Perdre le sud
par Maïka Sondarjee
Maïka Sondarjee est professeure adjointe à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa (Canada). Elle a également été chercheuse postdoctorale à l’Université de Montréal et boursière au Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Ses recherches portent sur les inégalités internationales et épistémiques. Elle a publié l’article « Repenser la coopération internationale » dans l’ouvrage collectif Enjeux et défis du développement international. Acteurs et champs d’action (Presses de l’Université d’Ottawa, 2019), et Perdre le sud. Décoloniser la solidarité internationale (Écosociété, 2020) est son premier essai.
La rapidité de la propagation de la Covid-19 et le rappel de notre connectivité internationale a mené à un repli sur soi plus important que jamais. En avril dernier, le magazine américain Forbes annonçait haut et fort la « fin de la mondialisation » : les pays se font la guerre pour un futur vaccin, le président Donald Trump interdit aux compagnies américaines de vendre des masques à l’extérieur des États-Unis et les frontières de tous les pays se sont durcies.
Les positions anti-mondialisation déjà présentes avant la crise se renforcent en se rapprochant plutôt d’un nationalisme égoïste que d’une relocalisation de la production. Pourtant, malgré la nécessité du confinement et de la fermeture temporaire des frontières, un repli national sans solidarité internationale ne fera qu’augmenter la durée et l’ampleur de la crise pour tout le monde. Après la pandémie, il sera nécessaire de limiter la libéralisation des échanges et de consommer en circuits plus courts, tout en soutenant un régime multilatéral solide, capable de gérer les conséquences globales de la crise. Ce sera aussi la seule solution pour nous prémunir contre la crise climatique à venir, qui sera beaucoup plus importante que celle de la Covid-19.
Perdre le Sud. Décoloniser la solidarité internationale offre un cadre d’analyse pour repenser les rapports Nord-Sud, en développant le concept d’internationalisme radical. Cet essai vise à promouvoir une alternative à la mondialisation néolibérale qui soit solidaire plutôt que nationaliste, et à proposer des solutions politiques plus concrètes que les positions altermondialistes*. Développant une position féministe et décoloniale des relations internationales, ce livre vise toutefois à réhabiliter les pratiques de coopération internationale et de solidarité internationale plutôt que de les éliminer, et ce, dans l’optique d’une transition systémique. En d’autres termes, il vise à repenser notre distribution des richesses au niveau international tout en empêchant l’exploitation, la dépossession et l’oppression.
Puisque les inégalités internationales sont soutenues par un racisme et un sexisme systémique, cette solidarité renouvelée passera par une décolonisation des esprits : nous devons redéfinir qui fait partie de notre communauté politique et qui en est exclu. Perdre le Sud vise à intégrer l’« Autre » dans notre conception du politique et dans nos pratiques de coopération internationale. L’internationalisme radical est donc une moralité et, dans ce livre, présenté comme un projet politique postcapitaliste, féministe et décolonial.
*Telles que celle-ci sont pensées et interrogées dans les universités nord-américaines