Missak Manouchian, une vie héroïque
Par Didier Daeninckx
Le roman graphique Missak Manouchian, une vie héroïque (Les Arènes et Ministère des Armées, 2024) offre le récit du parcours exceptionnel de Missak Manouchian qui fut tout à la fois survivant du génocide, apatride, ouvrier, poète, héros de la Résistance et mort pour la France. Didier Daeninckx, écrivain, et Mako, dessinateur de bandes dessinées, s’associent de nouveau, à la suite de leurs collaborations remarquées pour La Différence (Casterman, 2013) et Tueur d’étoiles (Éditions Félès, 2023), pour réaliser cette bande dessinée historique sur une figure, trop souvent oubliée, de la Résistance française. Après le génocide arménien de 1915 dans lequel il perd ses deux parents, il se réfugie en France en 1924 où il sera ouvrier à Marseille. Il adhère au Parti communiste français en 1934, après avoir vu son dossier de naturalisation refusé en 1933, auquel il restera fidèle jusqu’à son assassinat dix ans plus tard. Ce beau roman graphique vient combler les trous de la mémoire oublieuse de l’histoire de France et rend enfin hommage à cet homme et sa femme, au parcours hors du commun, mort pour la France. Cet album est complété par un dossier réalisé par Denis Peschanski, historien et ancien directeur de recherche au CNRS, sur le rôle décisif des étrangers dans la Résistance. À l'occasion des 80 ans de son exécution, le 21 février 1944, le résistant d'origine arménienne Missak Manouchian entre au Panthéon, accompagné de son épouse Mélinée et de ses camarades de Résistance (une plaque sera apposée au Panthéon). La cérémonie d’entrée aura lieu à 18 h30 ce mercredi 21 février 2024. Didier Daeninckx livre en tribune pour le Groupe de recherche Achac les grands axes de cet ouvrage dans ce texte inédit.
Le 21 février 2024, le résistant arménien Missak Manouchian entrera au Panthéon accompagné de Mélinée, orpheline du génocide de 1915. Ses 21 compagnons fusillés le 21 février 1944 au Mont-Valérien, presque tous étrangers, seront également honorés ainsi que la Roumaine Golda Bancic guillotinée par les nazis en Allemagne. Joseph Epstein, originaire de Pologne, avec qui Manouchian fut arrêté par la police française, verra enfin son rôle pleinement reconnu.
La panthéonisation de Manouchian, premier résistant apatride engagé dans la résistance communiste à entrer dans ce temple de la République, a permis de souligner, une fois encore, la mémoire oublieuse de la France. L’un de ses compagnons dont la photo figure sur l’Affiche Rouge, le juif polonais Szlama Grzywacz, n’était toujours pas considéré comme « Mort pour la France » quatre-vingts ans après son sacrifice. De la même manière, la moitié des 190 résistants étrangers fusillés au Mont-Valérien n’avaient pas, eux aussi, bénéficié de cette reconnaissance pourtant évidente. Cela vient d’être réparé.
Le roman graphique scénarisé par Didier Daeninckx et dessiné par Mako, s’attache à restituer le parcours humain de Missak Manouchian dont le père meurt les armes à la main en résistant à l’armée turque, et dont la mère décède des suites des marches de la faim.
On y apprend que si Missak voulait laisser un nom à la postérité, ce n’était pas en tant que martyr mais en tant que poète. Que les hasards de la vie dans les camps arméniens du Liban, lui ont fait rencontrer la langue française et les imaginaires des poètes. Qu’il a mis à profit un voyage sans retour pour rejoindre Paris et y fonder des revues littéraires composées le soir après le travail sur les chaines de Citroën. Que licencié lors de la crise des années 30, il a gagné sa vie comme modèle pour les peintres et les sculpteurs de Montparnasse, qu’il a vécu près de trois ans dans une communauté à mi-chemin entre le kibboutz et le phalanstère à Châtenay Malabry. Qu’il a demandé par deux fois sa naturalisation française, en 1933 et 1940, sans succès. Qu’il s’est engagé dans l’armée française en 1939, tout juste sorti de la prison où les autorités du pays qu’il s’apprêtait à défendre l’avait jeté pour lui faire payer son engagement communiste.
Dans la dernière lettre, écrit bouleversant d’un poète, qu’il adresse à sa compagne Mélinée ce 21 février 1944, il dit qu’il va être fusillé à 15 heures, qu’il n’y croit pas, qu’il ne la reverra plus, que c’est « comme un accident dans sa vie ». Cette bande dessinée prend cette phrase pour départ : dire l’accident, la collision avec le nazisme, le fascisme, mais surtout rendre hommage à l’homme qu’il aurait voulu demeurer : un amoureux de la vie, un homme solidaire, un amant magnifique.
Avant de signer cette lettre de son prénom Missak transposé en « Michel », il prend soin de braver la consigne nazie obligeant les condamnés à écrire en français. Il gribouille un mot en arménien que peu de gens parviennent à déchiffrer : « Djanigt ». Cela se traduit par « Ton chéri ».