Les collections d’objets pillés en Afrique au sein des musées occidentaux : exposer ou restituer ?
par le Groupe de recherche Achac
Depuis plusieurs années, un débat anime les institutions culturelles concernant les biens pillés pendant la colonisation et actuellement conservés dans les collections européennes, alimentant la réflexion autour de l'héritage colonial. Le Pitt Rivers Museum à Oxford, au Royaume-Uni, institution phare dans les domaines de l’anthropologie et de l’archéologie, n’échappe pas à ces enjeux et fait l’objet d’une certaine attention, comme en témoigne l’article de la journaliste Christine Ro pour la BBC : « Comment les Maasaï ont retrouvé leurs précieux objets d'héritage ». Ce cas particulier dépasse le cadre d’un simple acte symbolique pour toucher à des tenants socio-politiques et culturels profonds. Il interroge, in fine, la redéfinition des relations entre anciennes colonies, territoires d’outre-mer et pays colonisateurs avec, en toile de fond, la question cruciale de la mémoire, de la réconciliation et de la réparation historique (notamment en ce qui concerne les « restes humains »). En tribune cette semaine, le Groupe de recherche Achac revient sur l’exemple du Pitt Rivers Museum et le met en regard des initiatives en France.
Les objets des peuples Maasaï conservés au Pitt Rivers Museum ne sont pas des artefacts ordinaires : ils incarnent des valeurs spirituelles et culturelles propres aux communautés qu’ils représentent. Ce n’est pourtant qu’à partir de 2017, à la faveur de la visite du musée par un Maasaï qui s’est étonné d’y découvrir des objets cultuels importants, que le musée s’est engagé dans un processus d’identification, de réparation et de réconciliation. En effet, pour les Maasaï, ces objets transcendent la valeur patrimoniale, telle qu’elle est perçue en Occident dans les musées, ils revêtent une dimension profondément intime et familiale. Nombreux sont les Maasaï à avoir exprimé leur malaise devant la mise en vitrine de leurs objets sacrés : « Je me sens vraiment mal parce qu'il n'est pas là pour que le monde le voie. Il n'est pas là pour être exposé. » Cette réaction souligne la question de la représentation de ces objets, de leur statut, au-delà même du fait qu’il constitue un héritage culturel. Cette problématique trouve un écho dans le documentaire récent Dahomey de Mati Diop, dans lequel des étudiants béninois remettent en question la pratique muséale occidentale, en opposition à un usage traditionnel et sacré des objets culturels.
La restitution ne se limite pas à un simple retour matériel. Elle offre avant tout une occasion de se réapproprier une partie d’une histoire trop longtemps confisquée, de renouer des liens émotionnels avec les ancêtres et de cicatriser des traumatismes intergénérationnels. Les savoirs ancestraux que détiennent ces communautés sur ces objets sont aussi essentiels pour en restituer une interprétation authentique. Ainsi, le Pitt Rivers Museum a engagé un processus de consultation fondé sur des méthodes adaptées à la culture Maasaï – comme l’enkidong (calebasse contenant des pierres sacrées), l’histoire orale et les entretiens – pour, notamment, identifier les descendants des propriétaires originels des objets.
Sous les pressions croissantes d’acteurs internationaux, de nombreuses institutions culturelles occidentales commencent à interroger leur propre rôle et sont de plus en plus confrontées à la nécessité de repenser leurs collections. Au Royaume-Uni, des initiatives telles que Living Cultures et la Pan African Living Cultures Alliance soutiennent des projets de recherche et de restitution, en collaboration avec des communautés locales. De nombreux gouvernements africains réclament également la mise en place d’un inventaire rigoureux et la révision des législations concernant les collections publiques. Il est légitime de se demander : comment défendre l’inaliénabilité de biens issus d’un vol de masse ? Comment continuer de justifier une position qui refuse de reconnaître le droit des peuples à disposer de leur patrimoine matériel ?
En France, la déclaration d’Emmanuel Macron, en novembre 2017 lors de son discours au Burkina Faso, a marqué un tournant dans les relations franco-africaines en affirmant que « les conditions [devaient être] réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Cette prise de position, symbolique à bien des égards, a initié le rapport Sarr-Savoy, remis en 2018, qui préconise une « nouvelle éthique relationnelle » vis-à-vis des œuvres africaines. Cette proposition a ouvert la voie à des restitutions concrètes, telles que les 26 pièces du Trésor de Béhanzin au Bénin. De même, la loi du 26 décembre 2023, sur la restitution des restes humains, témoigne de la prise en compte croissante des revendications des anciennes colonies, bien qu’à l’heure actuelle les territoires d’Outre-mer soient encore exclus du dispositif législatif. Dans l’attente, les musées français, à défaut de pouvoir s’engager dans un processus de restitution, sont sensibilisés aux enjeux de réparation et de réconciliation. À l’image de ce qui a été entrepris par le Pitt Rivers Museum, le Musée de l’Homme, en septembre 2024, organisait avec l’association guyanaise Moliko Alet+po, une cérémonie chamanique dans une salle du musée et à proximité des boîtes de conservation dans lesquelles sont conservés depuis 132 ans les corps de six ancêtres Kali’na et Arawaks. Ces gestes de réconciliation symboliques, comme la remise de 49 vaches aux familles Maasaï par le Pitt Rivers Museum, ou encore l’organisation d’un rituel de guérison en présence d’éléments normalement proscrits dans les espaces muséaux, tels que le feu et le thé, montrent l’importance accordée à la réparation.
La délégation Maasaï présente au Pitt Rivers Museum a finalement décidé de ne pas rapatrier les objets, estimant que leur exposition en Europe pourrait sensibiliser davantage de personnes à l’histoire, aux valeurs et aux traditions Maasaï. Ce choix montre la complexité de la question, les communautés devant composer avec le quasi-monopole des musées occidentaux en matière de conservation. Par ailleurs, les délégués ont exigé du musée qu’il mette en avant les noms de famille derrière chaque objet identifié et rejette les euphémismes qui masquent la violence dans laquelle les objets ont été pris. « Ils n'ont pas été acquis. Ils n'ont pas été collectés », explique M. Nangiria. Derrière ces considérations muséographiques, se cache toujours une dimension politique profonde. Il s’agit de remettre en cause les récits occidentaux longtemps dominants, reconnaître institutionnellement l’histoire et réaliser un travail épistémologique pour considérer les perspectives des peuples concernés. Symbole d’une culture, ces objets incarnent également la mémoire d’un passé marqué par l’expropriation et la domination coloniale.
Si le retour des œuvres est politique, les conserver dans des musées l’est tout autant. Il ne s’agit pas seulement de restituer des artefacts, mais de reconnaître la dignité des peuples dont la culture a été dépossédée et d’établir des relations égalitaires, éloignées du paternalisme des situations coloniales. La reconnaissance de cette histoire n’efface pas les blessures, mais elle ouvre une voie vers une réconciliation et un respect mutuel durable.