À Paris, une double évocation de l’Exposition coloniale internationale de 1931
Par Philippe-Jean Catinchi (Le Monde)
Le 6 mai 1931, l’Exposition coloniale internationale ouvrait ses portes au Bois de Vincennes à Paris. Un peu plus de quatre-vingt-dix ans plus tard, la Ville de Paris et le Groupe de recherche Achac, avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), invitent tout au long de l’été et au mois de septembre 2022, le public sur les traces de ce lieu de mémoire de l’histoire de France, à travers un parcours inédit en douze étapes et près de 250 documents visuels, pour découvrir l’histoire de la plus grande manifestation coloniale française au XXe siècle. Sur les traces de l’Exposition coloniale internationale de 1931, exposition pédagogique et gratuite, permet de replacer l’événement dans son contexte mais aussi de comprendre comment l’idée coloniale est devenue consensuelle durant l’entre-deux-guerres et comment plusieurs millions de visiteurs se sont laissé convaincre par la « Plus grande France ». Elle est visible sur les grilles de la Caserne Napoléon jusqu'au 5 septembre et dans le Bois de Vincennes jusqu’au 26 septembre 2022. Philippe-Jean Catinchi, journaliste pour Le Monde, consacre un article à l’exposition (à lire ci-après un extrait de l’article).
Un ensemble de panneaux présentés à la Caserne Napoléon et au Bois de Vincennes permet de comprendre les enjeux contextuels, politiques et culturels de ce que fut cette manifestation qui attira près de 8 millions de visiteurs. En France, ce fut la plus grande manifestation coloniale du XXe siècle. Établie à Paris entre le 6 mai et le 15 novembre, l’Exposition coloniale internationale de 1931 rassembla quelques 8 millions de visiteurs, pour 33 millions de tickets vendus par le jeu des entrées multiples. Résultant d’un aménagement considérable – plus de 110 hectares au bois de Vincennes, zoo compris, prolongement de la ligne 8 du métro et refonte de la station Porte-Dorée en sus des dessertes exceptionnelles par bus et par tramway – le projet, qui demanda plus de mille jours de travaux, remonte à 1927.
Commissaire général, le maréchal Lyautey (1854-1934), figure emblématique de la France coloniale, exigea l’intégration des puissances étrangères – même si l’Empire britannique, l’Espagne et le Japon déclineront l’invitation – et mit au cœur de la manifestation une dimension didactique capitale, souhaitant qu’on y lise « une grande leçon d’action réalisatrice, un foyer d’enseignement pratique ».
C’est sans doute ce qui fait le pont entre la réalisation de 1931 et sa commémoration actuelle, telle que l’a voulue l’historien Pascal Blanchard, qui cosigne avec Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel, Alain Mabanckou et Dominic Thomas un décisif Colonisation & propagande. Le Pouvoir de l’image (Le Cherche Midi, 2022). Un peu plus de quatre-vingt-dix ans après la manifestation dont les seules traces persistantes sont le palais de la Porte-Dorée […].
Trente-six panneaux sont simultanément présentés sur le site initial de l’exposition, au Bois de Vincennes, en douze tripodes, séquençant autant de thèmes, offerts à la curiosité du promeneur, jeune public, sportif, touriste qui s’aventurerait sur l’immense emplacement originel, et, comme en vision linéaire, sur les façades de la caserne Napoléon, rue de Rivoli, à proximité de l’Hôtel de Ville.
En extérieur, gratuite et accessible à tout moment, l’exposition affiche clairement une volonté de démocratiser le savoir, de présenter les options retenues en 1931 avec l’évocation de l’ensemble des pavillons de l’Empire français et des pays étrangers, la scénographie adoptée, les enjeux contextuels, politiques et culturels qui révèlent les partis pris des concepteurs mais aussi les réticences, voire les oppositions au projet, les éléments de propagande mobilisés dans chacun des camps. Le poids des forces armées aussi.
Exhibition d’indigènes
Plus inattendu mais bienvenu, le monde des travailleurs et des étudiants issus des colonies et établis en métropole dévoile l’empreinte de l’Afrique comme de l’Indochine dans la capitale, l’évocation des colonies récentes bénéficiant d’une pédagogie soutenue. Et, si le parc zoologique temporaire ouvert alors au Bois de Vincennes, en complément de la ménagerie du Jardin des plantes, participa à l’engouement des visiteurs, avec l’illusion d’une liberté relative de ses pensionnaires – au point de favoriser sur un autre site du bois l’ouverture, en 1934, d’un zoo permanent –, l’exposition n’a gardé d’oublier l’exhibition d’indigènes, présentés comme « volontaires » mais instrumentalisés parfois de façon abjecte, tels les Kanak néo-calédoniens donnés pour cannibales. L’apogée de l’idéal colonial ne masque pas un revirement des mentalités quand le zoo humain devient impensable.
Au total, une invitation en quelque deux cent cinquante documents pour mesurer la dimension extraordinaire de la « plus grande France », un siècle tout juste après sa première extension au Maghreb. Et autant de panneaux que de QR codes qui proposent au public d’approfondir le sujet comme de conserver les textes proposés à la lecture. […] Avec le souhait qu’une lecture apaisée de ce passé ne se fasse pas au détriment des apports de l’histoire.
« Sur les traces de l’Exposition coloniale internationale de 1931 », simultanément à la Caserne Napoléon, 25, rue de Rivoli, Paris 4e, jusqu’au 5 septembre, et au Bois de Vincennes, porte Dorée, Paris 12e, jusqu’au 26 septembre. Il ne reste que quelques jours dans le Bois de Vincennes pour la découvrir et près d’un mois rue de Rivoli… ou en version numérique.