L’atlas des migrations en Méditerranée
Par Virginie Baby-Collin, Sophie Bouffier et Stéphane Mourlane
Au sein de la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, Virginie Baby-Collin, professeure de géographie, Sophie Bouffier, professeure d’histoire grecque, et Stéphane Mourlane, maître de conférences en histoire contemporaine, ont travaillé durant plusieurs années avec une équipe internationale de coordination de douze historiens de toutes les périodes, de géographes et politistes à l’élaboration de l’Atlas des migrations en Méditerranée de l’Antiquité à nos jours (Actes Sud, 2021). Voici la présentation qu’ils en proposent.
Aujourd’hui, la Méditerranée constitue un espace migratoire de première importance : en 2019, les pays riverains, qui regroupent un peu moins de 7% de la population mondiale, accueillent 15% des 271 millions de migrants internationaux. L’actualité l’illustre souvent de manière dramatique. Or la Méditerranée a toujours été un espace inlassablement parcouru, traversé ou longé, d’abord et longtemps par ses riverains, puis par des populations d’horizons plus lointains.
L’atlas propose un panorama original des migrations en Méditerranée depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Plus de 70 spécialistes, historiens, géographes, anthropologues, politologues se sont donnés comme objectif de montrer comment les migrations ont façonné les sociétés et les cultures méditerranéennes au cours de l’histoire. Il s’agit de rendre accessibles grâce à des textes courts, des phénomènes complexes, en mettant en lumière leurs particularités ou leur banalité ou en remettant en perspective les conditions de leur émergence. En regard, des extraits de sources historiques et des illustrations permettent de saisir les espoirs, les inquiétudes, parfois les drames qui accompagnent les mobilités d’hommes et de femmes de tous horizons.
Les 200 cartes produites jouent sur les échelles de représentation et varient les angles d’approche thématique : de l'observation des mouvements dans un port aux mobilités qui sillonnent l'ensemble des rivages méditerranéens, jusqu’aux projections mondiales des diasporas méditerranéennes, ou les mutations d’une métropole cosmopolite sous l’effet des arrivées successives de migrants.
L’atlas envisage toutes les circulations dans leur dimension structurante pour les espaces et sociétés méditerranéens : des mobilités de longue durée qui mettent en lien des lieux pluriels selon des itinéraires souvent plus complexes qu’un simple déplacement direct et à sens unique d’un point origine vers une destination donnée, mais aussi des mobilités courtes, saisonnières. Il s’agit aussi de prêter attention aux liens maintenus par des dynamiques transnationales, aux retours, qui se produisent parfois une ou deux générations plus tard et ne ramènent pas toujours au lieu d’origine. Il est ainsi question de départs inéluctables, qui sont fuites, exils et bannissements, donnant naissance à la figure du réfugié, apparue au XXe siècle, parfois à des diasporas. Mais les dynamiques diasporiques, animées d’une conscience identitaire forte, transforment dans certains cas le rêve du retour en expérience concrète.
L’atlas se structure en trois parties composées chacune de chapitres au sein desquels se succèdent, après une introduction, des doubles pages thématiques, laissant ainsi le choix d’une lecture continue ou fractionnée. Il évoque d’abord les structures qui encadrent, contrôlent ou accompagnent les migrations (routes, frontières, lieux d’accueil, cadres politiques et juridiques), puis les différents acteurs (marchands, travailleurs, esclaves, religieux, intellectuels ou artistes) avant de porter attention aux modalités de contacts entre les migrants et les sociétés d’accueil (invasions, colonisations, transferts, cosmopolitisme, xénophobie). Une réflexion sur la dilatation mondiale de la Méditerranée, qui n’est pas demeurée un espace fermé pendant les vingt-huit siècles parcourus, vient clore l’ouvrage.
Dès l’Antiquité, le périple d’Alexandre le Grand puis les expéditions médiévales d’Ibn Battûta ou de Marco Polo décloisonnent l’espace méditerranéen en ouvrant des relations avec l’Orient. Les grandes découvertes et la naissance des empires coloniaux déplacent massivement des Méditerranéens vers les « nouveaux mondes », occidentaux et orientaux, et engendrent des communautés diasporiques outre-mer. Parallèlement, la Méditerranée commence à attirer de nouveaux résidents, Asiatiques ou Africains, venus pour les mêmes raisons que les communautés migrantes d’autrefois, et qui contribuent à ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire des sociétés méditerranéennes.
L’entreprise peut paraître audacieuse, démesurée même face à l’impressionnant massif que représente l’histoire des mobilités et des migrations depuis l’Antiquité, avec par instant des incursions dans les temps préhistoriques, jusqu’à nos jours. Il ne s’agit en aucun cas de prétendre à une quelconque exhaustivité, ni de céder à la moindre ambition encyclopédique. Le lecteur est plutôt invité à la réflexion à travers cet essai fondé sur des éclairages thématiques et diachroniques mettant en lumière des résultats de la recherche souvent dispersés par ailleurs et contribuant au renouvellement des questionnements par la production de données inédites. Cet atlas s’adresse donc à un lectorat qui cherche à mieux connaître et comprendre une question qui, sous les feux de l’actualité, suscite des discours aux formules lapidaires et parfois outrancières.