« L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, les traites négrières et l’esclavage colonial »
Éric Mesnard
Cet ouvrage, paru aux éditions Slatkine en 2023 et préfacé par Robert Morrissey, analyse l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1772) en relation avec les traites négrières et l’esclavage colonial, et dont l’écriture est contemporaine à l’essor de ces pratiques. En effet, le besoin d’une telle analyse fait suite au constat d’un décalage flagrant entre le contenu de l’Encyclopédie et le contexte dans lequel elle a été écrite. L’auteur, Éric Mesnard, historien spécialisé sur l’histoire des Antilles et de l’esclavage colonial, co-auteur avec Catherine Coquery-Vidrovitch de Être Esclave Afrique-Amériques. XVe-XIXe siècles (La Découverte, 2013), a identifié moins d’une centaine d’articles traitant de l’esclavage implicitement ou explicitement sur les 74 000 articles de l’Encyclopédie. Son travail démontre les contradictions des penseurs des Lumières qui se reflètent inévitablement dans l’œuvre des encyclopédistes. Outre ces ambiguïtés, Éric Mesnard retrace aussi dans ce livre les prémices et les débuts de la pensée anti-esclavagiste. Partant des quelques articles de l’Encyclopédie comportant une pensée anti esclavagiste articulée ouvertement, l’auteur poursuit son analyse d’un débat public peu à peu enrichi par l’opposition à l’esclavage qui s’affirme graduellement. Pour le Groupe de recherche Achac, Éric Mesnard présente les grandes orientations de sa recherche et de l’ouvrage.
Les encyclopédistes : de l’ambiguïté à la condamnation
Les vingt-huit volumes in-folio de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, par une société de gens de lettres, furent publiés entre 1751 et 1772. Pendant ces deux décennies, environ un million six-cent-mille Africains furent embarqués dans des navires négriers dont deux-cent-cinquante-mille environ à bord de négriers français. Il y avait, alors, plus de six-cent-cinquante-mille esclaves dans les colonies françaises de l’Atlantique et de l’océan Indien.
Comment alors comprendre que parmi les 74 000 articles de l’Encyclopédie, moins d’une centaine concernent explicitement la question des traites négrières et de l’esclavage colonial ? Mes recherches sur l’édition numérique ARTFL de l’Encyclopédie : https://encyclopedie.uchicago.edu/ m’ont permis de constituer un corpus de 119 articles et de onze planches accompagnées de leur légende. Pour le choix des articles, je n’ai retenu que ceux qui étaient au moins implicitement en relation avec la traite négrière et l’esclavage colonial.
L’analyse et la mise en relation de ces articles, de longueur et de portée très inégales, permettent de s’interroger sur les contradictions et les ambiguïtés des encyclopédistes, mais aussi de prendre en compte l’expression parfois fulgurante de principes anti-esclavagistes. Comme en témoigne, notamment, le cheminement de Diderot, les débats ouverts par l’Encyclopédie ont contribué, lors de la décennie suivante à une radicalisation de la pensée anti-esclavagiste et à un enrichissement de son expression dans le débat public alors que la traite et l’exploitation du travail servile atteignaient des sommets jusqu’alors inégalés.
Dans son article « Traite des Nègres », Jaucourt fut le premier des encyclopédistes à envisager l’abolition de l’esclavage, mais la dernière phrase de son article n’est guère optimiste : « Les âmes sensibles et généreuse, applaudiront sans doute à ces raisons en faveur de l’humanité ; mais l’avarice et la cupidité qui dominent la terre, ne voudront jamais les entendre. »
Au tournant des années 1770, la question des traites et de l’esclavage prit une place croissante dans les débats, y compris au niveau de l’administration coloniale qui prit conscience des dangers que faisaient courir à l’ordre colonial le marronage, notamment en Guyane, et surtout, le déséquilibre numérique croissant, notamment à Saint-Domingue, entre les populations libres et celles en situation d’esclavage. De plus, certains administrateurs étaient sensibles aux arguments des physiocrates qui prétendaient que le travail servile était moins efficace et plus coûteux que le travail libre.
Quelles que furent les ambiguïtés, les limites et les contradictions exprimées par Diderot, Jaucourt et les philosophes qui ont pris part dans les débats sur les traites et l’esclavage colonial, ils ont contribué par leur critique des arguments des esclavagistes à ce que l’opinion éclairée prenne conscience de l’insupportable et passe de « l’indifférence à la gêne et au malaise, du malaise à la critique et au refus » (Jean Ehrard).
Table des matières
Préface (Robert Morrissey)
Introduction (Éric Mesnard)
I. Une aventure éditoriale du « Siècle des Lumières » p. 24
II. À l’ombre du « siècle des Lumières » : les traites négrières et l’esclavage colonial p. 29
III. Les encyclopédistes : de l’ambiguïté à la condamnation Conclusion : De l’apitoiement aux projets d’abolition p. 34
Annexes
Auteurs des articles consacrés aux traites et à l’esclavage colonial
Tableau des articles du corpus
Cartes de l’Afrique à la fin du XVIIIe siècle
Repères chronologiques : traites, esclavage colonial, abolitions
Sources des transcriptions et des illustrations
Encyclopédie, traites négrières, esclavage colonial : sélection d’articles et de planches
Encyclopédie, traites négrières, esclavage colonial : éléments de bibliographie
Dictionnaires et textes antérieurs au XIXe siècle
Textes contemporains