La sculpture du Noir. Au temps de la traite
par Érick Noël
Érick Noël, est professeur des Universités et enseigne l’histoire moderne à l’Université des Antilles, pôle Martinique. Agrégé et docteur en histoire, il a soutenu une thèse de doctorat publiée sous le titre Les Beauharnais, une fortune antillaise (Droz, 2003), puis une habilitation à diriger des recherches dont il a tiré l’ouvrage Être Noir en France au XVIIIe siècle (Tallandier, 2006). Son parcours l’a ainsi amené à aborder la société coloniale des maîtres aux esclaves, au prisme de la traite négrière et jusque dans le sort de ces hommes et de ces femmes en France métropolitaine, analysés à travers un Dictionnaire des gens de couleur qui a réuni 35 chercheurs (Droz, 3 volumes, 2011-2017). Il s’est depuis intéressé à des aspects spécifiques de cette société à travers l’approche de domaines restés peu couverts, tel son patrimoine culinaire étudié dans Le Goût des Îles sur les tables des Lumières (Geste, 2020). Enfin, il vient de contribuer à l’ouvrage collectif Histoire globale de la France coloniale (Philippe Rey, 2022). Son dernier ouvrage, La Sculpture du Noir. Au temps de la traite(Hémisphères, 2023) souhaite aborder le patrimoine sculptural bien moins étudié que l’héritage graphique et pictural de l’époque de la traite et de l’esclavage et il propose, ici, de présenter cet ouvrage qui regroupe une soixantaine d’illustrations. Il présentera son livre au Musée du quai Branly le samedi 18 mars à 17h00 (dans le cadre de la librairie du musée).
« La Sculpture du Noir. Au temps de la traite », sous ce titre, c’est bien la représentation du Noir sous toutes ses formes sculptées qui est abordée, du mascaron au buste de salon, en passant par la statuaire religieuse et l’enseigne de commerce, voire l’ornement de pendule ou le décor de fontaine.
L’ouvrage, qui accorde une part égale au texte et aux illustrations, se veut plus qu’une approche patrimoniale. Il entend surtout décrypter le sens de ces œuvres muettes, rarement signées et bien souvent sujettes à des interprétations non dénuées de passion. Il a semblé opportun, et même nécessaire à l’heure où les remises en cause d’un héritage multiséculaire conduisent à faire tomber les masques de façades, de mieux en élucider l’histoire.
Si la fonction apotropaïque des figures les plus anciennes a sans nul doute perdu tout sens à l’âge d’or de la traite, le souci d’étaler des fortunes acquises aux colonies a-t-il toujours dicté la réalisation des œuvres de l’âge moderne ? Le Balthazar noir de la crèche, qui traverse les siècles, ou le Saint-Maurice en armes des églises rhénanes n’ont sûrement pas eu le même sens que ces allégories profanes du continent noir, à l’heure où les ports de l’Atlantique ont investi les côtes d’Afrique et les Îles.
De même, le regard compassionnel de Saint-Benoît de Palerme, répandu jusque dans la statuaire hispanique, a eu bien peu à voir avec son frère agenouillé des médaillons abolitionnistes de l’Angleterre wesleyenne et des jeunes États-Unis. La discrétion des œuvres privées, précieux objets de salon allant du porte-torchère en bois doré à la porcelaine à la figure « nègre », a également été interrogée dans son sens et son succès, alors que les figures outrancières des hôtels particuliers ou des maisons de commerce sont passées de mode dès le tournant des Lumières. Fruits de leur époque autant que reflet des convictions de leurs commanditaires, ces œuvres ont paru devoir être soumises à l’analyse pour pouvoir être mieux comprises.
Comme le précise en préface Corinne Mencé-Caster, professeure à la Sorbonne et Présidente honoraire de l’Université des Antilles, « La vertu de ce livre est d’abord d’attirer notre regard sur toute une série de représentations sculptées du Noir qui existent dans l’espace public ou le domaine privé depuis au moins le XIIIe siècle, et auxquelles nous ne prêtons pas nécessairement attention pour différentes raisons. En tant que néophytes, nous avons tendance à ne pas voir les sculptures, dès lors que ces sculptures ne trônent pas sur les places publiques, et quand nous les voyons sur les frontons des édifices ou ailleurs, nous ne savons guère quelles significations leur attribuer. Il nous manque des outils précieux qu’Érick Noël nous fournit au fil de son récit, en replaçant minutieusement les sculptures qu’il analyse dans leur contexte de production et de réception » et de conclure : « Dans d’anciennes grandes villes négrières telles que Nantes et Bordeaux qui occupent chacune un chapitre à part entière de l’ouvrage, l’historien met en évidence comment la colonisation et la traite se sont ainsi invitées dans la sculpture, contribuant comme il le dit si bien à faire du Noir un “nègre” jusque dans la statuaire ».
À cela, Hélène Rousteau-Chambon, professeure d’histoire de l’art à l’Université de Nantes, précise dans la postface, qu’Érick Noël poursuit les objectifs annoncés par d’autres chercheurs/chercheures auparavant. En effet, par ses travaux, il « fabrique de nouveaux cadres conceptuels propices à la compréhension d’une imagerie en butte ou étrangère à la hiérarchie des genres produite par l’académie, ou entre rétive, voir échappant aux circuits de diffusion tels que le Salon ou le discours critique ». Cette mise à distance des « outils traditionnels » est permise par une démarche qui consiste à « repartir des images ». C’est en ce sens que la production d’Érick Noël est particulièrement enrichissante.
SOMMAIRE
- Chapitre I : De la Méditerranée à l’Atlantique négrier
- Chapitre II : Un « baroque nantais »
- Chapitre III : Le « classicisme bordelais »
- Chapitre IV : Un modèle noir ?
- Chapitre V : Ornements et accessoires
- Chapitre VI : Une révolution sculpturale ?