L’Exposition coloniale Paris 1931
Par Catherine Hodeir et Michel Pierre
Catherine Hodeir, docteure en histoire, auteure de nombreuses contributions sur les expositions coloniales, et Michel Pierre, agrégé d’histoire, auteur de nombre d’articles et d’ouvrages relatifs à l’histoire coloniale de la France, viennent de republier L’Exposition coloniale internationale de Paris,1931 (Complexe, 1991) aux éditions Archipoche. Premier, voici trente ans, à interroger ce moment de l’histoire coloniale, leur livre fondateur est actualisé et s’enrichit d’un avant-propos et d’une postface. L’avant-propos est un cadrage de l’exposition coloniale dans le contexte des années 1930 en France et dans le monde, en lien avec l’actualité du fait colonial sur les quinze dernières années. La postface discute l’intelligibilité de l’exposition coloniale depuis la fin des années 1970 jusqu’aux débats d’aujourd’hui, autour et issus de la recherche scientifique postcoloniale et décoloniale.
Vue par des millions de visiteurs en six mois, l’Exposition coloniale internationale de 1931 est l’ultime représentation de la « Plus Grande France » de 100 millions d’habitants et des empires coloniaux européens, à exacte distance chronologique des certitudes de 1900 et de l’achèvement de la décolonisation française en 1962. Inaugurée en mai 1931, à l’heure des premiers craquements annonçant la fin des empires coloniaux, elle est le lieu symbolique, enfin, de convergence des premières oppositions et contestations anticoloniales.
À l’invitation de la France et sous l’égide du maréchal Lyautey, commissaire général, les nations alliées ou proches de la France – sauf la Grande-Bretagne, absente – rivalisent d’inspiration, souvent teintée d’exotisme, de reconstitutions – exactes ou syncrétiques mais toujours adaptatives – et de scénographies didactiques. Dans le bois de Vincennes s’installe l’éphémère cité d’un monde dominé par l’Occident qui déploie, pour en tirer gloire, chefs d’œuvres et créations culturelles principalement issues d’Afrique et d’Asie. C’est aussi un spectacle permanent, animé par des piroguiers sur le lac Daumesnil, des serveurs de café maure, des artisans indochinois, des tisseuses de kilims. Le soir venu, une féérie d’eau et de lumière découpe coupoles et tours en silhouettes magiques.
L’avant-propos rappelle que ce livre s’appuie sur une analyse rigoureuse des sources foisonnantes qui font de l’Exposition coloniale un objet d’histoire totale. Que cette étude ne peut être scientifique que si le contexte des années 1930, en France, dans les empires coloniaux européens et dans le monde, est le rempart à l’anachronisme aujourd’hui souvent facile. Il revisite la notion d’Empire français, l’insertion de l’Exposition dans l’environnement international tendu des années 1930, le positionnement idéologique du maréchal Lyautey, l’ambigüité du projet de l’Exposition coloniale, l’irruption du tourisme colonial à Vincennes comme une mise en abîme, ou la réception des imaginaires construits par l’Exposition coloniale. L’avant-propos établit aussi une liaison subtile avec les polémiques suscitées dans l’espace public français depuis une quinzaine d’années pour en souligner le peu d’importance sur le long terme : l’actualité à son tour s’effacera, pour ne laisser que le travail des historiens.
La postface s’ouvre sur un paradoxe : l’Exposition coloniale de 1931 est souvent considérée comme un zoo humain alors que c’est à l’occasion de cette manifestation internationale qu’un décret fut pris, le 27 juillet 1931, par le ministère des Colonies, pour interdire désormais toute « exhibition humaine mercantile ». Le concept de « zoo humain » a aujourd’hui vingt ans d’âge : il a été créé grâce aux travaux du Groupe de recherche Achac, qui avait rassemblé, en 2001, des chercheurs venant d’horizons pluriels. Il a marqué un tournant de la nouvelle perception de l’Exposition coloniale mais en a brouillé, pour longtemps, la complexité dont ce livre s’attache à restaurer l’intelligibilité.
90 ans après son succès (33 millions de tickets vendus en 6 mois), l’Exposition coloniale devrait-elle susciter un réengagement de la recherche universitaire, selon des approches croisées et diverses, prometteuse de nouvelles avancées ? Peut-être qu’aujourd’hui, s’il n’était devenu un « classique », les auteurs auraient-ils commencé leur livre sur les implications de la présence du Groenland au bord du lac Daumesnil qu’annonçait la publicité de l’exposition : « le pôle Nord à 20 minutes de l’Opéra » !