En Guyane, une lutte pour le rapatriement des dépouilles Kali’na et Arawaks conservées au Musée de l’Homme
par le Groupe de recherche Achac
« Réparation » et « transmission » sont les maîtres-mots qui animent le combat de l’association guyanaise Moliko Alet+po. Crée en 2021, cette association œuvre pour le retour des dépouilles de six de leurs ancêtres autrefois exhibés, comme des animaux, dans le cadre de « spectacles ethnologiques » (« zoos humains »). À leur mort, des suites de maladies et par manque de soin, les corps de ces six Kali’na et Arawaks ont été inventoriés comme des objets dans les collections patrimoniales françaises. Ils sont conservés depuis 132 ans au Musée de l’Homme. Enjeu à la fois politique, mémoriel, culturel, la restitution des restes humains conservés dans les collections françaises vers les Outre-mer est actuellement rendue impossible par manque de cadre législatif. En tribune cette semaine, le Groupe de recherche Achac donne son éclairage sur cette question majeure dont il devient urgent que la puissance publique s’empare.
Depuis le 16 septembre 2024, l'association guyanaise Moliko Alet+po (« descendants de Moliko » en langue kali’na) est présente à Paris pour demander la restitution des « restes humains » de six de leurs ancêtres Kali’na et Arawaks, originaires de l’embouchure du fleuve Maroni, en Guyane française, qui ont été exhibés dans un zoo humain au Jardin d’Acclimatation de Paris à la fin du XIXe siècle, et conservés au Musée de l’Homme depuis 132 ans.
Déplacés en métropole en 1892, dans le cadre de « spectacles ethnologiques » (« zoos humains ») organisés au cœur du Jardin d’Acclimatation (Paris 16e), ils faisaient partie d’un groupe de 33 hommes, femmes et enfants, âgés de 3 mois à 60 ans, recrutés par l’explorateur François Laveau pour le compte du directeur du Jardin d'Acclimatation de Paris. Si aucun n’a finalement été rémunéré, le voyage fut sans retour pour huit d’entre eux, qui ne revirent jamais leur terre natale, décédés de maladies pulmonaires après leur arrivée en plein hiver et laissés sans soin. Alors que l’une des dépouilles qui a subi un traitement post-mortem et qui a été disséquée pour des raisons prétendument scientifiques, a complètement disparu ; une autre a été inhumée et est encore enterrée au cimetière de Levallois-Perret ; et six ont été inventoriées telles des objets et conservées dans les collections patrimoniales françaises.
Cette histoire, symptomatique du phénomène des zoos humains, soulève de nombreuses questions quant à la mémoire des exhibés mais aussi à la restitution des restes humains dans les Outre-mer. En effet, si la législation actuelle (loi du 26 décembre 2023) pose un cadre pour des restitutions de restes humains conservés dans les collections publiques françaises à la demande de pays étrangers, elle ne permet pas actuellement d’activer cette procédure à l’intérieur du territoire français. C’est une des grandes faiblesses de la loi de 2023. Au-delà de la nécessaire reconnaissance et la valorisation de leur culture par les institutions, cette béance dans la législation soulève des interrogations sur les droits des peuples autochtones des territoires d'outre-mer. On vient d’apprendre qu’un dossier est en attente sur le bureau du Premier ministre pour la restitution de ces corps en Guyane, un dossier que n’aurait pas finalisé l’équipe gouvernementale précédente aussi bien au ministère de la Culture qu’à celui des Outre-mer.
L’association Moliko Alet+po, fondée en 2021, œuvre pour cette nouvelle dynamique, à la fois mémorielle et institutionnelle. Parmi les 33 Kali’na et Arawaks exhibés, se trouvait l’aïeule de Corinne Toka Devilliers (présidente de l’association), une adolescente nommée Moliko qui a pu revenir en Guyane après avoir été exhibée, comme un animal, au Jardin d’Acclimatation. Sur le plan mémoriel, grâce à un travail de recherche important, l’association a pu identifier et retracer l’histoire de 26 de ces personnes exhibées et déshumanisées. Sur le plan cultuel, l’association a profité de sa venue à Paris pour organiser une cérémonie chamanique au Jardin d’Acclimatation, ainsi qu'une autre dans une salle du Musée de l’Homme, à proximité des boîtes de conservation dans lesquelles reposent les six corps de leurs ancêtres.
En Guyane, l’association s'applique également à la construction d’un caveau derrière le mémorial d’Iracoubo afin de créer un lieu de pèlerinage ayant pour objectif de sensibiliser et de rendre visibles ces noms sur les deux rives de l’Atlantique. Enfin sur le plan législatif, la délégation a été reçue par le ministère de la Culture qui leur a assuré travailler à donner un cadre légal à la restitution des restes humains dans les territoires français. Mais, comme on vient de le dire, le dossier semble être en attente et devra être enfin géré par le prochain gouvernement.
Les enjeux, de part et d’autre, sont importants : pour les Kalin’a et Arawaks, il s’agit de donner une sépulture à leurs ancêtres ; pour le ministère il convient de trouver une voie pour ces restitutions tout en restant le garant de l’inaliénabilité des collections françaises.
Mais cet épisode historique s’inscrit dans un contexte plus large : celui de la colonisation et des exhibitions d’êtres humains en Europe. Scénarisées, ces exhibitions, qui sont inscrites dans le développement de l’anthropologie physique et d’un racisme scientifique, ont contribué à la déshumanisation des peuples non-occidentaux. Si ces pratiques ne sont pas nées au XIXe siècle, elles se sont généralisées à partir des années 1870 jusqu’en 1930, attirant plus d’un milliard et demi de visiteurs venus observer des individus souvent enfermés dans des cages, parfois présentés comme cannibales, mais toujours réduits au statut de « sauvages ». Le Groupe de recherche Achac, à travers son programme « Racisme & zoos humains », a examiné et examine ces mécanismes qui ont contribué à la construction des imaginaires coloniaux à travers de nombreux colloques (dont le plus récent cette année à Dresde), des films, des ouvrages dont Exhibitions. L’invention du sauvage (Actes Sud/Musée du quai Branly, 2011) dirigé par Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch et Nanette Snoep, et présenté par Lilian Thuram.
Le Groupe de recherche Achac a également réalisé et présenté des expositions pour faire découvrir au public le plus large le phénomène des zoos humains, encore peu connu : notamment la prestigieuse « Exhibitions. L’invention du sauvage » en 2011-2012 avec la Fondation Thuram. Éducation contre le racisme et le musée du quai Branly, « Zoo humain. Au temps des exhibitions coloniales » en 2021-2022 avec l’AfricaMuseum à Bruxelles mais aussi « Zoos humains. L’invention du sauvage », version pédagogique et itinérante, disponible en prêt.
C’est d’ailleurs après avoir regardé le documentaire, Sauvages, au cœur des zoos humains, réalisé par Bruno Victor-Pujebet et Pascal Blanchard, en 2018 que Corinne Toka Devilliers découvre cette histoire, et qu’elle commence des recherches jusqu’à créer, quelques années plus tard, l’association Moliko Alet+po.
Peut-être un mot pourrait-il émerger de cette situation : réparation. Réparation d'une injustice autour d'un épisode historique français longtemps passé sous silence. Un autre mot pourrait suivre : transmission. Car, en parlant de colonisation, on touche également à l’impact intergénérationnel de ces événements. Il s'agit de créer des espaces d’échange et de réflexion autour de la mémoire coloniale collective et d’initier, enfin, une politique de restitution ambitieuse autour des « restes humains ».