« Les élèves, demain, au lycée, tous les gens qui font LV2 chinois, tabassez-les ». Pour ce genre de tweets violents, quatre jeunes hommes ont été condamnés en 2021 à un stage de citoyenneté de deux jours, reconnus coupables du « délit de provocation publique, non suivi d’effet, à commettre un délit d’atteinte volontaire à l’intégrité de la personne à raison de son origine ».

Tout d’un coup, pendant la pandémie de 2020, le racisme anti-asiatique est devenu visible. Des personnes asiatiquetées, associées au « virus chinois » ont été évitées, insultées, voire agressées physiquement. Certaines d’entre elles ont réalisé à ce moment-là qu’elles pouvaient être racialisées en raison de leur apparence physique. Qu’elles aient été d’origine vietnamienne, laotienne, cambodgienne, coréenne ou japonaise n’eût rien changé : elles étaient simplement « chinoises », donc « coupables » aux yeux des agresseurs. Jamais la sphère politico-médiatique n’aura autant évoqué ce racisme anti-asiatique, qui précédait pourtant la pandémie. 

Quantifier et qualifier le racisme

Dans « Vous les Asiates », Linh-Lan Dao expose les différentes formes que prend ce racisme (déni de francité, humour, stéréotypes positifs, exotisation, ciblage ethnique dans des cas d’agressions crapuleuses) et cherche à en comprendre les mécanismes : l’héritage de l’histoire coloniale (le « péril jaune », la femme asiatique fétichisée et l’homme asexué) ; le mythe de minorité modèle qui contribue à invisibiliser les discriminations subies par les Asiatiques de France, ainsi que la précarité d’une partie de ces communautés.

L’essai est incarné, raconté à la première personne et fourmille d’anecdotes personnelles. Le racisme anti-asiatique y est quantifié et qualifié. Par exemple, l’enquête PolAsie de 2022, menée sur 926 répondants, établit que 47 % des immigrés originaires du Cambodge, du Vietnam, du Laos et de la Chine déclarent avoir été la cible d’insultes et de propos ouvertement racistes en France. Ce chiffre grimpe à 78 % pour leurs descendants. Cette disparité entre première et deuxième génération peut s’expliquer par le fait que les descendants, maîtrisant les codes et les normes sociales, sont davantage capables d’identifier et de dénoncer des situations racistes et inégalitaires. 

« L’une des particularités des discriminations et du racisme qui touchent les populations asiatiques réside dans le fait qu’elles sont rarement dénoncées, débattues publiquement ou encore sanctionnées juridiquement », observent les auteurs du rapport REACTAsie, une étude qualitative menée sur 32 jeunes diplômés d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Au-delà des micro-agressions racistes que l’on a pu entendre dans la rue, pendant ses études ou au travail, l’auteure s’intéresse aussi aux discriminations systémiques vécues par les personnes asiatiquetées (difficultés d’accès à l’emploi et au logement).

Faire le deuil de la minorité modèle

En France, comme cela a été le cas aux Etats-Unis dans les années 60-70, les communautés est et sud-est asiatiques sont présentées — jusqu’à aujourd’hui — sous le prisme d’une minorité discrète, exemplaire, bien intégrée, dont la réussite scolaire et sociale peut être enviée. Cette minorité, occupant une position intermédiaire dans la hiérarchie raciale française, est en réalité instrumentalisée par le groupe dominant afin de mieux dénigrer les revendications des communautés maghrébines et noires. Ce mécanisme, appelé « triangulation raciale », pourrait tout aussi bien être résumé par cette maxime : « Diviser pour mieux régner ». 

Les stéréotypes positifs (Asiatiques « dociles », « travailleurs ») sont enfermant et empêchent l’émancipation des concerné.e.s. Les deuxièmes générations semblent prendre distance avec ce narratif, qui a parfois pu être intériorisé par les premières générations. À la fois témoin et actrice de l’éveil de la conscience anti-raciste au sein des communautés, l’auteure met en lumière le travail des associations formées par des asiodescendants pour prévenir ces violences et venir en aide aux victimes, tout en proposant des pistes pour se déconstruire.