Quelle place accordons-nous aux récits des femmes migrantes dans la construction de l’histoire collective française ? Alors que les débats sur l’immigration se cristallisent autour de chiffres et de polémiques, il est urgent de redonner une voix à celles dont les trajectoires demeurent invisibles. Les grands-mères venues d’ailleurs portent une mémoire essentielle, un savoir sensible sur l’exil, l’adaptation et la transmission. Pourtant, elles restent souvent absentes des récits dominants. 

C’est pour combler ce vide que le projet Mémoires tissées est né. Plus qu’un simple recueil de témoignages, il propose une démarche inédite à la croisée de l’intime, du poétique et du politique. À travers vingt récits, des petits-enfants âgés de 17 à 70 ans redonnent vie à ces femmes venues du Maroc, d’Irlande, du Sénégal, d’Ukraine, de Chine ou de Colombie. Ces histoires, retranscrites par Nathalie Bondetti, praticienne narrative et initiatrice du projet, offrent un regard incarné sur les liens intergénérationnels et la transmission des valeurs de résilience, de solidarité et de paix. 

Réparer les silences, réinscrire les femmes dans l’histoire 

Dans l’imaginaire collectif, l’histoire des migrations est souvent racontée à travers le prisme du travail masculin ou des trajectoires politiques. Pourtant, ces femmes migrantes ont été des bâtisseuses silencieuses. Elles ont éduqué, pris soin, tissé des liens, porté les langues et les traditions. À travers Mémoires tissées, ce rôle fondamental est enfin mis en lumière. 

Le projet ne se limite pas à une approche mémorielle : il repose sur une articulation entre histoire sociale et réflexions contemporaines. Pascal Blanchard et Léla Bencharif apportent un éclairage sur l’impact de ces trajectoires féminines dans les grandes dynamiques migratoires. En intégrant une dimension artistique – avec les illustrations de Laetitia Gillard et les photographies de Linda Bouhidel – l’ouvrage offre une expérience immersive où le sensible dialogue avec le scientifique. 

Raconter pour exister, transmettre pour transformer 

Les récits sont de puissants leviers de transformation. L’individu, migrant ou non, se vit à travers son histoire, traversé par une pluralité de récits qui façonnent son parcours. Nous sommes les témoins et les porteurs d’expériences multiples qui coexistent en nous. Certaines, souvent oubliées, ont des accents d’absent et d’implicite, quand d’autres nous enferment. De la même manière, l’identité française ne saurait être figée dans un récit unique dominant. Elle se tisse et se construit au fil des rencontres, des transmissions et des héritages. Ces grands-mères venues d’ailleurs en sont la preuve vivante : leurs trajectoires s’entrelacent aux récits nationaux, nourrissant une France plurielle, mouvante et évolutive. 

Dès lors, pourquoi raconter ces histoires aujourd’hui ? Parce que les récits agrégés de nos mémoires façonnent nos représentations du monde, nos appartenances et nos futurs possibles. La mémoire n’est pas seulement une question d’héritage, elle est un moteur d’émancipation et de construction collective. Cet ouvrage invite ainsi à penser autrement le tissage de la société française contemporaine : loin d’être figée, son essence est le fruit de parcours pluriels aux identités multiples qui s'entrecroisent au service d’un récit commun. 

Avec Mémoires tissées, Nathalie Bondetti propose un éclairage et un espace de dialogue singulier. En mettant en avant la diversité des expériences migratoires féminines, ce livre-hommage ne se contente pas de réparer les récits oubliés de l’histoire. Il déconstruit les assignations en leur faisant écho et ouvre des horizons nouveaux. Il célèbre la mémoire des liens interculturels et intergénérationnels, tout en offrant des perspectives pour une société plus consciente de ses héritages et de ses devenirs.