, de l’Égypte et de l’Orient Sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut et Naïma Yahi.  Préface de Leïla Slimani. Postface de Benjamin Stora. 

France, terre d’immigration. Treize siècles de présence du Maghreb, de l’Égypte et de l’Orient

Sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut et Naïma Yahi.  Préface de Leïla Slimani. Postface de Benjamin Stora. 

France, terre d’immigration. Treize siècles de présence du Maghreb, de l’Égypte et de l’Orient Sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut et Naïma Yahi.  Préface de Leïla Slimani. Postface de Benjamin Stora. 

Le dernier ouvrage du Groupe de recherche Achac, publié avec le soutien de l’ANCTFrance, terre d’immigration. Treize siècles de présence du Maghreb, de l’Égypte et de l’Orient, paraît aujourd’hui aux éditions Philippe Rey. Ce livre, dirigé par les historiens Pascal Blanchard (CRHIM, Université de Lausanne), Nicolas Bancel (CRHIM, Université de Lausanne), Yvan Gastaut (URMIS, Université de Côte d’Azur) et Naïma Yahi (URMIS, Université de Côte d’Azur), explore treize siècles d’histoire commune entre la France et les populations du Maghreb et de l’Orient. À travers les contributions de plus de trente spécialistes, avec notamment une postface de l’historien Benjamin Stora, il analyse les relations, parfois conflictuelles, parfois fusionnelles, tissées depuis le VIIIe siècle jusqu'à aujourd’hui. Le récit met en lumière les migrations, échanges culturels, politiques et économiques qui ont façonné la France, notamment à partir du XIXe siècle avec l’arrivée croissante de populations du Maghreb. L'ouvrage retrace une histoire riche de métissage et de présence continue, faisant de la France une terre d’immigration durable. À l’occasion de sa parution, le Groupe de recherche Achac publie cette semaine en tribune la préface inédite de l’écrivaine Leïla Slimani, prix Goncourt 2016 pour son roman Chanson douce (Gallimard, 2016). Dans un récit profondément personnel, l’autrice franco-marocaine explore un sentiment répandu : celui d’incarner l’Autre face à l’identité européenne. Qu’il s’agisse de la langue, de l’art ou de l’architecture, elle montre comment cette culture s’entrelace avec celle de la France et de l’Occident. Pourtant, elle souligne un paradoxe : une histoire commune, mais un refus persistant de l’Europe de reconnaître ce passé partagé. Elle souligne l’importance des historiennes et historiens qui s’attèlent à réécrire un récit partagé entre Orient et Occident et qui, dans un travail collectif, visent à réconcilier l’histoire de la France avec celle de la culture arabo-orientale. C’est ce défi que relèvent Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut et Naïma Yahi, accompagnés de nombreux chercheurs avec France, terre d’immigration.  Ces mêmes auteurs reviendront sur la question migratoire lors du colloque Migrations ! au Musée de l’Homme le 5 février 2025organisé avec le Groupe de recherche Achac. Leila Slimani sera également à retrouver le 23 janvier 2025, date de parution de son nouvel ouvrage J’emporterai le feu (Gallimard, 2025).

Il y a trois ans, je me suis installée à Lisbonne. Je suis arrivée ici à la fin du printemps. Les jacarandas étaient en fleur comme dans mon jardin à Rabat et dans certaines rues de Lapa on sentait embaumer le jasmin. Je me promenais seule pendant des heures. Je m’arrêtais dans un Mira douro pour boire une limonade et je regardais l’horizon. J’avais l’impression d’être à Tanger ou sur le fort, anciennement portugais, d’El Jadida.

Tout m’était familier : les visages, qui auraient pu être ceux de mes frères et sœurs ; le vent froid à la tombée du jour ; les azulejos que nous appelons « zelliges » et qui décorent le fronton de nos maisons. La langue même me rappelait que nous étions liés par un lointain cousinage. Tous les jours, je traversais le quartier d’Alcantara et me souvenais qu’en arabe al Cantar désigne « le pont ». Et que chez moi au Maroc nous appelons les oranges boultoukal, ce qui signifie « Portugal ».

Il y a dans ma famille une plaisanterie récurrente me concernant. Mes enfants en particulier aiment se moquer de ma propension à déceler, partout où je vais, des traces infimes ou évidentes de la culture arabe. À Venise, voilà que je les invite à reconnaître l’identité orientale de la ville. À Palerme, je leur fais remarquer que certains noms de rues sont écrits en arabe de droite à gauche et que sur les menus des restaurants, on propose du couscous. À Grenade, on se croirait parfois à Marrakech et à Malte la langue est si proche de l’arabe dialectal que je me surprends à espionner les conversations. Je leur explique que Paris et Marseille sont de grandes capitales maghrébines, que là, plus que n’importe où ailleurs, les peuples des trois pays du Maghreb et ceux d’Orient se rencontrent, s’aiment, travaillent ensemble depuis des siècles. Mes enfants semblent voir dans cette manie un patriotisme un peu ridicule ou alors une nostalgie de mes origines. Mais en réalité, c’est l’expression d’une révolte et d’une incompréhension : pourquoi l’Europe a-t-elle tant de mal à valoriser ce passé arabo-musulman ? Pourquoi continue-t-on à appréhender ce monde arabo-oriental – de Damas à Rabat, en passant par Le Caire et Istanbul – comme extérieur à l’identité européenne alors même que nos histoires sont liées les unes aux autres depuis des siècles ? Je ne cesse de le marteler : non, nous ne sommes pas vos irréductibles étrangers.

