Zoo humain. Au temps des exhibitions coloniales à Tervuren
Par le Groupe de recherche Achac
L’exposition Zoo humain. Au temps des exhibitions coloniales ouvrira ses portes au public le 9 novembre 2021 à l’AfricaMuseum à Tervuren (Belgique). Réalisée en partenariat avec le Groupe de recherche Achac et la Fondation Lilian Thuram – Éducation contre le racisme, elle prolonge le travail autour de Exhibition. L’invention du sauvage présentée au Musée du quai Branly – Jacques Chirac en 2011, à Zoos humains. L’invention du sauvage présentée à la Cité miroir à Liège en 2016 et au Memorial ACTe (Pointe-à-Pitre) en 2018. Cette exposition est un temps fort de cette fin d’année 2021 et un axe pour l’AfricaMuseum d’approfondir et de stimuler une réflexion critique sur son passé colonial. Avec un parcours inédit composé de plus de 500 documents, les commissaires Pascal Blanchard, Maarten Couttenier et Mathieu Zana Etambala ont souhaité montrer comment ces « spectacles », à la fois outils de propagande, objets scientifiques et sources de divertissement, ont formé le regard de l’Occident, un rapport à l’« Autre » et un discours raciste. Les visiteurs pourront explorer de façon historique et thématique les frontières ténues entre « exotiques » et « colonisés », science et voyeurisme, exhibition et spectacle, colonialisme et racisme jusqu’au 6 mars 2022.
Cette exposition organisée à l’AfricaMuseum, ancien Musée Royal de l’Afrique centrale, se teinte d’une symbolique spatio-temporelle particulière. Temporelle, d’abord, parce que cela fait maintenant 125 ans que l’exposition internationale de Bruxelles s’est tenue. À la demande du roi Léopold II, une « section coloniale » fut organisée à Tervuren. On y retrouvait un « village congolais » – un véritable zoo humain –, où 267 Congolais, emmenés de force sur le territoire belge, étaient exhibés à la vue de tous. Spatiale, ensuite, parce que l’emplacement choisi pour l’exposition de ces êtres humains est celui sur lequel l’actuel AfricaMuseum a posé ses fondations.
Destinés à convaincre la population du bien-fondé de la colonisation et de la nécessité même de civiliser les « sauvages », les zoos humains ont servi le projet colonial en le légitimant. Par la fabrication d’une image stéréotypée des peuples colonisés, l’« Autre » était présenté comme différent et surtout inférieur. En cela, les zoos humains, dans lesquels ont été enfermés des êtres humains du monde entier, ont contribué à opérer un passage d'un racisme scientifique, véhiculé tout au long du XIXe siècle, à un racisme populaire au travers d’un tissu de représentations dénigrantes. La mise en scène discriminante et fétichisante d’un « Autre » jusqu’alors inconnu du grand public a construit une frontière entre prétendus « civilisés » et « sauvages », entre le « eux » et le « nous ». Peu à peu, la construction de ces villages coloniaux a fait s’immiscer dans l’inconscient collectif l’idée d’une supériorité de peuples sur d’autres au nom de la « race ».
Déconstruire ces images, affronter notre histoire et les évènements qui ont fabriqué des rapports illusoires et faussés avec l’« Autre » est une voie essentielle pour envisager la construction d’un commun. La mémoire collective, parce que partagée, se doit de prendre en compte les facettes glorieuses de l’Histoire autant que ses parts sombres. L’édification d’un musée sur l’emplacement de ces exhibitions funestes, où sept Congolais ont laissé leur vie en 1897, est une première étape. La pédagogie, l’explication et le traitement analytique de ces situations en constituent la seconde.
À travers cette exposition, l’AfricaMuseum, en partenariat avec le Groupe de recherche Achac, désire se confronter à son histoire passée pour mieux la surpasser. Inspirée de précédentes présentations de l’exposition, celle présentée ici à Tervuren s’inscrit dans cette nécessité de regarder le passé en face pour comprendre le présent. Elle se distingue par sa narration différente, enracinée dans la Belgique coloniale et matérialisée par des moments historiques et des expériences vécues par des populations issues d’autres contextes socio-culturels.
Cette nouvelle édition se démarque aussi par une articulation temporelle spécifique : au-delà de son traitement du passé colonial et de ses conséquences dans le présent, l’AfricaMuseum accueille deux créations contemporaines inédites qui questionnent nos perceptions actuelles. La première, Mémoire des Congolais de l’artiste Roméo Mivekannin, revisite par la peinture les thématiques de l’esclavage et de la colonisation, tout en rendant hommage aux Congolais exhibés lors de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1897. La seconde, L’Affaire Muzungu Tribes de Teddy Mazina, se joue du racisme scientifique historique. En imaginant un laboratoire, au sein duquel sont mesurés des corps blancs par des médecins noirs, et dont les résultats établissent une infériorité des premiers sur les seconds, Teddy Mazina renverse le récit historique pour en souligner ses aspects discriminants.
Pour accompagner l’ensemble de l’exposition dans une démarche pédagogique, un cycle de conférences thématiques est organisé. Par exemple, le mercredi 10 novembre 2021, l’histoire des exhibitions coloniales sera détaillée avec une intervention du directeur de l’AfricaMuseum, Guido Gryssels, des commissaires de l’exposition Pascal Blanchard, Mathieu Zana Etambala et Maarten Couttenier, de l’artiste Teddy Mazina et du président de la Fondation Éducation contre le racisme, Lilian Thuram. Le mercredi 17 novembre, c’est la question des corps au cœur de ces zoos humains qui sera traitée par la pédagogue Mireille-Tsheusi Robert, l’historienne Delphine Peiretti-Courtis et l’anthropologue Sylvie Chalaye. Tout au long de l’exposition, cette programmation proposera chaque semaine des rencontres et évènements avec le public.
Parcours de l’exposition :
- Introduction (le grand couloir)
- Aux origines des exhibitions anthropologiques (1815-1885)
- Sciences, « races » et hiérarchie
- Le temps des exhibitions anthropologiques (1885-1915)
- Apogée et déclin des exhibitions coloniales (1915-1945)
- La fin des « zoos humains » (1945-1958)
- Le regard de Teddy Mazina