Vivre en Algérie
du XIXe au XXe siècle
Par Tramor Quemeneur
Chargé de cours aux Universités de Paris 8 et de Cergy, Tramor Quemeneur fait partie, depuis 2014, du Conseil d’orientation du Palais de la Porte dorée – Musée national d’histoire de l’immigration, et a été membre de la Commission mémoires et vérité mise en place à la suite du « Rapport Stora ». L’historien a par ailleurs écrit une douzaine d’ouvrages, dont le dernier s’intitule Vivre en Algérie du XIXe au XXe siècle (Nouveau Monde Éditions/ministère des Armées/ECPAD, 2022), dont il fait, ici, la présentation. Cet ouvrage rassemble 300 photographies inédites, issues d’archives publiques et privées, offrant un regard sensible sur la vie quotidienne des populations en Algérie aux XIXe et XXe siècles, qui reste méconnue, il s’inscrit dans la continuité d’ouvrages sur les imaginaires coloniaux comme « Images et colonies » (1993), « Images d’empire (1996) et plus récemment « L’Algérie en couleur » (2011) et « Colonisation & propagande » (2022). En 2022, il a aussi publié deux autres ouvrages : Mourir à Sakiet. Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie (Presses universitaires de France) et La guerre d’Algérie en direct. Les acteurs, les événements, les récits, les images (Éditions du Cerf/Historia). Il a aussi contribué à l’ouvrage collectif Histoire globale de la France coloniale (Philippe Rey, 2022).
Les photographies de l’Algérie sont souvent vues soit sous l’angle de la guerre d’indépendance, avec toutes ses violences, soit sous celui de l’orientalisme avec des images coloniales stéréotypées présentant les différents « types » algériens ou encore des femmes dénudées. L’idée est ici de réinterroger l’histoire coloniale algérienne, avec pour ambition de montrer le quotidien des populations, en prenant appui sur un ensemble de 300 photographies en quasi-totalité inédites, des premières (autour des années 1840-1850) jusqu’à celles des années de la post-indépendance. Cet ouvrage s’est appuyé sur trois principaux fonds : l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), la Bibliothèque nationale de France (BnF) et les Archives nationales d’outre-mer (ANOM), complétés par des fonds privés de photographes.
La première partie revient ainsi sur la manière dont les Français découvrent le pays nouvellement colonisé, de leur arrivée par mer jusqu’au cœur du désert, dans une sorte de conquête à la manière du Far-West américain. Certaines images montrent en effet des scènes que nous pourrions penser tirées de westerns, ce qui montre combien cet imaginaire nous a beaucoup plus imprégnés. Il a pourtant existé un « southern » que notre société méconnaît. Puis nous voyons la manière dont les Algériens vivaient à la campagne, dans les villes, les villages et jusque dans leur vie privée.
Nous abordons ensuite, comme par contraste, la vie quotidienne des Français d’Algérie, dans la ville coloniale, notamment à Alger. Ils vaquent ainsi à leurs occupations dans les commerces, au travail, ou encore au cours de leurs moments de détente, au café ou lors de fêtes. Si les photographies montrent différents milieux sociaux, certaines suggèrent les tensions coloniales qui existent, avec par exemple de rares photographies sur les à-côtés de la sanglante répression des manifestations de mai 1945.
Les clichés du temps de la guerre sont évidemment très nombreux, avec l’arrivée de très nombreux photographes sur place. En dépit de la guerre, la vie suit son cours : les gens continuent à travailler, comme le montrent de nombreuses images. Celles-ci concernent les travaux domestiques ou encore agricoles ; le marché, les épiceries, les boutiques… Nous voyons les artisans, les commerçants ou encore les petits fonctionnaires dans leurs activités professionnelles. Songeons par exemple à ce garde-champêtre avec son tambour, ou encore à ce facteur algérien. Puis nous touchons à des secteurs beaucoup plus liés à la colonisation, comme les ports, les industries et bien entendu le pétrole, avec par exemple cette photographie du ministre Max Lejeune contemplant un puits de pétrole comme s’il s’agissait de pyramides vieilles de 40 siècles…
Puis nous suivons les Français et les Algériens dans leurs activités dans un contexte de guerre, avec notamment des scènes de rue travaillées par la propagande mais où l’on peut voir la guerre suggérée, comme avec ce cinéma d’Alger projetant le film Nuit de terreur en pleine « bataille d’Alger ». Si certains se détendent et rient encore, comme le saisit une photographie dans le quartier juif de Constantine, d’autres ne sont plus à la fête, comme ce vieil homme seul buvant un verre de vin dans un café de ce même quartier. Certaines réalités sont plus dures encore, tels ces enfants dépenaillés à l’école, suivant avidement les cours ou au contraire accablés par la fatigue. Un chapitre aborde la question des réfugiés algériens en montrant des photographies inédites de la militante anticolonialiste Dominique Darbois prises à la frontière tunisienne.
Enfin, la dernière partie montre les luttes civiles dans la guerre d’Algérie, avec des scènes en marge des manifestations pour l’« Algérie française » mises en regard avec des images rares des manifestations de décembre 1960 à Alger. Les derniers chapitres traitent de l’exode des « pieds-noirs » et des harkis et parallèlement des fêtes de l’indépendance. Après, il faut reconstruire le pays. Parmi d’autres, Geo Morange, enseignant resté vivre en Algérie après l’indépendance, expose, avec un œil parfois espiègle, le quotidien des enfants, des femmes et des hommes algériens avec qui il a vécu après l’indépendance.