J’ai eu beaucoup de chance. J’ai grandi dans une famille où l’on parlait plusieurs langues et où l’on pratiquait différentes religions. Ma grand-mère venait d’Alsace, elle était chrétienne et gardait dans sa table de chevet un vieil exemplaire de la Bible. Mon grand- père était algérien, il faisait le ramadan, s’est rendu à La Mecque et il se déguisait en père Noël pour faire plaisir à sa femme. C’était à la fois une richesse et en même temps une douleur, car il était difficile de me trouver une identité.

Les Européens me trouvaient trop arabe, les Arabes trop européennes. J’étais condamnée à être l’Autre et je crois que j’en aurais beaucoup souffert si je n’étais pas devenue écrivain. Le fait d’être double m’a toujours obligée à envisager les deux côtés. J’ai été exercée à regarder le monde autrement, à savoir changer de point de vue. Quand vous n’appartenez pas, quand vous vous sentez toujours dans le pays des autres, vous vous méfiez de l’Histoire officielle. Je n’ai jamais pris l’Histoire pour un récit absolu, définitif. Je me méfiais des grands récits épiques que l’on me servait, sur le Maroc millénaire comme sur la France pays des Lumières. Je refusais les théories sur le « choc des civilisations », en vogue après le 11 septembre 2001 et qui nous condamnaient à vivre dans la défiance. Nous pouvons exercer notre liberté face au dogmatisme et au déterminisme. Nous sommes nourris d’histoires de Héros qu’on nous interdit de remettre en cause.

Mais il vient des générations pour déboulonner les statues de dictateurs ou de vendeurs d’esclaves. Il vient des féministes pour déchirer les contes de fées et rétablir le pouvoir des femmes dans l’Histoire. Il vient des femmes et des hommes pour reconnaître les crimes et les récits du passé, pour rétablir la justice et écrire une histoire commune. C’est cette tâche que Pascal Blanchard avec Nicolas Bancel, Yvan Gastaut, Naïma Yahi et la trentaine de contributeurs rassemblés dans ce livre majeur ont réalisée, comme dans divers travaux et ouvrages ; depuis des années, ils ne cessent de mener ce travail de chercheurs afin d’éclairer l’Histoire autre- ment et de nous rappeler que l’Autre, c’est aussi un peu moi.

 

 

SOMMAIRE

Préface
Leïla Slimani

Introduction – L’histoire d’une présence si lointaine (Maghreb, Égypte et Orient)
Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut et Naïma Yahi

Chapitre I – 718-1797 I Histoires croisées autour de la Méditerranée

Chapitre II – 1798-1871 I Rêves d’Orient

Chapitre III – 1872-1913 I Premières présences, premières rencontres   

Chapitre IV – 1914-1918 I L’appel aux colonies, l’appel aux travailleurs 

Chapitre V – 1919-1939 ! Réfugiés, ouvriers, militants

Chapitre VI – 1940-1956 I D’une guerre à l’autre

Chapitre VII – 1957-1972 I Des indépendances à la fin des Trente Glorieuses    

Chapitre VIII – 1973-1982 I Le temps des revendications

Chapitre IX – 1983-2000 I Nouvelles générations

Chapitre X – 2001-2013 I Crispations et cultures partagées

Chapitre XI – 2014-2024 I L’ère de l’omniprésence, entre ombre et lumière

Postface
Benjamin Stora
Au carrefour de nos histoires          

Bibliographie

Biographies

 

Avec les contributions de  Rabah Aissaoui, Elkbir Atouf, Léla Bencharif, Rachid Benzine, Fatima Besnaci-Lancou, Gilles Boëtsch, Saïd Bouamama, Hassan Boubakri, Ahmed Boubeker, François Clément, Peggy Derder, Eric Deroo, Pierre Fournié, Julien Gaertner, Piero-D. Galloro, Bernard Heyberger, Florence Jaillet, Raymond Kévorkian,  Smaïn Laacher, Sandrine Lemaire, Jean-Yves Le Naour, Gilles Manceron, Abdallah Naaman, Christine Peltre, Belkacem Recham, Véronique Rieffel, Alain Ruscio, Ralph Schor, Stéphane de Tapia et John Tolan.