Le football des immigrés. France-Algérie, l’histoire en partage
par Nicolas Bancel
Stanislas Frenkiel, Maître de conférences au sein de l’Université d’Artois et associé à plusieurs programmes du groupe de recherche Achac depuis presque 20 ans, publie cette semaine son ouvrage Le football des immigrés, France-Algérie, l’histoire en partage (Artois Presses Université, 2021) sur l’immigration des footballeurs algériens, entre l’Algérie et la France, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce travail est issu de sa thèse de doctorat, co-dirigée par Nicolas Bancel, professeur ordinaire de l’université de Lausanne et auteur de cette tribune, et Daniel Denis, professeur à l’université de Cergy-Pontoise. C’est un travail important par son ampleur empirique : une centaine d’entretiens, plusieurs voyages sur le terrain en Algérie, l’ensemble des archives disponibles dépouillées, la presse épluchée pour toute la période.
La chronologie embrasse les périodes coloniale et postcoloniale, qui relativise radicalement, pour ces footballeurs, la « rupture » des indépendances. La configuration évolue, mais l’essentiel reste en place : les footballeurs algériens sont partie prenante d’un marché sportif dominé par la métropole puis l’ex-métropole. L’auteur met ainsi en lumière les articulations essentielles entre les périodes coloniale et postcoloniale, en particulier dans le domaine des formes de continuité de l’émigration des footballeurs, mais aussi de la constante fascination que la métropole continue d’exercer, l’indépendance consommée, et ce malgré les blessures de la guerre : dans le champ du football, la France et ses championnats continuent d’être ardemment désirée par les footballeurs algériens. Mais ce livre apporte plus qu’une analyse froide de l’immigration de ces travailleurs sportifs : le récit est largement enrichi par la description de leurs trajectoires de vie. Des conditions de départ desquelles émerge le projet migratoire jusqu’à l’arrivée en France et l’intégration dans des clubs, le plus souvent dans des divisions secondaires, en passant par le voyage, l’évolution de la carrière, les emplois annexes liés à la précarité, Stanislas Frenkiel nous offre un tableau riche et vivant, qui permet aussi de mieux apprécier la situation coloniale et postcoloniale de l’Algérie.
Le choix de traiter également des Algériens « nés en France », possédant la double nationalité française et algérienne, était risqué. Pourtant, l’auteur, dans un subtil jeu de miroirs, réussit vraiment son pari, en démontrant que le recrutement en équipe algérienne révèle à la fois une opportunité – devenir international hors de France, où la situation est évidemment extrêmement concurrentielle –, mais aussi l’ambivalence des sentiments d’appartenance puisqu’en France la situation de Français « d’origine algérienne » apparaît moins que confortable. La construction d’une « double culture », comme en Algérie, dénote des stratégies identitaires complexifiées par les enjeux économiques immédiats des joueurs interrogés, complexité symboliquement manifestée lors du match France-Algérie d’octobre 2001 que l’auteur éclaire d’un jour nouveau. L’entre-deux culturel et « identitaire » de ces footballeurs est ainsi particulièrement bien rendu.
Stanislas Frenkiel réalise ainsi un travail minutieux sur l’histoire des réseaux d’immigration des footballeurs algériens. Enfin, ce livre est agrémenté d’une centaine de magnifiques photographies, d’archives et d’un index de 1.500 acteurs du football. Ce travail important éclaire ainsi un pan encore méconnu des immigrations coloniales et postcoloniales.